L’industrie française face à la décarbonation
Énergie. Le président de la République, Emmanuel Macron a reçu à l’Elysée les dirigeants des 50 sites industriels de France, les plus émetteurs de gaz à effet de serre (GES). Trois entreprises de la région en faisaient partie : le site de Bazancourt de Cristal Union (51), le site d’Origny de Tereos (02) ainsi que le site de Couvrot des ciments Calcia (51).
Aussitôt revenu de la COP 27 en Égypte, Emmanuel Macron a réuni, à l’Élysée, les dirigeants des 50 entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre, responsables à elles seules, de 10% des émissions de GES du pays, quand le secteur de l’industrie en produit 20%. Invité à s’exprimer, Éric Niedziela, Président d’ArcelorMittal France expliquait les enjeux auxquels était confrontée l’industrie de la métallurgie notamment. « Cela fait deux siècles que nous produisons de l’acier avec du charbon. La transformation, si elle nécessaire, ne peut se faire du jour au lendemain et nécessite de nombreux investissements. » Changer les processus de production, réinsérer les ferrailles disponibles dans le circuit de production, retirer le charbon pour le remplacer par de l’hydrogène notamment, c’est une nouvelle révolution industrielle.
Une révolution impérative puisque selon l’ONU, le réchauffement de l’ensemble de la Terre pourrait, si rien n’est fait, atteindre +2,7 degrés à la fin du siècle. Plusieurs pistes sont ainsi avancées par le numéro un de la métallurgie. Concernant l’acier, les objectifs d’ArcelorMittal (qui dispose d’un site à Mouzon dans les Ardennes) sont clairs : le développement du recyclage d’acier et le passage au DRI à hydrogène devrait permettre à l’entreprise de réduire de 80 à 90 % ses émissions de CO2. « Pour éliminer les 10 à 20 % résiduels et atteindre son objectif de neutralité carbone, ArcelorMittal développe des solutions de captage du CO2 suivies de séquestration ou de réutilisation », précise Éric Niedziela. Poussés aussi bien par l’urgence climatique que par l’augmentation phénoménale des coûts de l’énergie, les industriels accélèrent leur transformation. Et c’est bien sur tous ces efforts que le chef de l’État a mis l’accent, en promettant un doublement des aides de 5 à 10 milliards d’euros pour des projets ambitieux mis en place « filière par filière ». « Nous devons tenir nos objectifs dans le domaine du climat et faire deux fois mieux encore lors des cinq prochaines années », a insisté Emmanuel Macron. Or selon les secteurs de l’industrie, la faculté à décarboner n’est pas la même.
« Nous portons une ambition pour ces 50 industries et à chacun de porter des projets spécifiques dans leur domaine. L’État ne va pas dire comment une cimenterie ou une entreprise agroalimentaire doit faire, mais ce sont aux industriels de saisir la complexité de ce qu’ils doivent mettre en œuvre. L’innovation doit être au cœur des réflexions », observe Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et de la transition des territoires, chargée de la ruralité en visite sur le site de Cristal Union à Bazancourt.
Objectif 2030 et réduction de 35% des GES
Toutefois certaines ont enclenché leur virage énergétique il y a quelques années déjà. C’est le cas de Cristal Union (9 000 coopérateurs, 2 500 clients dans 100 pays et 1,7 Mds€ de chiffre d’affaires généré en 2021) et de son site de Bazancourt qui depuis 10 ans, a réduit de 15% ses émissions de gaz à effet de serre et se fixe une réduction de 35% à horizon 2030. « Entre 2010 et 2020, nous avons réduit de 8% l’énergie consommée et de 15% les émissions de CO2. Nous avons aussi diminué de 65% l’eau prélevée au sein de nos sites industriels et cela grâce au développement de nouveaux process de production », indique Xavier Astolfi, Directeur général adjoint du groupe Cristal Union.
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La chance de Cristal Union est que la solution en matière de décarbonation réside notamment dans la matière première qu’elle utilise. En effet la betterave est constituée à 75% d’eau et 25% de sucre. « Nous réutilisons 100% de l’eau contenue dans nos betteraves dans notre processus de production. Ainsi, 5 millions de m3 d’eau ont été économisés par an. Après la campagne betteravière, l’eau en excès est stockée dans des bassins à proximité des sucreries. Une fois décantée, elle est utilisée pour l’irrigation des parcelles alentours. Et à terme, c’est aussi la vapeur que nous souhaiterions réutiliser. Cette même vapeur que l’on voit s’échapper des cheminées de nos usines. Mais la technique est pointue et coûteuse à mettre en œuvre », Xavier Astolfi. C’est typiquement sur ce genre de projets que les aides annoncées par le Président de la République pourraient entrer.
4 millions d’euros dans une chaudière biomasse
Autre investissement réalisé par l’entreprise ces dernières années en matière de décarbonation et pas des moindres, la chaudière biomasse. Sur son site de déshydratation de Bazancourt, Cristal Union a ainsi investi 4 millions d’euros (dont 1,5 million d’aides de France Relance) pour alimenter ses fours à partir de biomasse et créer une plateforme de stockage assurant une quantité suffisante de combustible de bois permettant une économie de rejet de CO2 de 65 000 t/an. « Nous consommons 400 à 500 tonnes de bois par an pour la déshydratation. Le CO2 rejeté est du CO2 biogénique, c’est-à-dire qu’il est contenu dans la biomasse d’origine agricole ou forestière et qu’il est émis lors de sa combustion ou dégradation. » La déshydratation de betteraves sert notamment à produire 500 tonnes de pellets par jour pour l’alimentation animale. En tout, la coopérative a investi 34 millions d’euros dans des projets de décarbonation, lauréats de France Relance avec comme objectif d’économiser 100 000 tonnes de CO2 par an.
« L’innovation est incontournable pour arriver à décarboner notre industrie et atteindre la neutralité carbone à horizon 2030. L’objectif est aussi qu’elle soit reproductible à l’étranger et commercialisable. L’ambition est importante », fait savoir Dominique Faure. L’accompagnement de l’État s’inscrit aussi dans la volonté de réindustrialisation du pays : « Nous devons tenir 3 objectifs : le climat, l’industrialisation et la souveraineté. Il n’y pas d’investissement sur le climat s’il n’y a pas de création d’emploi et de richesse. Nous avons besoin de plus d’industrialisation », n’a pas hésité à marteler Emmanuel Macron, quitte à paraître en contradiction avec les exigences de sobriété, maniant toujours l’art du « en même temps ».
L’explication de texte est apportée par la secrétaire d’État : « La ruralité c’est 20 millions de Français, un tiers de la population sur 88% du territoire. Il faut porter l’ambition de préparer les territoires à accepter que des industries arrivent dans des zones rurales. On va avoir de plus en plus de mal à avoir du foncier proche de nos villes dans le cadre des relocalisations. Alors ça peut commencer par des TPE, de l’artisanat, puis des PME et enfin des ETI. » Et malgré l’objectif du zéro artificialisation nette d’ici 2050, là encore l’objectif de sobriété foncière devra se conjuguer avec un développement des industries... décarbonées cette fois-ci.