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Bilan en demi-teinte et prospective incertaine pour la construction régionale

Bâtiment et Travaux publics. Un coût exorbitant de l’électricité, un foncier devenu rare et cher à cause du dispositif Zéro Artificialisation Nette, construire devient de plus en plus cher. La dernière réunion Champagne-Ardenne de la CERC, révèle un optimisme des plus nuancés des professionnels pour l’avenir de la construction.

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Photo de Hervé Noël et Philippe Gayet
Hervé Noël et Philippe Gayet : « On peut-être optimiste pour l’avenir, après une année 2022 qui aurait pu être pire ». (Crédut : GD)

La réunion 2023 de la CERC, Cellule Economique Régionale de la Construction, seule structure d’analyse de la filière construction en région, réunissant tous les acteurs publics et privés et tous les métiers réunis, les banques et les services de l’Etat, a été, selon le mot d’Hervé Noël, Président de la Fédération des Travaux Publics du Grand Est, « la réunion des retrouvailles, après celle de 2018 » … Tenue à Châlons-en-Champagne, cette rencontre a évidemment fait le point sur l’état de la filière construction en Champagne-Ardenne.

Le bâtiment à la traîne dans la Marne

Philippe Gayet, Président de la Fédération du Bâtiment de la Marne, explique : « La construction dans la Marne, est à la traîne par rapport aux résultats du Grand Est, avec par exemple des entreprises locales du secteur du gros œuvre qui vont chercher des marchés en région parisienne.

Pourquoi cette situation ? La loi Zéro Artificialisation Nette, avec des exigences qui sont souvent plus écologiques qu’économiques et parfois des attitudes d’élus qui vont au-delà du réglementaire. Mécaniquement, les terrains constructibles deviennent inaccessibles.

Leur slogan ? Refaire la ville sur la ville. C’est une des problématiques qui fait que la construction de logements dans la Marne a baissé de 26%, contre +1,8% dans le Grand Est ».

Réponse d’un représentant de l’Etat : « Il existe dans la Marne une forte densité de logements sociaux qui cohabite avec une grande vacance de logements. Le but est de remettre le logement vacant sur le marché, avant de construire du neuf ».

Philippe Gayet en rajoute : « La promotion immobilière est, elle aussi, en souffrance de ce fait et du fait du coût de la construction. Les investisseurs sont en pleine expectative, avec en plus des crédits devenus plus chers ».

Le dispositif ZAN défavorable à la construction

Le dispositif ZAN, pour Zéro Artificialisation Nette, vise à réduire de 50% l’artificialisation des sols d’ici 2030 et de 100% d’ici à 2050. Encore en gestation, en réécriture décret après décret, il devrait être un équilibre entre le besoin de construire et la sauvegarde de l’environnement et s’avère conduire à une inflation du prix du foncier.


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Hervé Noël n’évite ni ce sujet ni les freins à l’activité de la filière :

« Nous aussi dans les Travaux publics nous sommes très sensibles à cette politique ZAN, avec des projets devenus de plus en plus longs à réaliser et de plus en plus coûteux. L’adaptation va demander de la patience. Je pense notamment, au-delà du bâtiment, aux installations industrielles qui représentent 30% de notre activité et qui nécessitent un grand travail d’anticipation et de préparation en amont des chantiers. Tout au long de 2022, les entreprises des TP ont envisagé un tassement de l’activité que le coût des énergies n’a certes pas atténué. La situation actuelle se traduit par un report des projets d’installations industrielles ».

Le Président de la Fédération des TP Grand Est reconnaît l’anticipation des collectivités régionales :

« Ce sont nos premiers clients et ils ont bien anticipé en élaborant le volet investissement de leur budget. On voit ainsi des projets émerger dans ce premier trimestre 2023. En deux ans et demi, on constate, avec ce rattrapage, une augmentation d’activité de 15% dans l’ensemble de la construction ».

Anticiper pour mieux construire

Hervé Noël prévient : « Attention aux coûts encore à venir de la construction. Mesdames et Messieurs les élus, plus vous retardez vos investissements, moins vous pouvez être sûrs que demain ces coûts ne vont pas encore augmenter. Attention : si le coût du neuf est appelé à augmenter, nous avons pris beaucoup de retard dans l’entretien de l’existant, y compris en matière de travaux publics. Les réseaux vieillissent et certains ont largement dépassé leur espérance de vie ».

Sans oublier le problème crucial d’une eau qu’il va falloir mieux canaliser : « La réutilisation de l’eau usée en France, aux alentours de 2 ou 3%, est une des plus faibles en Europe. L’état des routes n’est pas immortel. La France n’est plus un modèle sur ce sujet. C’est la prise de conscience de la population qui nous rend optimistes. Entretenir plutôt que refaire entièrement coûte moins cher et réduit la production de gaz à effet de serre ».

L’optimisme de la Banque de France

Le Directeur Marne de la Banque de France, intervenant sur le thème de l’inflation, calme le jeu. La France, une des meilleures élèves de l’Europe sur le sujet, le rôle régulateur de la Banque Centrale Européenne, une inflation qui devrait se calmer d’ici à la fin de ce semestre, une croissance revue à la hausse, un chômage bien maîtrisé, Louis Retornaz, chiffres à l’appui, se montre plutôt optimiste.

Mais comme rien n’est gratuit, les taux du crédit devraient encore gagner un quart, voire un demi-point. Concernant la construction, il cite l’optimisme des entreprises du BTP, reflet d’une enquête prospective à fin mars auprès des professionnels, avec un léger bémol sur la rentabilité attendue des entreprises.

Il note, en accord avec les intervenants de la profession, l’actuelle dégradation des carnets de commandes dans le gros-œuvre et notamment dans la construction de logements.

Des bons chiffres pour l’économie marnaise

Dominique Mari, Conseiller départemental à la sortie de crise pour la Direction Départementale des Finances Publiques, donne « les bons chiffres du département de la Marne » et tout d’abord la progression du chiffre d’affaires global (13%) comparable à celle du Grand Est.

Dans la construction, la Marne (+11%) fait mieux que le Grand Est (+8%) et mieux que la moyenne nationale (+5,3%). L’activité manufacturière globale gagne 23% en 2022, le commerce 25%.

Dans un secteur très fragilisé par la crise, l’hébergement-restauration marnais progresse de 50% entre 2021 et 2022, deux fois plus que dans le Grand Est ou qu’en moyenne nationale.

Le bémol vient de l’augmentation modérée des investissements et du ralentissement des exportations, mais surtout de la décroissance des ventes immobilières.