Cap sur la décarbonation pour la Distillerie Jean Goyard
Environnement. L’entreprise d’Aÿ (Marne) mise sur la décarbonation et l’économie circulaire pour améliorer son empreinte écologique.
Installée au cœur de la commune d’Aÿ depuis 1911, la Distillerie Jean Goyard est un acteur à part entière de la filière champenoise. Créée à l’origine pour distiller les produits issus de la vendange pour obtenir du Marc de Champagne, de la Fine et du Ratafia, l’entreprise va aujourd’hui bien au-delà de ses métiers d’origine. La distillerie (50 salariés et 17 M€ de chiffre d’affaires annuel) collecte environ 75% des produits issus de la vendange champenoise grâce aux apports de 1 600 partenaires locaux de tous horizons (centres de pressurage de viticulteurs, caves coopératives et négociants). Et elle valorise désormais l’intégralité de la matière présente sur son site agéen. Ainsi, les aignes (matières solides restant après le pressurage du raisin, composées des rafles, des pépins, de la pulpe, des peaux et du jus restant) sont transportées au plus vite depuis les centres de pressurage pour rejoindre la distillerie qui en assure le traitement. Cette matière fait l’objet d’un traitement spécifique afin d’être recyclée et valorisée.
>LIRE AUSSI : Dumont France Cave mise sur la RSE
« 100% des produits sont transformés en produits à forte valeur ajoutée et mis sur différents marchés », souligne Hubert Théréné, directeur de la Distillerie Jean Goyard. Une partie des jus est alors transformée en alcool de carburation, matière essentielle à la réalisation des biocarburants comme l’E85, l’E10 ou l’ED95. Une production relativement méconnue qui s’élève pourtant à 20 000 hectolitres chaque année. Si les pulpes sont transformées en pellets pour l’alimentation animale
(12 000 tonnes par an), les pépins sont quant à eux triés. Les polyphénols qu’ils contiennent seront ensuite utilisés comme oxydants dans les industries pharmaceutique et cosmétique. Des opérations d’extractions qui ne sont pas réalisées sur site mais les quelque 6000 tonnes de pépins obtenus sont revendus « à 80% à des partenaires français », souligne le directeur.
Ils peuvent également servir à la production de compléments alimentaires et à l’alimentation animale. Ces aignes permettent aussi d’obtenir pas moins de 500 tonnes d’acide tartrique, utilisé par l’industrie agro-alimentaire en tant que conservateur naturel (dans les vins et jus de fruits notamment) ou par l’industrie pharmaceutique pour ses propriétés effervescentes. Les lies de vins peuvent produire des alcools neutres ou des huiles essentielles, elles aussi destinées à la cosmétique, à la parfumerie et à l’alimentation. « Environ 50 000 hectolitres de lies sont nécessaires pour obtenir environ 2 tonnes d’huiles essentielles par hydrodistillation ». Quant aux effluents de la distillerie, ils seront ensuite utilisés en amendements organiques en raison de leur forte teneur en potasse qui viendra nourrir le sol. Autant d’activités qui sont réalisées sous le contrôle d’un laboratoire intégré, dont la mission est de tester au quotidien la qualité des produits à l’entrée et à la sortie du site, mais aussi tout au long de la chaîne de production.
Sobriété et substitution
« Nous cédons également une partie de nos effluents à des méthaniseurs qui pourront produire du gaz grâce à eux. Cela représente environ 2GWh par an », précise Hubert Théréné. Les nombreuses transformations des 95 000 tonnes de produits issus de la vendange à leurs différents stades d’intervention nécessitent pour une entreprise comme Goyard une quantité considérable d’énergie. Outre l’aspect économique de cette utilisation, l’entreprise s’est depuis longtemps penchée sur son impact écologique. « Pour réduire notre consommation d’énergie, nous avons deux solutions : la sobriété et la substitution. Concernant la sobriété, il s’agit d’une longue tradition sur nos différents sites. Au sujet de la substitution, nous avons choisi d’investir dans une chaudière biomasse pour remplacer l’utilisation du gaz par le bois », explique le directeur.
Un grand pas vers la décarbonation qui a été franchi dès 2009 avec un investissement de 3 M€. Aujourd’hui, la chaudière biomasse d’une puissance de 8MWh consomme près de 7 000 tonnes de bois par an, issues quasi exclusivement de la filière sylvicole située dans un rayon de 30 km autour du site. « Elle a fourni 100% de l’électricité de notre site cette année et permet d’économiser 3500 tonnes de CO2 par an », précise Jérôme Bignon, le président directeur général de la distillerie.
Propriété du groupe Cristal Union, récemment invité à l’Elysée parmi les 50 groupes industriels les plus consommateurs d’énergie en France, la distillerie se veut exemplaire en matière de décarbonation et d’économie circulaire. Et veut surtout le faire savoir pour éviter les raccourcis et les idées pré-conçues sur ses activités. Ses dirigeants veulent encore aller plus loin « en consommant encore moins de bois par exemple », avancent-ils.
« L’eau qu’on économise, par définition on ne la traite pas. Et c’est autant d’eau que l’on n’aura pas puisé dans la nappe »
Parmi leurs objectifs figure également la réduction de la consommation de vapeur et l’amélioration du rendement énergétique de chaque outil de travail. Gros consommateur d’eau, le site veut également faire des progrès en la matière. « L’eau qu’on économise, par définition on ne la traite pas. Et c’est autant d’eau que l’on n’aura pas puisé dans la nappe ». Tous ces éléments ne doivent pas faire oublier le métier premier de la Distillerie Jean Goyard, celui pour lequel il est reconnu aux yeux du grand public : la production de spiritueux. Outre les brandies (10 millions de bouteilles par an en vrac), Goyard est réputé pour son Ratafia de Champagne, produit à partir de moûts de raisin et d’eaux de vie de Champagne, le Marc de Champagne (issu de la distillation de marcs de raisins) et la fine champenoise (obtenue par la distillation de vins champenois). Des produits commercialisés à hauteur de 200 000 bouteilles par an, mais aussi en partenariat avec l’industrie du chocolat (2 000 hectolitres par an) que ce soit avec des maisons comme Lindt et Häagen Dazs ou dans les fameux petits bouchons au Marc de Champagne.
« Nous avons aussi de plus en plus de demandes pour produire de l’alcool destiné à la fabrication de vodka ou de gin, mais aussi pour des Maisons qui veulent produire leurs propres spiritueux », souligne Hubert Théréné. Le développement de cette activité a d’ailleurs récemment incité la distillerie à investir dans un chai de 4 200 barriques en fûts de chêne et de quatre foudres pour faire vieillir ses eaux de vie dans les meilleures conditions pour répondre aux différents marchés et demandes de projets, eux aussi en forte croissance.