Entreprises

« Le recrutement est la préoccupation numéro 1 des chefs d’entreprise ! »

Economie. Le vice-président du Medef, Patrick Martin, était présent le 8 septembre sur la Foire de Châlons. L’occasion pour lui de venir à la rencontre des chefs d’entreprise locaux et d’évoquer avec eux l’actualité économique.

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Patrick Martin est le vice-président du Medef : "Les chefs d’entreprise ne sont pas abattus, résignés ou angoissés. Ils sont surtout bien décidés à faire face."

Dans quel état d’esprit les chefs d’entreprise se trouvent-ils en cette rentrée 2022 ?

« Tout d’abord, la REF (Rencontres des Entrepreneurs de France, organisées les 29 et 30 août 2022, NDLR) a été un succès retentissant en termes de fréquentation puisqu’on a dépassé les 10 000 visiteurs, soit une progression d’à peu près 30% par rapport à l’année dernière. Nous avons eu des plateaux remarquables et des interventions exceptionnelles avec le président Zelensky, le président du Bénin et une litanie de ministres dont la première Ministre et Bruno Le Maire. Surtout, cet événement est l’occasion de renforcer le collectif des chefs d’entreprise, d’échanger sur les préoccupations, les projets et les ambitions partagées. »

« L’ambiance recoupe complètement le sondage que nous venons de faire auprès des chefs d’entreprise : ces derniers ont une conscience aiguë des difficultés du moment et des menaces, donc il n’y a certainement pas d’optimisme béat de leur part. Mais 78% des chefs d’entreprise sont optimistes ou très optimistes quant aux perspectives de leur propre entreprise. Cela s’est traduit dans la tonalité des échanges. Ces mêmes chefs d’entreprise sont plus réservés quant aux perspectives du pays, avec 52% d’optimisme. Il y a toujours un écart entre les perspectives personnelles et collectives mais là il est assez marqué. Plus que les ménages eux-mêmes les chefs d’entreprise ne sont donc pas abattus, résignés ou angoissés. Ils et sont surtout bien décidés à faire face. »

Le coût de l’énergie et les menaces qui pèsent sur l’approvisionnement du pays, et donc des entreprises vous inquiètent-elles ?

« Les prix et la disponibilité de l’énergie sont des préoccupations partagées par tous les dirigeants car toutes les entreprises consomment de l’énergie. D’ores et déjà un certain nombre d’entre elles se trouvent en difficulté de rentabilité du fait du renchérissement de leurs coûts énergétiques. Quelques-unes sont même en grande difficulté, certaines mettent à l’arrêt des outils de production, même si cela reste une petite minorité. »

Comment a été perçu le discours d’Elisabeth Borne devant les chefs d’entreprise lors de la REF ?

« Nous avons trouvé son discours très alarmiste voire un peu infantilisant. Je dirais que nous ne l’avons pas attendue pour engager des dispositions dans le sens de la sobriété, à la fois par civisme et par intérêt car les entreprises pas plus que les ménages n’ont intérêt à gaspiller de l’énergie. »

La crainte de coupures d’électricité est-elle présente dans l’esprit des chefs d’entreprise ?

« Le risque de délestage existe mais il ne s’agit pas de notre scénario prioritaire, a fortiori compte tenu de la mobilisation des entreprises du commerce et de l’industrie pour limiter leur consommation. Mais nous sommes évidemment suspendus à l’actualité géopolitique. D’ailleurs, des réflexions avancent bien sur un système de péréquation au sein des entreprises entre leurs différents sites ou d’une entreprise à l’autre. Un marché est en cours d’élaboration pour que les entreprises puissent s’échanger des capacités d’approvisionnement en gaz ou en électricité.
Sans oublier la bonne nouvelle qui nous est parvenue le 30 août : enfin la Commission européenne va se pencher dès le 9 septembre sur le système de tarification européen qui est devenu complètement fou. La France demandait depuis presque un an maintenant cette remise à plat de ce système de tarification. »


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« D’autres pays comme l’Allemagne y étaient opposés mais, nécessité faisant loi, y compris les Allemands conviennent que ce système est devenu fou. Pour rappel, le prix de marché est dicté par les coûts de production de la dernière unité mise en service. Et comme cette unité s’approvisionne à des prix prohibitifs, cela impacte le marché, alors même que d’un pays à l’autre on a des prix de revient effectifs qui ne sont pas ceux-là. On parle d’un pic sur le marché spot à 1000 euros le MWh alors qu’en réalité on est monté à 2000 euros, ce qui est bien la démonstration d’un système devenu aberrant. En France, nos stocks de gaz sont bien remplis donc notre hypothèse prioritaire c’est qu’il n’y aura pas de rupture, ce qui n’empêche pas de se préparer à des ruptures… »

Est-il envisageable de considérer que la lutte contre l’inflation ne passera que par les primes et les augmentations de salaires ?

« C’est bien plus compliqué que cela. Nous savons que, d’une certaine manière, les augmentations de salaires alimentent l’inflation, c’est la fameuse spirale salaire-inflation qu’il faut éviter. Nous en avons eu la démonstration dans les années 70 et 80, et à la fin ça n’était même pas bénéfique pour les salariés eux-mêmes. D’autant que ça n’est pas le Medef qui décide des salaires : pour les minimas conventionnels ce sont les branches et pour les salaires individuels cela se joue dans les entreprises, c’est important de le rappeler. Beaucoup d’entre elles sont impactées par l’inflation avec des prix de revient qui augmentent significativement des marges de manœuvre qui se réduisent en conséquence. »

« Le risque de délestage existe mais il ne s’agit pas de notre scénario prioritaire compte tenu de la mobilisation des entreprises du commerce et de l’industrie pour limiter leur consommation. »

« Les prix de revient industriels en moyenne ont augmenté de plus de 20%, du fait de l’énergie, du prix des matières premières agricoles, des métaux… Or, l’inflation n’a pas atteint 20%, ce qui démontre que les entreprises ont prélevé sur leurs marges et leur rentabilité et n’ont pas répercuté sur les clients finaux leurs prix de revient. Donc il y a des marges de manœuvre qui n’existent pas partout. Par ailleurs, on ne sait pas jusqu’où montera l’inflation et combien de temps elle durera. On espère qu’elle ralentira à partir de fin 2022 ou début 2023, donc cela influence immanquablement les décisions prises dans les entreprises. De plus, la Loi pouvoir d’achat votée cet été est une boîte à outils complète dont disposent les entreprises, pour, quand elles le pourront, améliorer les rémunérations globales soit sous forme de salaires, de primes ou – et cela a été une demande insistante du Medef – sous forme de prise en charge de frais de déplacement pour les salariés. »

« Enfin, si on raisonne en macro-économie, la masse salariale du secteur privé a augmenté de 11% au premier semestre 2022, c’est assez spectaculaire. Cela ne veut pas dire qu’il y a eu 11% d’augmentations de salaires mais qu’il y a eu des créations d’emploi. C’est la réponse la plus radicale au sujet du pouvoir d’achat : une personne qui trouve un emploi gagne plus que si elle touche des indemnités chômage ou le RSA. Rappelons aussi qu’il y a déjà eu des revalorisations salariales négociées dans le cadre des négociations annuelles obligatoires en début d’année, de l’ordre de 3%. »

Le recrutement est aussi un sujet de préoccupation majeur pour les entreprises en cette rentrée 2022…

« On en a parlé à l’occasion de la REF 22 mais on en parle quotidiennement avec le gouvernement. C’est la préoccupation numéro 1 des chefs d’entreprise. Ces difficultés de recrutement s’expliquent : en premier lieu, il y a eu massivement des créations d’emplois : 750 000 créations nettes d’emplois cette année. Les entreprises ont embauché les salariés les plus immédiatement opérationnels, les plus formés et les plus expérimentés, on s’adresse donc désormais à une population de demandeurs d’emploi moins « calibrée » pour répondre aux attentes des entreprises. »

« Deuxième explication : le turn-over a augmenté dans les entreprises. Il faut remplacer les gens qui partent et cela a créé une deuxième tension sur le marché de l’emploi. Malgré tout, même si on a créé beaucoup d’emplois, même si le taux d’emploi a significativement augmenté il existe toujours ce paradoxe ruineux du taux de chômage à 7,3% ou 7,4%. Il existe plusieurs réponses à cette situation. L’une d’elles est l’amélioration du régime d’indemnisation du chômage, de sorte qu’il incite plus au retour au travail et dissuade davantage l’intermittence. »

« Nous sommes favorable à une révision du régime et nous sommes assez alignés sur l’idée du gouvernement qui s’inspire du modèle canadien qui durcit les règles quand le marché de l’emploi est porteur et qui les assouplit au bénéfice des demandeurs quand le marché de l’emploi se dégrade. C’est un élément de réponse. Les autres s’inscrivent dans la durée et tournent autour de la formation notamment, domaine dans lequel le Medef a pris des initiatives fortes, qui s’est traduit par la signature d’un accord national interprofessionnel au mois d’octobre. Nous travaillons en bonne intelligence avec les syndicats et le gouvernement est demandeur de notre copie. »

Quel message majeur le Medef veut-il faire entendre pour pouvoir libérer l’économie hexagonale ?

« Notre message est raisonnablement positif. Un point très important à souligner : très massivement, nos concitoyens font confiance aux entreprises : 82% des Français considèrent l’entreprise comme un lieu de solutions, un lieu de collectif et un acteur responsable. Ce score n’a jamais été aussi élevé et il est en progression massive. Charge à nous de répondre à cette confiance. Deuxième point : le Medef est plus que jamais convaincu qu’il faut travailler à l’échelle territoriale, en proximité avec les élus locaux en particulier pour les sujets d’attractivité des territoires, de formation et de logement. Notre objectif est de remotiver, si besoin en était, les élus locaux sur la réindustrialisation et la mise en chantier de logements tout en prenant en compte bien entendu les enjeux environnementaux sur lesquels nous sommes très mobilisés. »