Agronutris inaugure sa première unité de transformation d’insectes
Industrie. Agronutris, première société de biotechnologie française spécialisée dans l’élevage et la transformation d’insectes en protéines pour l’alimentation animale, dont le siège et le centre de R&D sont basés à Toulouse, vient d’inaugurer sa première unité de production industrielle à Rethel, dans les Ardennes (08).
C’est un énorme pas en avant que vient d’effectuer l’entreprise Agronutris, créée en 2011 à Toulouse, autour de la transformation d’insectes. Cette startup a opéré un virage stratégique en 2018, avec l’autorisation de la commercialisation des farines d’insectes au niveau européen. Encore assez nouveau en France et en Europe, ce secteur se développe à grande vitesse depuis quelques années. En effet, celui-ci est prometteur à bien des égards : économie substantielle d’émission de CO2, ressources quasi infinie, application dans la nutrition animale mais aussi humaine.
NEUF UNITÉS DE PRODUCTION À HORIZON 2030
« Depuis une dizaine d’années, le secteur de la transformation d’insectes s’est fortement professionnalisé et depuis peu, industrialisé. Une dizaine d’entreprises sont implantées en Europe, ce qui en fait encore un secteur de niche mais avec d’énormes potentialités », explique Christophe Derien, Secrétaire Général de l’International Platform of Insects for Food and Feed (IPIFF). Et pour cause, la transformation d’insectes pèse aujourd’hui 1 milliard d’euros dans l’investissement en R&D et en infrastructures, avec « d’ici à 2030, la capacité de produire 500 000 tonnes par an de protéines animales ».
« L’élevage d’insecte produit 30 à 50 fois moins d’émissions en CO2 que l’élevage de boeuf », pointe ainsi Mehdi Berrada, Président d’Agronutris. Ce secteur qui génère 1 000 emplois actuellement en Europe devrait voir ce chiffre multiplié par 30 ces prochaines années. D’ailleurs Agronutris prévoit, après l’implantation de son premier site de production à Rethel, de créer neuf autres unités à horizon 2029-2030.
NUTRITION ANIMALE ET ÉCONOMIE CIRCULAIRE
Si pour l’instant les applications concernent uniquement la nutrition animale (aquaculture et animaux de compagnie chiens et chats), l’enjeu est bien de conquérir le marché de la nutrition des êtres humains, pour lequel Agronutris a d’ores et déjà obtenu une autorisation. Mais pour l’instant, telle n’est pas l’actualité de la société co-présidée par Cédric Auriol et Mehdi Berrada. Lancé en septembre 2021, le chantier de l’usine de 16 000 m2 est quasiment arrivé à son terme, avec 10 mois d’intenses travaux, portés par le groupe rémois Pingat et Engie notamment. « Engie Solutions finance 14 millions d’euros d’installations énergétiques du site », annonce Damien Terouanne, Directeur général délégué Engie Solutions. « Nous nous inscrivons dans la durée, car la fourniture de chaleur sera renouvelable et locale grâce à une chaufferie biomasse de 2MW. Ce seront aussi, 2 690 tonnes de CO2 évités. »
Jean-Claude Pingat, du groupe éponyme, se félicite quant à lui de revenir à Rethel, « là où le premier silo porté par l’entreprise, a été construit, en 1948. » Le choix de l’implantation dans les Ardennes, au sein de la ville de Rethel a été effectué en fonction de « la proximité de gisements de coproduits, qui correspondent à l’alimentation donnée aux insectes, en l’occurrence, la mouche soldat noir (BSF) », explique Cédric Auriol. « Nous sommes sur un métier où l’intérêt va être de trouver des produits à très faible valeur ajoutée pour nourrir les insectes et en faire des ingrédients de haute qualité. Ici, nous sommes à proximité de la plateforme agro-industrielle Pomacle Bazancourt qui nous permet de récupérer les co-produits (copeaux de pommes de terre, pulpe de betteraves, drêches de blé) à valoriser sur le site. »
60 EMPLOIS
Une première partie de l’usine servira donc à apporter la matière première pour nourrir les larves et pour les faire grandir. L’autre partie servira à récupérer le « frass, c’est-à-dire le compost que créent les insectes », détaille Jérôme Posadas, Responsable projet industriel et ingénierie chez Agronutris. « D’un côté, nous aurons les larves qui serviront à produire la farine de protéines et de l’autre ce frass qui sera du compost exploitable. » Concrètement, les premiers bâtiments serviront à recréer le cycle de production des insectes : les femelles vont pondre à un endroit spécifique, puis les oeufs seront mis en incubation. Les larves qui en résultent, seront ensuite placées en « nurserie ».
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« Au bout d’une semaine, une partie des larves sera utilisée pour la bio-conversion, quand l’autre partie servira à un second cycle de reproduction en devenant une mouche », précise Jérôme Posadas. Pour permettre ces élevages, l’usine doit produire de la vapeur et de l’eau glacée. « Ce sont nos énergies. Nous avons besoin de la vapeur dans nos process industriels de transformation. Cette vapeur nous permet de produire de l’eau chaude. Eau chaude et eau glacée vont être amenées sur des centrales de traitement d’air qui vont apporter les conditions en température et en humidité pour les différents stades de vie : nurserie, élevage, volière. »
Un troisième bâtiment, dont les travaux démarreront en septembre sur le site, servira d’unité biomasse. Les équipements de process arriveront sur site début août, les premiers insectes arriveront, eux, début octobre 2022 pour créer les premières colonies 100% rethéloises pour une capacité de production de 5 000 tonnes de farine et de 70 000 tonnes de co-produits par an. Pour y arriver, soixante emplois seront à terme créés à Rethel et 200 d’ici 2024 sur plusieurs unités (140 emplois dans le Grand Est et 60 en Occitanie).
UN INVESTISSEMENT DE PLUSIEURS DIZAINES DE MILLIONS D’EUROS
Au niveau de l’investissement, si les co-dirigeants ne souhaitent pas communiquer « en raison de la forte tension sur les investissements dans le secteur de la transformation d’insectes qui devient très concurrentiel », on peut en revanche dire qu’Agronutris a bénéficié de subventions du Plan France Relance à hauteur de 8,2 millions d’euros. Ce Fonds de soutien à l’investissement et à la modernisation de l’industrie vise à soutenir les projets d’investissement industriel dans six secteurs stratégiques : l’aéronautique, l’automobile, le nucléaire, l’agro-alimentaire, la santé, l’électronique et les intrants essentiels de l’industrie.
« Pour donner un élément économique, nous avons finalisé en septembre 2021, une levée de fonds de 100 millions d’euros, pour financer notre déploiement industriel, dont une part significative était allouée au financement de ce premier site », confie néanmoins Cédric Auriol. Deux fonds d’investissements ont fortement participé au financement, SPI, Société de Projets Industriels de Bpifrance, ainsi que le Fonds Mirova, leader en Europe dans le financement des « entreprises à impact environnemental ».