Rémy Dessarts : « Les Ardennais n’ont pas abdiqué »
Territoire. Le journaliste Rémy Dessarts a écrit avec Valérie Alasluquetas, experte des enquêtes d’opinion, un récit de 344 pages sur les Ardennes.
Créateur du magazine Capital, ancien directeur de l’information de M6 et des rédactions de France Soir, l’Équipe et du Parisien, le journaliste Rémy Dessarts a écrit avec Valérie Alasluquetas, « Les Audacieux », un ouvrage qui propose de raconter de l’intérieur, le combat contre le déclin d’un territoire, une chronique d’un quart de siècle d’initiatives locales.
Rémy Dessarts que renferme ce livre ?
« Il restitue de l’intérieur le combat contre le déclin des Ardennes, à travers une chronique d’un quart de siècle d’initiatives locales dont les héros sont des chefs d’entreprises qui ne veulent pas mourir, des rockers aux ambitions folles et le travail collectif des hommes politiques. Cette enquête se lit comme un roman. Au fil des pages, nous faisons découvrir des personnages attachants et audacieux lancés dans une bataille titanesque : sauver les Ardennes qui depuis les années 1970 subissent un déclin vertigineux et tirer vers le haut un département pauvre, oublié du pouvoir et des médias ».
Qu’est-ce qui vous amené à choisir les Ardennes ?
« L’idée initiale était de faire la radioscopie de la France périphérique en évoquant des territoires en souffrance. Constatant que le contexte économique s’aggravait au point de devenir éruptif comme on l’a vu avec les gilets jaunes, on a ciblé trois zones géographiques avant d’opter pour un zoom sur les Ardennes, une terre à l’arrêt malgré un passé industriel glorieux et engagée dans un combat difficile contre la crise. »
« Les réponses aux problèmes des Ardennes ne peuvent plus venir de l’extérieur »
« Tout est parti d’une rencontre avec Boris Ravignon et Didier Herbillon. Les maires des deux plus grandes villes ardennaises (Charleville-Mézières et Sedan, ndlr.) en avaient assez que l’on présente ce département de façon dramatique. Ils étaient aussi agacés du défaitisme ambiant alors qu’ils unissent leurs forces, malgré des appartenances politiques différentes, pour faire acte de résistance via divers projets structurants. Comme la réalisation d’un campus pour fixer ceux qui quittent les Ardennes ou renoncent à des études supérieures faute de formations sur place. Ou encore le sauvetage de l’hôpital de Sedan ou l’installation d’un hôtel de luxe au cœur du château-fort. Ces élus nous ont convaincu de focaliser notre travail sur les Ardennes en racontant des batailles exemplaires menées contre la fatalité. Ce projet nous a séduit. »
Quel a été votre méthode de travail durant ces trois ans d’enquête ?
« Tout a commencé en janvier 2019. À travers une galerie de portraits, nous avons reconstitué les scènes de vie de ceux qui, à un moment ou un autre, se sont battus pour éviter des fermetures d’entreprises et la saignée de l’emploi. Cet exercice n’a pas été simple car il a fallu faire appel à la mémoire et à la documentation des uns et des autres pour s’inspirer le plus fidèlement possible des dialogues de l’époque. Nous voulions rédiger nos textes comme s’il s’agissait d’un documentaire télé mais sans faire dans la sinistrose. Et au fur et à mesure qu’on nous ouvrait les portes, on a élargi notre spectre d’actions. »
Quels thèmes vous ont le plus inspiré ?
« Le cœur du réacteur, c’était l’action des politiques mais pour comprendre le contexte et gagner la confiance de nos interlocuteurs, nous avons traité différente initiatives qui montrent l’enthousiasme d’acteurs qui ont marqué les esprits en voulant, chacun dans leur domaine, faire bouger les choses et redonner de l’attractivité à ce département. Preuve aussi que lorsque qu’on se bat, on y arrive mais, parfois, comme un équilibriste sur un fil au-dessus du vide. Je pense ici par exemple à Julien Sauvage qui a créé avec le Cabaret Vert, un évènement musical ambitieux, populaire et écocitoyen. À force d’énergie communicative, d’un long labourage et d’un travail de réseau, il a levé une armée de volontaires, séduits par un projet top niveau. Ce concept devenu extatique a connu une envergure nationale avec plus de 120 000 visiteurs. Il a aussi embarqué 100% de prestataires locaux. »
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« Ex-DRH d’AFS, Denis Muszalski est lui aussi un personnage émouvant, humain et emblématique qui a mené avec Pascal Vanderpoorte un combat incroyable en refusant à deux reprises la fermeture de l’entreprise de Sedan décidée par le board suédois d’Akers. Ils ont pour cela trouvé des solutions pour assurer la survie de la PME et empêcher le licenciement d’une centaine de personnes avant que la société soit rachetée en 2018 par ArcelorMittal. Il y a aussi le président du club de foot de Sedan, Marc Dubois, qui essaie de redonner du lustre et le statut pro au CSSA après que le club soit passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Nous rappelons aussi une réaction inédite : celle de 60 patrons ardennais en colère qui, en 1995, exigeaient le désenclavement autoroutier pour que les Ardennes ne soient pas un cul-de-sac délaissé de tous. »
Dans ce catalogue de chapitres positifs, une histoire se termine mal : celle des Ateliers Thomé-Génot à Nouzonville.
« Cette affaire devait être présente dans notre ouvrage tellement la chute du leader mondial des pôles d’alternateur fut un moment névralgique de l’histoire économique du département. Un géant aux pieds d’argile victime de la mondialisation. François Dury, son dirigeant, n’a pourtant pas ménagé sa peine pour assurer la pérennité de sa boîte mais, sans trésorerie, le château de cartes s’est effondré après le rachat en 2004 par l’américain Catalina, dont les agissements occultes conduiront à la liquidation d’un des plus gros employeurs de la Vallée. Depuis décembre 2006, le son des marteaux-pilons n’est plus qu’un lointain souvenir... »
Vous évoquez aussi le fiasco connu avec la non-venue de Cévital ou des Cycles Mercier.
« Les réponses aux problèmes des Ardennes ne peuvent plus venir de l’extérieur. Il peut certes y avoir des coups de chance comme l’implantation de l’ANTS dans laquelle Boris Ravignon a joué un rôle important, ou la double implantation d’Hermès, mais il y a tellement de zones concurrentes pour l’accueil d’investisseurs étrangers que les Ardennes auront de plus en plus de mal à réussir ce type d’opérations. C’est de plus en plus aléatoire même s’il y a des friches industrielles à réhabiliter et la qualité incontestable de la main d’œuvre locale. »
« Concernant les Cycles Mercier, je ne pense pas que l’Etat a saboté ce dossier, il devait bien y avoir un loup... Cela montre en tout cas que le combat mené par les Ardennes sera très long et difficile. Mais les Ardennais se sont pris en main pour inverser le cours des choses. Cela redonne de l’espoir aux habitants. Et il restera quelque chose de l’émergence du campus et de la relance de l’activité touristique. Des brèches s’ouvrent. Le développement de la fibre et les conditions techniques réunies dans les villes moyennes pour travailler à distance peuvent avoir des incidences positives dans le domaine de la tech et fixer des startup ici. »