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L’inflation : multiples causes, nombreuses conséquences

Economie. La hausse des prix à un rythme effréné depuis plusieurs mois pénalise consommateurs et entreprises. Tous les secteurs sont confrontés à l’inflation, que cela soit l’énergie, la grande distribution, l’agriculture ou encore l’industrie.

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L'inflation : multiples causes, nombreuses conséquences
Patrick Cogniard est éleveur à Pauvres dans les Ardennes de volailles et agneaux élevés en plein air (Crédit : DR)

Pas un seul jour ne passe sans qu’une hausse des prix ne soit un objet d’inquiétude pour les Français. Essence, produits alimentaires, matières premières… La crise économique que subit le pays de plein fouet depuis plusieurs mois promet de continuer à être rude.

Pour le professeur d’économie Gérard-Marie Henry, l’inflation globale de 5,1% en elle-même n’est pas particulièrement inquiétante, mais un autre indicateur l’est davantage : « Ce que l’on appelle l’inflation sous-jacente est plus préoccupante. Elle exclut tout ce qui est volatile (essence, produits frais, énergie…) et concerne uniquement les produits et services dont les prix augmentent et qui ne redescendront jamais. Cela peut aussi bien être le cas du prix de la consultation d’un avocat ou d’un médecin, du tarif de la cantine scolaire ou de l’abonnement à Amazon Prime… » Cette inflation sous-jacente atteint aujourd’hui les 4% et inquiète les économistes car elle traduit un phénomène qui va durer.

AUGMENTATION DES TAUX

Face à l’inflation qui continue de grimper, la Banque Centrale Européenne (BCE) a donc décidé d’augmenter ses taux. Si depuis 2015 elle avait maintenu des taux faibles (à 0%) pour maintenir un coût du crédit bas et relancer l’économie, elle a changé de stratégie au printemps 2022. « Après avoir remonté ses taux à 0,5% avant l’été, elle les a à nouveau remontés de 0,75% mi-septembre. Les taux de la BCE atteignent donc 1,25%, ce qui reste faible par rapport à ceux de la banque centrale américaine (qui se situent entre 2,25% et 2,5%, NDLR) », explique l’économiste. Destinée à lutter contre l’inflation cette hausse des taux directeurs doit toutefois être utilisée avec précaution par la BCE pour éviter de ralentir trop brusquement l’économie.

« Nous avons encore un reliquat de croissance et nous allons finir l’année 2022 à 2%, mais l’année prochaine nous aurons sans doute une croissance nulle ». Pour Gérard-Marie Henry, « une croissance proche de zéro n’est pas dramatique » sachant en revanche que l’on pourra parler de récession en cas de deux trimestres négatifs de suite. Une des sources d’inquiétude de la BCE réside cependant dans les conséquences de sa hausse de ses taux directeurs qui n’a pas eu l’effet escompté sur la parité euro-dollar.


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Pour les achats qui se font en dollar, la baisse de l’euro renchérit le coût des produits, ce qui a pour conséquence de durcir encore l’inflation. Parallèlement à cela, l’augmentation des taux peut entraîner un ralentissement du marché de l’immobilier, ce qui pourrait avoir un effet positif sur les prix de l’immobilier avec le risque de freiner l’activité du secteur du BTP. « La politique monétaire n’a pas des effets immédiats mais sur 6 mois à un an, le temps que les banques répercutent les taux directeurs », explique l’économiste. À suivre donc…

L’ALIMENTAIRE, UN DES PREMIERS SECTEURS TOUCHÉ

Les éleveurs, maillons en amont du circuit alimentaire, sont les premiers impactés par la hausse des prix. « Nous sommes touchés par les hausses de prix à trois niveaux. Une première phase est intervenue lors de la crise du Covid, avec une augmentation des produits dérivés plastiques que nous utilisons pour les produits de découpe », explique Patrick Cogniard, éleveur à Pauvres, dans les Ardennes, d’agneaux et de volailles de la Ferme.

Le plastique a très rapidement fait partie des matières en difficulté d’approvisionnement, ce qui a fait augmenter les prix, de l’ordre de 15 à 20%. « Sur la partie bâtiment également, nous avons vu le prix des matières s’envoler, comme le métal et le bois. Nous intervenons régulièrement, pour faire des réparations ou des améliorations de couverture par exemple », poursuit celui qui est également président de l’Association des commerçants du Boulingrin à Reims.

AU COVID S’EST AJOUTÉE LA GUERRE EN UKRAINE

La deuxième phase d’augmentation des prix, beaucoup plus conséquente a concerné tout ce qui relève des « coûts alimentaires ». « Le blé, le maïs et plus globalement, tous les types de protéines se sont envolés, et cela, a été une conséquence directe de la guerre en Ukraine. » L’éleveur qui est autosuffisant en blé peut ainsi nourrir ses volailles mais rapporté au prix où il pourrait le vendre s’il n’avait pas d’élevage, il est perdant.

« L’année dernière, le blé se vendait à 170 euros la tonne, là où en ce moment, il se négocie entre 250 et 300 euros la tonne. Toute la question est de savoir à quel prix je continue à le donner à mes volailles. Si j’arrêtais l’activité volaille, je pourrais vendre mon blé 40% plus cher que ce que je l’incorpore dans l’alimentation. » L’éleveur fait aussi des échanges avec des « maisons d’aliments », type Sanders et là aussi, les prix ont augmenté de 15 à 20%. « Toutes les matières premières sont en train de flamber : protéagineux, céréales… la volatilité des cours sont très importants et c’est d’autant plus difficile d’adapter nos coûts de production », relève Patrick Cogniard.

RÉORGANISATION DU TRAVAIL

En plus de l’inflation du coût des matières premières, les fournisseurs répercutent eux aussi leurs propres hausses de prix, comme les éleveurs de reproducteurs de poussins. « Les reproducteurs coûtent plus chers donc les poussins eux aussi vont coûter plus cher pour couvrir l’évolution du prix de revient et maintenir une marge correcte… », détaille l’éleveur. Frais de personnels, charges fixes, coût du plastique, salle d’abattage… tous ces paramètres ont poussé Patrick Cogniard à revoir certains paramètres de sa chaine de production, que cela soit dans ses déplacements ou dans le fonctionnement de son abattoir, dont la mise en service a été réduite d’une fois toutes les deux semaines. « Nous avons réorganisé notre travail dans l’abattage à cause principalement du coût de l’énergie (chauffage de l’eau, rails qui tournent, etc.). »

« Le moral des entreprises n’est pas mauvais, même si le message de l’arrêt des réductions d’impôts de production de la part du gouvernement n’est pas bon. »

L’éleveur voit aujourd’hui avec le CDER (organisme d’expertise comptable et de conseil) et un ingénieur conseil pour calculer au plus près les postes de dépenses et comment améliorer ses marges dans ce contexte hyper tendu. « Nous nous voyions auparavant une fois par an, là c’est tous les six mois », relève celui qui est à la tête d’une exploitation qui emploie treize salariés. Au bout de la chaine : la hausse, inévitable, des prix. « Nous sommes conscients que l’augmentation des prix à la vente peut générer une perte entre 5 et 10% de clientèle », conçoit Patrick Cogniard. La clé pour conserver la clientèle ? « Communiquer sur notre démarche qualité qui, elle, ne change pas. » Cette semaine, l’Insee a revu légèrement à la hausse son estimation de l’indice des prix à la consommation en août. Selon les statisticiens nationaux, l’inflation a atteint 5,9% sur un an, contre 5,8% attendus dans une première estimation.

Gérard-Marie Henry
Gérard-Marie Henry : “La politique monétaire n’a pas un effet immédiat mais sur 6 mois à un an.” (Crédit : N. Desanti)

En ce qui concerne l’alimentation, le panier moyen des Français a substantiellement augmenté, mais chaque hausse a son explication indique Cyril Bonnier, directeur du Super U de Sainte-Ménehould. « La négociation des prix ne se passe pas de la même manière que cela soit avec un gros groupe comme Lactalis ou Coca-Cola ou avec les éleveurs et producteurs locaux. Avec les premiers, on négocie en fonction des volumes générés avec eux : plus on a de volumes, plus c’est intéressant. Et en fonction de la logistique, les prix varient aussi. Pour les seconds, on négocie beaucoup plus facilement, surtout aujourd’hui, le point important est de savoir à partir de quel prix les producteurs ont besoin de vendre pour que leur exploitation soit viable. »

Tout l’enjeu va être de rémunérer correctement les éleveurs tout en conservant, pour le directeur du supermarché, ses marges. « Les prix d’achat ont fortement augmenté car les industriels aussi bien que les éleveurs, ont aussi de leur côté des augmentations au niveau de leurs matières premières. Toutes les semaines, je reçois des hausses de 50% de certains fournisseurs ! » Pour un yaourt, entre l’augmentation du prix du lait, du carton et du plastique, on se retrouve forcément au final avec un pot qui va couter substantiellement plus cher qu’il y a 6 mois, un an. Même ceux aux fruits sont concernés, car « les intrants, le coût de l’essence pour la livraison » entrent aussi dans le calcul du prix de revient.

UN PANIER MOYEN EN HAUSSE DE PRIX MAIS EN BAISSE DE PRODUITS

Et là où avec les éleveurs et producteurs de proximité, Cyril Bonnier peu savoir d’où viennent toutes ces augmentation car ils les détaillent dans un document, les grands groupes et industriels refusent quant à eux, de fournir le détail des augmentations, entretenant ainsi le flou sur la réalité du prix de fabrication. Conséquence directe du prix d’augmentation des produits alimentaires, les consommateurs se détournent de ceux qui coûtent le plus chers, viande de boeuf et poisson notamment, enregistrant respectivement de 10 à 15% de baisse pour la viande rouge et de 15 à 20% sur le poisson. Quels leviers a donc le directeur de supermarché pour limiter les hausses de prix répercutées sur le consommateur ?

« Depuis 2019, j’ai fait des travaux considérables dans le magasin, dont des frigos fermés pour limiter les pertes de froid et l’éclairage à base de leds basse consommation. J’ai aussi installé sur le parking des panneaux solaires et je suis actuellement à 85% d’autoconsommation », livre Cyril Bonnier. Quant aux postes d’économies, ce sont les embauches qui risquent d’être en dernier lieu touchées : « Selon ce que le gouvernement va demander comme effort, on devra peut-être embaucher moins que prévu et se faire à l’idée qu’il y ait quatre cadis d’attente en caisse plutôt que deux ou trois… »

Peut-on néanmoins avoir des motifs d’être optimistes pour cette fin d’année ? Gérard-Marie Henry assure que oui, tout en restant prudent : « Le moral des entreprises n’est pas mauvais, même si le message de l’arrêt des réductions d’impôts de production de la part du gouvernement n’est pas bon. À part les inquiétudes sur le coût de l’énergie et sur le recrutement, les entreprises n’ont pas encore freiné leurs investissements ni leurs embauches. C’est aussi un élément positif pour le moral des ménages. La belle entreprise française n’est pas encore en péril ».