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Think Tank : Les déserts médicaux

Santé. Les territoires où il est difficile pour la population de consulter un généraliste et a fortiori un spécialiste se situent essentiellement dans les zones rurales, mais concernent également parfois des zones urbaines, comme par exemple dans la région parisienne. Ce phénomène toucherait environ 8 millions de personnes en France.

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Think Tank : Les déserts médicaux
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On entend par désert médical une zone géographique où la population a des difficultés pour accéder à des soins de santé. Cela concerne les territoires où il est difficile pour la population de consulter un généraliste et a fortiori un spécialiste. Il s’agit essentiellement de zones rurales, mais également parfois urbaines, comme par exemple dans la région parisienne. Ce phénomène concernerait plus de 11 000 communes et toucherait environ 8 millions de personnes. Il s’agit là d’une des causes majeures de la médecine dite « à deux vitesses », entrainant une inégalité des citoyens pour se faire soigner de manière satisfaisante.

Les causes sont connues

  • Le numérus clausus limitant le nombre d’étudiants admis en 2ème année de médecine mis en place dans les années 1970 a vu ses conditions s’aggraver encore dans les années 1990. On est passé ainsi de 8000 à 4000 praticiens formés chaque année. Cette limitation du nombre de médecins a vraisemblablement eu un retentissement favorable sur le plan économique en ce qui concerne les dépenses de santé mais il a méconnu, hélas, une demande de soins qui s’est révélée de plus en plus importante dans les décennies suivantes, entrainant ainsi une pénurie médicale qui est toujours nettement présente sur le territoire national ;
  • L’augmentation des besoins en santé, liée notamment au vieillissement de la population ;
  • La demande croissante en soins du fait de l’amélioration des techniques médicales dans de nombreuses pathologies ;
  • La liberté totale du lieu d’installation des médecins. Ceci est à l’origine d’une inégalité du nombre de praticiens entre les régions, mais aussi au sein d’une même région ;
  • Les jeunes médecins privilégient l’installation en groupe en milieu urbain et ont peur de s’installer en milieu rural où les conditions d’exercice sont plus compliquées (territoire non attractif, difficultés à avoir un avis spécialisé, hôpitaux éloignés, pas de SOS médecins, etc.) ;
  • L’évolution de la pratique des jeunes médecins qui privilégient beaucoup plus la qualité de vie, et qui ne tiennent plus à passer des jours entiers dans leurs bureaux, qui veulent plus de congés, etc… Ceci est une évolution de la société qui touche bien d’autres professions. Cette problématique de désert médical est connue depuis de nombreuses années. Mais malgré les mesures prises par les différents gouvernements on ne peut pas dire que la situation se soit véritablement améliorée, et la problématique semble même actuellement s’aggravée.

Le pacte « territoire santé » en 2012

En 2012, le gouvernement de François Hollande met en place le pacte « territoire santé » dans le but de garantir un égal accès aux soins pour tous les français. Plusieurs mesures sont prises au niveau de la formation des étudiants et du développement de certaines infrastructures. Des incitations financières sont également créées pour les médecins acceptant de s’installer en zone sous dense.

Pour les étudiants :

  • Création de 1500 Contrats d’Engagement de Services Publics (CESP) : Pour ceux qui le souhaitent, une bourse de 1 200 euros brut par mois (actuellement) est accordée avec en contrepartie un engagement d’installation sur une durée égale au nombre d’année où la bourse est attribuée ;
  • Mesures d’accompagnement et de soutien lors de l’installation ;
  • Par ailleurs, incitation à exercer des stages de médecine générale en zone sous dense avec des indemnités transports de 150 euros par mois.

Pour les médecins :

  • Création d’un contrat de « praticien territorial de médecine générale », qui permet de sécuriser les médecins lors des deux premières années d’exercice dans les territoires concernés (revenu garanti de 3640 euros par mois) ;
  • Mise en place d’un « référent d’installation » dans chaque Agence Régionale de Santé permettant de réaliser un véritable « zonage » de la région et d’apporter une réponse adaptée au sein des zones déficitaires ;
  • Transformation des conditions d’exercice des praticiens en créant des Maisons de Santé Pluridisciplinaire (MSP), c’est-à-dire des lieux où le travail en groupe est favorisé (Kinés, infirmières, podologues etc…) ;
  • Rapprocher les MSP des facultés pour favoriser la formation continue ;
  • Développer la télémédecine et la téléconsultation ;
  • Déploiement de médecins du SAMU dans les territoires (Tout patient doit être à moins de 30 minutes d’un centre d’urgence) ;
  • Développer des consultations externalisées de spécialistes (privées ou publiques) ;
  • Adopter et responsabiliser les hôpitaux de proximité à l’égard de leurs territoires.

Malgré certains objectifs réalisés, on ne constate, in fine, que peu d’amélioration réelle. En 2017, une nouvelle réforme dans le cadre du plan « Ma santé 2022 » est instaurée. De nombreux points communs sont à noter concernant l’aide apportée aux étudiants qui acceptent de faire des stages dans les territoires concernés, différents soutiens financiers destinés aux médecins qui souhaitent s’installer dans ces déserts médicaux, le développement des hôpitaux de proximité et l’augmentation de la création de MSP.

Le plan « ma santé 2022 » comprend la formation de CPTS visant à encourager les médecins locaux à travailler de manière plus coordonnée entre eux

Le développement de la télémédecine est également cité. D’autres mesures sont également proposées comme l’encouragement du cumul emploi retraite pour les médecins séniors ou encore la formation d’infirmière en pratique avancée (IPA) qui seraient susceptibles de réaliser des actes médicaux courants.

Cette réforme encourage également l’aide de médecins déjà installés qui interviendraient de façon ponctuelle dans ces territoires ainsi que la création de poste partagé ville-hôpital » pour les praticiens. Le plan « Ma santé 2022 » comprend la formation de CPTS (Communauté Professionnelle de Territoire de Santé) visant à encourager les médecins locaux à travailler de manière plus coordonnée entre eux afin de répondre plus facilement aux besoins de la population (garde commune, organisation de consultation sans rendez-vous etc…).

Cette réforme vise également à faciliter le travail des médecins (création d’assistant médicaux dont le salaire est assuré à 50 % par l’assurance maladie, ou encore délégation de tâches à d’autres professionnels de santé comme par exemple la réalisation de vaccin par les pharmaciens).

Think Tank : Les déserts médicaux
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De nouveau, le succès n’est pas véritablement au rendez-vous et on constate d’ailleurs que cette thématique de désert médical est de nouveau présente, et considérée comme prioritaire par de nombreux candidats à l’élection présidentielle qui s’est déroulée récemment. L’étude de ces différentes mesures nous permet de préciser celles qui à notre avis méritent d’être poursuivies et même renforcées. Il nous parait préférable par ailleurs que ces dispositifs soient déclinés non pas au niveau national mais au niveau régional et plus précisément au niveau des antérégions.

« En Champagne-Ardenne notamment, les contrats CESP, avec attribution de bourses à des étudiants suivants des stages dans les régions sous-denses ont bien fonctionné et sont à l’origine de résultats probants. »

Remarquons déjà que cette problématique du désert médical ne peut être séparée de l’attractivité globale du territoire concerné et il nous semble que ce n’est qu’en agissant sur ce problème global que l’on peut espérer éventuellement constater une évolution favorable de la situation sanitaire. Sinon on se heurtera toujours aux mêmes difficultés pour les médecins de faire admettre à leur famille une installation dans un territoire ne bénéficiant pas de commerces de proximité, d’activités sportives, d’écoles, de moyens de transports etc… et ne permettant pas de trouver facilement d’emploi pour leur conjoint. Cette précision étant apportée, les mesures suivantes nous paraitraient les plus pertinentes :

  • La suppression du numérus clausus en 2018 nous parait une bonne solution mais il s’agit d’une mesure qui ne sera réelle que dans une dizaine d’années. Par ailleurs, cette mesure ne peut être efficace que si les étudiants disposent d’un nombre suffisant de terrains de stages afin que leur formation reste indiscutable. L’augmentation des stages dans les structures privées seraient susceptibles d’améliorer la situation ; Remarquons enfin que, beaucoup de facultés n’ont pas l’infrastructure suffisante pour augmenter notablement le nombre d’étudiants formés ;

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  • Susciter une arrivée plus importante de médecins étrangers avec un niveau de formation équivalente aux médecins français. Cette mesure pourrait se révéler relativement intéressante sur un plan national mais aggraverait bien sûr la situation au niveau européen, où l’on constate déjà une émigration notable des médecins des pays du sud vers les pays du nord de l’Europe. Remarquons par ailleurs que parmi les 23 000 médecins étrangers exerçant déjà sur le territoire national, certains problèmes se posent fréquemment comme par exemple la maitrise de la langue ou encore la pérennité de l’installation ;
  • Formation des infirmières à compétences élargies (Infirmière à Pratique Avancée). Cette mesure se révèle plutôt efficace dans certains pays comme la Finlande, le Royaume-Uni, l’Australie…Les débuts sont modestes en France, mais si les objectifs de formation de 5 000 IPA en 2024 étaient effectivement atteints, cela nous semblerait une mesure intéressante ;
  • Susciter des consultations externalisées. Ceci nécessiterait un rôle accru du référent régional, dépendant de l’ARS, qui listerait des besoins de consultations de médecins spécialistes au sein de territoire où il existe une pénurie importante de praticiens. Une implication réelle des médecins spécialistes privés ou publics permettraient de toute évidence au prix d’un effort relativement peu important (par exemple une demi-journée de consultation par quinzaine) d’apporter une réelle amélioration de l’offre de soins au niveau des territoires sous denses. Une telle mesure pourrait aussi se discuter au niveau des médecins généralistes, installés en zone urbaine, qui apporterait une solution intermittente dans ces territoires ;
  • Pour des personnes en précarité financière, sans affection de longue durée connue, remboursement des transports pour les actes de prévention et de diagnostic (par exemple scanner) ;
  • Salariat de médecins généralistes, comme cela se pratique dans certaines régions, avec des premiers résultats qui paraissent intéressants ;
  • Il nous paraitrait également souhaitable d’offrir à des praticiens retraités la possibilité de réaliser des vacations dans des zones prioritaires. Pour que cela puisse se faire d’une manière efficace, il conviendrait de faciliter les démarches administratives qui rebutent souvent les médecins comme par exemple l’URSSAF, les caisses de retraite, l’assurance professionnelle etc.
  • Remarquons par ailleurs qu’en Champagne-Ardenne notamment, les contrats CESP, avec attribution de bourses à des étudiants suivants des stages dans les régions sous denses ont bien fonctionné et sont à l’origine de résultats probants avec une augmentation notable de praticiens s’installant ultérieurement dans ces territoires.
  • Utilisation plus importante de la télémédecine qui apparait comme une solution véritablement performante. On peut noter d’ailleurs que dans certains pays comme l’Allemagne, cette technique est largement utilisée avec des résultats qui paraissent très positifs.
  • Enfin, on ne peut ignorer la problématique majeure de coercition, c’est-à-dire d’imposer des contraintes aux médecins de telle manière à réguler leur installation. Ceci se pratique déjà dans un certain nombre de pays. Citons par exemple, le Canada où l’on oblige de jeunes médecins à exercer leur pratique quelques années dans les territoires connaissant une pénurie médicale avant qu’ils n’aient la possibilité de s’installer définitivement dans la région de leur choix. Citons également l’Allemagne où les jeunes médecins n’ont pas le droit de s’installer dans des territoires surdotés en praticiens, définis par les Länder, sinon ils n’ont pas la possibilité d’être conventionné avec l’Assurance maladie.

En France, aucun gouvernement n’a adopté ces pratiques coercitives mais ce point mériterait peut-être d’être discuté si l’on veut vraiment trouver une solution à ces problématiques de déserts médicaux. Remarquons que si le conseil de l’ordre était plutôt favorable à cette éventualité de coercition, il ne l’est plus actuellement. Mais remarquons également qu’au niveau européen, la plupart des pays ont adopté des mesures allant dans ce sens.

Au total en Europe, et si on excepte les pays bas, il n’y a guère qu’en France, où existe une liberté d’installation totale. Dans tous les autres pays, on retrouve des mesures plus ou moins coercitives établies par les gouvernements.