Entreprises

Les agriculteurs veulent « du concret »

Agriculture. Après plusieurs semaines de contestation et quelques coups d’éclat, notamment à l’occasion de l’ouverture du Salon International de l’Agriculture, les agriculteurs ont repris le chemin des négociations avec le Gouvernement pour faire entendre leurs revendications, qui seraient déjà au nombre de 900 au plan national.

Lecture 8 min
  • Photo de Hervé Lapie
    Hervé Lapie : « Sur le périmètre européen, il y a trop de surtranspositions qui mettent trop de filières dans l’impasse ». (Crédit : BB)
  • Photo de Maximin Charpentier
    « Quel est le projet européen en matière d’agriculture ? », interroge Maximin Charpentier. (Crédit : BB)

Aux promesses faites par le Président de la République et le Premier Ministre, l’heure est donc au maintien de la pression pour que les paroles se transforment en actes concrets. Lesquels ? Eléments de réponses avec les agriculteurs marnais Hervé Lapie, président de la FRSEA Grand Est et secrétaire général de la FDSEA et Maximin Charpentier, président de la Chambre d’agriculture du Grand Est.

Au cœur des tractations engagées entre son syndicat, majoritaire dans le milieu agricole, et le Gouvernement, Hervé Lapie vient d’enregistrer une première victoire d’envergure, essentiellement symbolique pour le moment : « Nous avons obtenu que la souveraineté alimentaire soit reconnue comme un intérêt majeur de la Nation et inscrite dans la Loi d’orientation agricole », rappelle le secrétaire général de la FDSEA. Un pas important qui toutefois, dans un premier temps, « ne change pas grand chose au quotidien dans les cours des fermes ». Des fermes qui aujourd’hui attendent donc davantage d’éléments concrets.

Dans ce sens, l’annonce présidentielle de la fixation de prix planchers ne fait pas l’unanimité chez les représentants du monde agricole. « Appliquer des prix planchers, ça n’est pas si simple dans un marché mondial, car nous savons aussi que nous sommes bien contents d’exporter des valeurs françaises, que ce soit par exemple le fromage, le champagne ou le savoir-faire français en général, explique Maximin Charpentier. Il est quand même difficile de déroger complètement aux règles du commerce international. Le prix plancher peut avoir un revers, parce que s’il est trop haut, finalement, on laisse une grande porte ouverte à l’importation ».

Hervé Lapie affiche sa préférence pour un autre système, celui des indicateurs de prix de production, plus adaptés à la réalité économique des marchés. « Dans une économie de marché, les prix planchers ne peuvent pas passer. Il faut plutôt définir des indicateurs de prix de production en novembre ou en décembre, en amont des négociations avec la grande distribution. Ils devront être revus chaque année par les interprofessions en fonction du contexte économique ».

Revenir à du bon sens

Depuis plusieurs semaines, les représentants des agriculteurs participent à des rencontres régulières dans toutes les préfectures du pays pour mettre à plat l’ensemble de leurs revendications, département par département. Et la liste s’allonge. « Aujourd’hui on a une liste de 900 revendications qui sont en train de remonter », précise Maximin Charpentier.

Et parmi les éléments qui font consensus, la manière dont la France veut positionner son agriculture en interne. « Il faut revenir à du bon sens », martèle le président du la Chambre d’agriculture du Grand Est. « On a tué notre industrie au regard de la mondialisation, nous ne voulons pas subir le même traitement. On nous demande de monter en gamme, pourquoi pas ? Mais par exemple sur le poulet aujourd’hui vous avez 80% de la population française qui mange du poulet standard. L’agriculteur qui produit du poulet standard est montré du doigt alors qu’il répond à un cahier des charges et produit de la qualité. Et dans le même temps les consommateurs n’achètent pas des produits de haute valeur, bio ou labellisés. C’est un vrai sujet ».

L’harmonisation de la politique européenne et la fin de la surtransposition à la française sont des revendications partagées par l’ensemble des représentants du monde agricole. « On sait que, sur le périmètre européen, il y a trop de surtranspositions qui mettent trop de filières dans l’impasse aujourd’hui. Et en l’absence de solutions, certaines cultures sont tout simplement menacées de disparition », souligne Hervé Lapie. C’est le cas de la cerise, symbole des cultures pour lesquelles les molécules interdites en France ont abouti à une chute de la production en 2023 face à l’invasion d’une mouche drosophile asiatique. Et ce alors que l’insecticide prohibé en France est autorisé en Espagne ou en Pologne.

« Les betteraves elles aussi seraient en situation très difficile en France en cas de grosse attaque de pucerons, tandis que les agriculteurs allemands pourraient traiter en utilisant des molécules interdites chez nous », pointe de son côté le représentant de la FDSEA. Résultat de ces mesures, « une assiette sur trois est remplie de produits qui viennent de l’extérieur », poursuit-il. « L’idée n’est pas de se recroqueviller sur nous-mêmes mais on veut repositionner le projet agricole européen et lutter contre une idée de décroissance en Europe ».

Un avis partagé par Maximin Charpentier qui cite l’exemple régional : « Le Grand Est compte 5 millions d’habitants et produit pour 15 millions d’habitants. Et pour autant, on importe 40 % de ce qu’on mange car les habitudes alimentaires des Français ont changé. Ça veut dire que la mondialisation dans le marché alimentaire, c’est une réalité à tous les niveaux. Les échanges, c’est une réalité. C’est pourquoi nous demandons que si un produit est interdit en France, dans ce cas on interdit aussi son importation. Il faut être logique jusqu’au bout ».

Un vrai projet agricole européen à définir

Un enjeu national et européen qui sera sans doute au cœur de la campagne européenne sur laquelle les agriculteurs français comptent peser. « Quel est le projet européen en matière d’agriculture ? », interroge Maximin Charpentier. « Les agriculteurs savent ce qu’ils doivent à l’Europe, ont toujours été pro-européens. Sauf qu’à un moment donné, il faut quand même parler de ce projet, il faut pouvoir le définir, parce qu’on voit que c’est toutes les agricultures européennes qui sont impactées, en Allemagne, en Italie, en Espagne... Il faut que l’Europe redéfinisse son projet en termes de souveraineté ».

« Il faut redonner de l’ambition à l’agriculture européenne, se positionner sur une planification économique et une décarbonation tout en continuant à produire », souligne Hervé Lapie. « Nous allons profiter des élections européennes pour repositionner le sujet sachant que 28% du budget européen est consacré à l’agriculture. De notre côté, on restera sur nos positions syndicales et apolitiques ».