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Dîner-Débat : retraites, une réforme à plusieurs scénarios

Retraites. Les invités du club ForumEco ont débattu de la difficulté d’effectuer en France, une réforme en profondeur du système des retraites, sujet faisant l’objet de nombreuses et régulières crispations. Le tout sur fond d’explications de l’invité fil rouge, l’économiste et directeur du Cercle de l’Épargne, Philippe Crevel.

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Philippe Crevel
Philippe Crevel (à droite), économiste et directeur du Cercle de l’Épargne était l’invité fil rouge du débat. (Crédit : N. Desanti)

La réforme des retraites est un sujet qui concerne tout le monde. « C’est un miroir de la société, qui traite de tous les aspects : de la carrière professionnelle, de la pénibilité du travail, de la vie familiale, des employeurs, de la formation… », observe Philippe Crevel. Et c’est sans doute pour cela que la multiplicité des situations de ceux qui y sont confronté rend la réforme hautement explosive socialement. On se souvient des grèves et blocages de novembre 1995 après qu’Alain Juppé, alors premier Ministre, a proposé un « Plan » spécifique concernant les retraites et la sécurité sociale. Celui-ci prévoyait notamment un allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40 annuités pour les salariés de la fonction publique, mesure ayant déjà été décidée pour les travailleurs du secteur privé lors de la réforme Balladur des retraites de 1993.

UN SYSTÈME DE NOUVEAU DÉFICITAIRE EN 2023

Presque 30 ans après, Emmanuel Macron s’attaque à son tour à une réforme de grande envergure. Il organise trois cycles de concertation avec les partenaires sociaux et les groupes parlementaires jusqu’au début du mois de décembre avec comme objectif d’équilibrer le système de retraite qui, s’il enregistre à fin 2022, un excédent de 3 milliards d’euros, devrait de nouveau passer en déficit dès 2023 selon le dernier rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR). « Le conseil d’orientation des retraites (COR) dans son dernier rapport insistait sur le fait que la situation n’était finalement pas si dégradée que cela. Le déficit des régimes de retraite à l’horizon 2025 c’est une dizaine de milliards d’euros », indique Philippe Crevel.

« Et au regard du déficit de l’État, qui lui est de l’ordre de 150 milliards, ce chiffre peut ne pas paraître si important que cela. » Oui mais voilà, à l’interprétation des chiffres (les 10 milliards seraient en réalité plutôt 30 si l’on prend en compte les différents régimes spéciaux) s’ajoutent d’autres paramètres, dont la problématique de la main d’oeuvre et le taux d’emploi de la population, la démographie, la question du travail des seniors ainsi que celle non moins négligeable de la croissance.

RÉGIMES SPÉCIAUX

Les invités du Club ForumEco
(Crédit : N. Desanti)

Concernant les régimes spéciaux, l’économiste explique : « Si on prend par exemple le régime spécial des Mines, il n’y a plus beaucoup de mineurs en France. Mais il reste des retraités et s’il n’y avait pas de subventions d’équilibre, ils ne pourraient pas toucher leurs retraites. C’est donc l’État qui assure le versement des prestations via une subvention. Concernant la SNCF, il y a beaucoup de retraités du fait de la pyramide des âges et moins de cotisants, donc il est déficitaire. C’est la solidarité nationale qui assure l’équilibre de ces régimes. » Car outre les trois grandes caisses de retraite (le régime général, la Mutualité sociale agricole et le régime des indépendants), il existe onze régimes spéciaux (dont la fonction publique et le secteur de l’énergie). Et c’est bien cette multiplicité des régimes qui crée des crispations. En 2019, juste avant la crise sanitaire, la première réforme avait acté leur suppression suscitant un vaste mouvement social, des agents de la RATP aux avocats qui avaient jeté leur robe à terre.

« Le FMI a publié une étude sur la France, qui a besoin de réformes structurelles importantes, pour équilibrer ces finances publiques et assurer sa croissance dans les prochaines années »

« La réforme systémique qui était menée suivant le slogan ‘‘un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous’’ se basait sur l’instauration d’un système universel par point, qui s’inspirait de réformes mis en oeuvre en Suède, en Allemagne et en Italie. C’était une simplification, qui était d’ailleurs déjà dans les programmes politiques des années 90 », précise le spécialiste des questions d’épargne et de retraites, rappelant que ce système est « plutôt accepté par les Français » mais que la cristallisation s’était faite sur l’âge pivot à 64 ans. « À ce moment-là, on a mélangé un critère paramétrique avec une réforme structurelle. » Une volonté portée par le Premier Ministre de l’époque, Édouard Philippe, qui, pour mettre en oeuvre cette réforme de régime universel voulait le faire avec un système à l’équilibre absolu « et pour l’avoir, il fallait que cela soit 64 ans ». Or, dans un système par point, « la question de l’âge n’est pas vraiment indispensable », note Philippe Crevel.

DURÉE DE COTISATION LA PLUS LONGUE MAIS ÂGE DE DÉPART LE PLUS BAS DES PAYS DE L’OCDE

La France a un système assez complexe et spécifique où l’on a à la fois un âge légal de départ et une durée de cotisation. L’âge légal de départ est aujourd’hui fixé à 62 ans. « Un rapport de la Cour des comptes indique que la moitié part avant l’âge prévu. La durée de cotisation est la plus longue des pays de l’OCDE, 43 ans. » Les deux systèmes ne sont pas perçus de la même façon, l’âge légal est « un âge couperet » et la durée de cotisation dépend de « la carrière professionnelle ». La mesure d’âge légal, « si on la met à 65 ans, rapporte 20 milliards d’euros. Si on augmente la durée de cotisation d’une année, cela rapporte une dizaine de milliards d’euros. Ainsi, le report de l’âge légal est plus efficace que la durée de cotisation. C’est en revanche jugé moins social car ceux qui ont commencé tôt doivent quand même aller jusqu’à l’âge légal », note Philippe Crevel.


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Le choix de privilégier l’un ou l’autre système est donc éminemment politique : « La gauche est plus favorable à la durée de cotisation, c’est la réforme Touraine en 2014. Nicolas Sarkozy, avait pour sa part plutôt joué sur l’âge légal. » En moyenne, dans les pays européens l’âge de départ légal est de 65 ans avec une augmentation progressive à 67 ans dans les prochaines années. « En France, nous avons l’âge légal le plus bas des pays de l’OCDE. » Dans les dernières pistes, « on augmenterait de 4 mois par an à partir de 2024 l’âge légal pour l’amener progressivement assez rapidement à 64 ans, en 2028 et cela s’appliquerait dès la génération de 1962. L’idée serait aussi d’accélérer la durée de cotisation, qui serait effective pour la génération 1967. »

TAUX D’EMPLOI

Éric Kariger, Docteur en santé publique et Conseiller départemental
Éric Kariger, Docteur en santé publique et Conseiller départemental : « Les nouveaux seniors ont une espérance de vie qui stagne voire se dégrade, est-ce que c’est un élément que l’on peut intégrer dans le modèle ? ». (Crédit : N. Desanti)

Une réforme est-elle alors si urgente ? « Assurer le financement des retraites, diminuer le coût des pensions, augmenter la croissance potentielle, c’est tout cela qui est derrière l’objectif de la réforme des retraites », assure l’économiste. « Le FMI a publié une étude sur la France, qui a besoin de réformes structurelles importantes, pour équilibrer ces finances publiques et assurer sa croissance dans les prochaines années », note-t-il, précisant toutefois, que ce rapport a été réalisé en concertation avec le gouvernement. Néanmoins, si l’on continue dans les chiffres, l’objectif est aussi d’améliorer le taux d’emploi de la France. « Nous sommes environ à 35% de taux d’emploi au-delà de 60 ans. Ce dernier est nettement inférieur à celui de nos voisins, même si on a progressé : avant, nous avions ce taux dès 55 ans. Ceci est notamment lié au report de l’âge de la retraite à 62 ans en 2012. La moyenne se situe en Europe à un peu plus de 50% au-delà de 60 ans. »

23 MILLIONS DE RETRAITÉS EN 2050

Philippe Crevel
Économiste, Philippe Crevel est aussi fondateur de la Société d’études et de stratégies économiques Lorello Ecodata. (Crédit : N. Desanti)

Concernant le taux d’emploi général en France, il est de 64 % contre 75% pour nos voisins Allemands. « Dix points en dessous c’est énorme. C’est dix points de cotisation en moins, dix points d’impôts sur le revenu en moins, dix points de consommation moindre… Un taux d’emploi supérieur, c’est donc moins de déficit public et plus de croissance », alerte Philippe Crevel. « Or ce taux d’emploi sera le nerf de la guerre des 10 prochaines années, car il faut prendre en compte la démographie. On était à 5 millions de retraités en 1982, 17 millions en 2022 et les projections tablent sur 23 millions en 2050. »

Chaque année on compte ainsi 800 000 départs à la retraite. « Est-ce que le gouvernement mettra dans la loi les régimes spéciaux ? Est-ce que s’il n’a pas la majorité et une abstention notamment des Républicains, il passera en force avec le 49.3 ? Il est possible de l’utiliser encore une fois hors budget, sur un texte par an. Le risque étant que le débat qu’il n’y a pas eu à l’assemblée se transforme en révolte dans la rue », prévient Philippe Crevel.