Dîner-débat : "La reprise post-Covid s’essouffle-t-elle déjà ?"
Economie. Dans un contexte économique incertain, les invités du Club ForumEco ont débattu autour du thème « La reprise post-Covid s’essouffle-t-elle déjà ? », en présence de l’invité fil rouge, Louis Retornaz, directeur de la Banque de France Marne.
Premier constat du directeur de la Banque de France Marne, Louis Retornaz concernant la situation économique : l’économie française, tout comme les économies européennes, a subi trois chocs successifs : en premier lieu la crise Covid en 2020, la vigueur de la reprise ensuite qui, en 2021, a engendré des goulets d’étranglement mondiaux en termes de matières premières et délais d’apprivoisement, puis cette année, la guerre russe en Ukraine. « Nous avons donc un taux de croissance qui recule, voire un risque de récession et on a une inflation qui croit sur 2022. » Les points de surveillance concernent notamment l’énergie mais aussi le commerce mondial. « À date, au niveau des stocks de gaz européens, nous sommes au-dessus du niveau des stocks à pareil époque l’année dernière mais nous sommes en dessous de la moyenne 5 ans », précise Louis Retornaz. « En France, ces niveaux nous permettraient de tenir 56 jours hors des flux entrants… ».
INQUIÉTUDE ÉNERGÉTIQUE
Une inquiétude pour les entreprises très dépendantes énergétiquement comme les industries de forges ardennaises. « Toute l’activité sous-traitante risque d’être touchée s’il y a rupture d’approvisionnement ou de fortes restrictions. Certains scénarios sont plus catastrophiques dans le cas d’une rupture complète d’alimentation des réseaux gaziers… » s’interroge Thierry Ducoffe, président du Medef 08. « Ces impacts sont censés être pris en compte », se veut rassurant le directeur de la Banque de France Marne, alors que dans l’actualité internationale les gazoducs Nord Stream 1 et 2 sont victimes de fuites dans la mer baltique suite à des explosions… « Il n’y a qu’une dépendance partielle au gaz russe en France (17% ndlr.) » « Les sources de substitutions, ne pourront atteindre que 5 à 10% ce qui impactera forcement l’activité », rebondit Thierry Ducoffe. « Concernant les prix des matières premières, on a des indications de marchés et des prix du marchés. On pense que les prix de l’énergie vont stagner pendant deux ans, puis redescendre de manière modérée », juge le directeur de la banque de France Marne.
+2,6% DE CROISSANCE PRÉVUE
Pour autant, la Banque de France a conduit des projections macroéconomiques de septembre plutôt optimistes, basées sur le cycle des trois « R » : Résilience-Ralentissement-Reprise. « L’économie française résiste mieux que prévu aux chocs récents : nous avons même révisé légèrement à la hausse nos prévisions pour cette année en termes de croissance, qui s’élèvent désormais à +2,6% (contre +2,3% en juin). Car en 2020, il y avait une baisse de -3,1% au niveau monde, et en 2021 une reprise très forte de 6,1%. En France la récession a été très forte à -7,9% et une reprise de +6,8% soit plus que dans le reste de la zone euro à 5,4%. » En 2023, les prévisions de la BCE anticipent une croissance mondiale de 2% et de 0,9% « toute petite » pour la zone euro.
« S’ENGAGER À RAMENER L’INFLATION EN 2024 AUTOUR DE 2% »
Les pics inflationnistes sont-ils pour autant passés ? « Nous étions à 3,2%, en 2020, au niveau monde, à 4,7% en 2021 et on prévoit 7,8% en 2022. En France, la hausse de l’inflation s’est amplifiée ces derniers mois, atteignant en août + 6,6% selon l’indice harmonisé européen des prix à la consommation », indique Louis Retornaz. « Nous ne sommes jamais à l’abri de rien. À l’heure actuelle, si on prend les projections des chefs d’entreprises, dans les enquêtes de conjoncture, les hausses de prix sont moindres sur la dernière période. » Ce niveau élevé reste néanmoins, grâce notamment au bouclier tarifaire, le plus bas de la zone euro, dont la moyenne d’inflation s’établit à 9,1%. « Le bouclier tarifaire plus les aides à la pompe auront coûté 26 Mds d’euros. »
« Le budget de l’État en France prévoit une croissance de 1% et nous prévoyons pour 2023, entre 0,5 et 0,8% de croissance »
Ainsi, la forte inflation « qui ne profite à personne » est prise très au sérieux, avec une ambition pour la BCE : s’engager à ramener l’inflation en 2024 autour de 2%, là où une fourchette d’inflation a été retenue pour 2023, entre 4,2% et 6,9%, avec un « scénario de référence » à 4,7%. « Ramener à 2% c’est très ambitieux. » Le risque actuellement est un risque de stagflation avec des conséquences multiples, dont en premier lieu la perte du pouvoir d’achat. « Notre mission principale en tant que Banque de France est la stabilité des prix, la lutte contre l’inflation, mais il est dit aussi dans nos statuts, définis par le code monétaire et financier que ‘‘sans préjudice de cet objectif principal nous devions, de soutenir le pouvoir politique’’. Ainsi, la Banque de France ne travaille pas de manière détachée du pouvoir politique. La Banque centrale fera ce qu’il faut pour atteindre cet objectif fixé des 2% d’inflation. »
Et si, en 2020, le pouvoir d’achat a été préservé, cela a néanmoins entraîné « un certain poids de la dette ». En 2021, il y a eu en revanche un gain de 2%. « Le ‘‘quoi qu’il en coûte’’ a coûté une quinzaine de points de PIB. Et les marges de manoeuvre sont aujourd’hui réduites. » Comme la Banque de France gère aussi le surendettement, elle observe une résistance moindre dans les milieux ruraux. « L’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) s’élève à +4,1% en France et la hausse des prix se généralise aux biens et services – qui représentent l’autre moitié de l’inflation totale. C’est cette inflation plus « domestique » dont les banques centrales ont la responsabilité, et qu’elles ne doivent pas laisser déraper et persister », poursuit Louis Retornaz.
INJECTER MOINS DE LIQUIDITÉS SUR LES MARCHÉS
L’enjeu crucial reste donc de « muscler la capacité productive, afin de produire plus et mieux » afin de permettre à la fois, de réduire l’inflation et d’accroître le potentiel de croissance. « Il faut aussi investir massivement dans la transition écologique, métiers d’avenir, et sur la transition numérique. » La Banque de France peut aussi agir à travers les taux. « On fait essentiellement un rehaussement des taux court terme. Depuis 2016, le taux de refinancement des banques depuis 2016. Nous avons eu une hausse début juillet de 0,5% et en septembre de 0,75%. On a donc un taux de 1,25%. » Ces mesures devraient avoir un impact sur la baisse du taux d’inflation, mais pas de manière immédiate. Un deuxième levier serait d’injecter moins de liquidités sur les marchés.
Sur cette question, Gérard-Marie Henry, économiste, s’interroge sur l’adéquation entre les politiques menées au niveau national par les pays de l’UE et celle menée par la BCE, en prenant l’exemple italien et la récente victoire de l’alliance entre les partis « nationalistes ». « Le budget de l’État en France prévoit une croissance de 1% et nous prévoyons pour 2023, entre 0,5 et 0,8% de croissance. Sur les réformes, il faut une adéquation entre le pays et la Banque. » Le risque d’avoir une politique monétaire rigoureuse est de casser la croissance, d’où la nécessité de mener des réformes structurelles.
« De toutes façons, nous n’avons pas les moyens de faire un deuxième quoi qu’il en coûte. » « Faut-il élaborer un budget qui ramène à 3% de la dette ? Et l’augmentation des taux peut-elle avoir un impact sur la capacité d’investissement des États membres de l’UE ? », s’interroge Christophe Possémé. « Le problème est symétrique en politique budgétaire et en politique monétaire », explique Laurent Fourquet, directeur Marne de la direction générale des Finances publiques DDGFIP. « Il faut prendre en compte aussi bien la conjoncture que la situation socio-politique », poursuit-il.
ET LES ENTREPRISES ?
61% des entreprises ont vu leur chiffre d’affaires augmenter par rapport à 2019, année de référence. Le résultat net a augmenté dans la même proportion dans un contexte d’inflation, à ce moment-là, encore relativement limité. « Trois secteurs s’en sortent moins bien cependant : l’hébergement-restauration, l’électricité- gaz et les arts et spectacles. Mais la situation financière des entreprises est plutôt bonne en 2022. En moyenne, elles ont réduit leur dette en 2021 avec plus de 140 Mds de PGE et une trésorerie qui a augmenté », détaille Louis Retornaz. Au niveau national aussi bien que local, le nombre de défaillance reste très en dessous de celui de la période pré-covid, soit 34 000 défaillances à fin juillet, en France (contre 48 000 en 2019). « Sur la Marne c’est 168 défaillances en 2022 contre 229 en 2020 et 180 en 2021 », observe Jean-Marie Soyer, président du tribunal de commerce de Reims. « Cela concerne surtout des très petites entreprises », note-t-il. Concernant la balance commerciale, le solde est positif de 3 milliards dans le Grand Est dont la Marne, 1,7 Mds. « On a clairement des recettes fiscales positives dans les entreprises de l’ensemble du département », abonde Laurent Fourquet.