« Les entreprises ont plus besoin d’un écosystème que de mètres carrés »
Urbanisme. À l’heure de la ville verte et durable, quelle place pour les entreprises dans des zones où désormais le « zéro artificialisation nette » est la règle ? Telle était une des questions posées lors des tables rondes organisées à l’occasion des 5e Journées de France urbaine, organisée à Reims.
La raréfaction du foncier dans un certain nombre de communes pousse les collectivités à trouver de nouvelles solutions pour les installations d’entreprises, tout en prenant en compte aujourd’hui les questions de durabilité et de consommation énergétique des bâtiments. « Nous sommes dans un changement de modèle économique qui implique un changement de fonctionnement des entreprises elles-mêmes, dans leur rapport au foncier et à la propriété », explique Philippe Wittwer, directeur général de la CCI Marne en Champagne.
« Pendant des années, c’était un sujet à la marge, qui est devenu central avec la loi climat et résilience », poursuit celui qui est à la tête d’un établissement possédant 300 hectares de foncier. Dorénavant, impossible pour une entreprise de ne pas prendre en compte les données énergétiques non seulement du bâtiment qu’elle va occuper mais les dépenses que cela va induire, en termes de déplacement, de marchandises et de logistique. « En tant qu’aménageur, ça nous amène aussi, nous CCI, à trouver d’autres usages du foncier, en développant le foncier de sonde vie ou les friches. » Le recours à ces dernières a été simplifié et est même subventionné grâce au Fonds friches, qui en 2022 a permis de réhabiliter 3% des 100 000 hectares du territoire au niveau national.
« Le véritable sujet c’est comment nous, collectivités, pouvons agir pour éviter que les zones humides, agricoles, forestières ne soient détruites et comment au contraire, on les valorise. »
« Beaucoup de parcs aménagés en bordure d’agglomération sont réputés finis et complets mais lorsqu’on les observe, il y a beaucoup de vide et d’incohérence. C’est sur cela qu’il faut aussi travailler », insiste Philippe Wittwer. Ces nouveaux usages amènent institutions et collectivités à travailler sur la sobriété et la rationalisation, deux mots revenant souvent lors de cette table ronde. Le fonds friche, en Champagne Ardenne, a notamment été mobilisé pour permettre l’installation de l’usine Cibox à Revin dans les Ardennes, après le fiasco de l’implantation des cycles Mercier. « À horizon 10 ans, l’ambition est de diviser par deux les zones de friches tout en tenant l’objectif de la réindustrialisation », explique Vincent Le Rouzic, directeur adjoint des études au Think Tank « La Fabrique de la cité ». « On estime à 15 000 hectares, le volume de fonciers industriels nécessaires. »
Baisser l’empreinte carbone sans baisser l’activité
Et si les anciennes manières de faire, avec une délimitation de parcelle, une viabilisation puis une construction, sont moins répandues aujourd’hui, il faut néanmoins réussir à convaincre les entreprises elles-mêmes de ne plus acheter mais de louer avec des baux emphytéotiques par exemple ou de construire un étage de plus sur leur bâtiment déjà existant. « Réfléchir aux modalités de foncier d’entreprise, c’est la conception même de notre métier d’aménageur », insiste le directeur général de la CCI Marne en Champagne, prenant en exemple la reconversion de l’ancienne BA 112 en lieu d’expérimentation sur tous les sujets agricoles et de bio-économie.
« L’enjeu est aussi de réfléchir en termes d’écosystème et de projets d’exception, innovants. » C’est aussi cet esprit d’écosystème que l’équipe du président du Grand Lyon, Bruno Bernard, élu du groupe des Écologistes, souhaite insuffler dans sa politique de la ville. « Nous avons fait le choix de baisser l’empreinte carbone de la Métropole tout en maintenant les activités productrices présentes. Il faut maintenir les sites productifs tout en repensant les zones industrielles élaborées à une époque où le tout intensif était la règle », affirme Émeline Baume, Première Vice-présidente du Grand Lyon.
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« Nous devons nous organiser pour coopérer avec les communes voisines, Vénissieux, Villeurbanne, Saint-Étienne, Bourgoin-Jallieu, etc. pour allier les savoir-faire et les mettre en relation avec le tissu industriel existant. Valoriser l’économie de proximité doit se faire aussi bien avec les entreprises qu’avec les collectivités qui doivent acquérir et maîtriser le foncier. » Cette maîtrise du foncier a d’ailleurs été présenté par Denis Maire, Vice-président d’Annemasse Agglomération et délégué du Pôle métropolitain du Genevois français, prenant exemple sur le modèle suisse voisin : « La république de Genève gère son territoire de manière étatique puisqu’il y a dans la ville, des services industriels qui portent le foncier économique et qui l’organise », explique-t-il. Une manière de gérer qui semble fonctionner puisque « à chaque fois dans le plan cantonal, même s’il est circonscrit, on arrive à trouver des mètres carrés économiques ».
« Aller à la reconquête du foncier », semble ainsi être un mot d’ordre pour les différents acteurs, collectivités en premier lieu. « Aujourd’hui, les entreprises ont plus besoin d’un écosystème que de mètres carrés. Quant aux pratiques, il faut les faire évoluer », insiste Denis Maire. « Si on veut de la densité économique, il faut penser à la crèche, à la restauration, aux transports en commun… Alors on arrive plus facilement à convaincre les entreprises de faire un étage de plus, plutôt que d’acquérir un nouveau foncier », observe Émeline Baume.
Des droits à artificialiser ?
Pour limiter les ZAN, le Think Tank La Fabrique de la cité s’est lui penché sur une question délicate et qui est loin de faire l’unanimité : « les crédits ZAN » qui prendraient le même genre de forme que les crédits Carbone. Des droits à polluer, on passerait aux droits à artificialiser que l’on échangerait entre collectivités et entreprises. « Un non-sens et une horreur » pour les élus écologistes présents autour de la table. « L’idée est de créer un marché des droits à artificialiser, ce serait un droit de propriété et un droit fongible qui serait à distribuer au sein des intercommunalités », précise toutefois Vincent Le Rouzic.
« C’est de la marchandisation », dénonçait pour sa part la maire de Besançon, Anne Vignot, indiquant : « Le véritable sujet c’est comment nous, collectivités, pouvons agir pour éviter que les zones humides, agricoles, forestières ne soient détruites et comment au contraire, on les valorise. Les territoires ne doivent pas être en compétition mais participer à un rééquilibrage urbain / ruralité et privilégier, dans les documents d’urbanisme, des stratégies foncières publiques et des activités plus vertueuses grâce à l’économie sociale et solidaire notamment. »