Les enjeux énergétiques à l’échelle des territoires
Territoire. Lors du colloque intitulé “les énergies renouvelables et notre territoire” organisé à Epernay par le Think Tank Droits de Cité, acteurs publics et privés ont débattu des solutions d’avenir à l’échelle territoriale alliant les intérêts économiques et la préservation des enjeux environnementaux.
C’est un fait communément admis, le changement climatique a aujourd’hui des effets sur la santé publique, sur la chaîne du vivant, sur la gestion des risques naturels (inondations, crues, érosion…) mais aussi sur nos modes de vie et sur nos villes. Le coût de l’énergie carbone, ses effets sur l’économie mondiale et en termes de pollution imposent un changement de paradigme sur la fabrication de l’énergie.
C’est à partir de ce constat que le Think Tank Droits de Cité a organisé un colloque à Epernay sur le thème : "Les énergies renouvelables et notre territoire". Une manière d’aborder une question universelle à l’échelle locale.
« Notre proposition est basée sur une idée assez simple, c’est que les énergies renouvelables doivent être adaptées à leur territoire, c’est à dire que la géographie du site doit générer ces énergies renouvelables, surtout quand on sait qu’elles sont beaucoup moins denses que les énergies carbonées et aussi moins régulières », avance Jean-Michel Jacquet, président du Think Tank Droits de Cité.
« Nous avons développé un concept autour de l’idée d’en faire un poumon vert régional. La région Grand Est est une réserve naturelle pour l’Europe occidentale, une sorte de puits de carbone à l’échelle continentale entre la vallée du Rhin et la région parisienne qui dispose d’une réserve naturelle de 400 kilomètres de long qui va du nord des Ardennes jusqu’au sud des Vosges. »
« Ce poumon vert régional serait un projet fédérateur et écologique qui donnerait une identité européenne à notre région. »
« C’est une chance qu’il faut saisir. D’autant que l’Europe vient de se doter d’une fiscalité carbone applicable à partir d’octobre 2023. Ainsi, potentiellement, le poumon vert peut constituer une ressource économique considérable ».
L’idée est simple : valoriser 20 000 kilomètres carrés de patrimoine végétal. « Cela permettrait à des départements qui sont pour certains frappés par une forme de déshérence, d’accéder de cette manière à une énergie propre, peu coûteuse et source d’emplois. C’est une occasion majeure de valoriser la biodiversité pour préserver la chaîne du vivant à une grande échelle et valoriser les mobilités douces ».
Ne pas opposer les énergies.
Maire d’Epernay et président de la Région Grand Est, Franck Leroy, est depuis longtemps convaincu que la question écologique et énergétique doit de plus en plus s’imposer aux décideurs nationaux et territoriaux, publics comme privés.
« La question qui se pose à nous, c’est est ce qu’on se contente de gérer notre quotidien tranquillement ou est ce qu’on prépare l’avenir des générations futures ? J’ai tendance à penser que l’intérêt du politique, c’est aussi de porter le regard un peu plus loin et surtout de prendre des décisions qui vont non seulement engager les acteurs d’aujourd’hui, mais aussi enclencher des dynamiques positives pour l’avenir ».
Il s’agit donc d’un véritable changement de paradigme, et non pas d’un simple « rafistolage », insiste t-il. « Chaque territoire n’a pas de montagne ou de fleuve pour faire de l’hydroélectricité. Certains sont plus ensoleillés que d’autres. D’autres sont plus venteux . D’autres encore ont une puissance agricole et une quantité de biomasse infiniment supérieure à d’autres régions. Ce qui fait qu’aujourd’hui chaque territoire a sous ses pieds ou dans l’air qui l’entoure, une source d’énergie dont on a besoin parce que nous aurons besoin, dans les années qui viennent, de beaucoup plus d’électricité qu’aujourd’hui ».
Pour le président du Grand Est, pas question de tirer un trait sur le nucléaire malgré le développement des énergies renouvelables. « Le nucléaire a incontestablement un avenir important. Mais on aura besoin d’autres énergies complémentaires et cela reviendra aux territoires de les produire. »
« Si on parvient dans nos territoires à produire cette énergie propre complémentaire, c’est une source de richesse et une valeur ajoutée qui va rester sur les territoires, créer de l’emploi et asseoir une dynamique de développement. »
« Donc il ne faut surtout pas, comme certains le font, opposer les énergies ».
Il faut donc construire au niveau local, précise en substance celui qui a présidé au niveau régional l’élaboration du SRADDET, le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, qui définit une trajectoire énergétique pour arriver à la neutralité carbone en 2050.
Un objectif qui conduit à diminuer d’environ 55 % la consommation d’énergie par rapport à 2009, et d’augmenter par 3,2 les énergies renouvelables produites, parallèlement au développement du nucléaire.
L’hydrogène en proximité
« La priorité, c’est de rendre notre système plus sobre et plus efficace. La sobriété, c’est consommer moins d’énergie, c’est demain produire des bâtiments qui ne consomment pas d’énergie ou qui en produisent plus qu’ils n’en consomment. Il faut aussi également produire beaucoup plus d’énergies renouvelables qu’aujourd’hui. Le Grand Est est la première région française en matière de production d’énergie renouvelable en 2021 : 28,4 % de l’énergie que nous avons consommée dans le Grand Est est d’origine renouvelable ».
Patrick Ballu, Président du Conseil d’administration d’Exel industries, groupe leader dans la pulvérisation, est lui convaincu du potentiel territorial en matière de développement de l’hydrogène.
Il milite pour le développement de stations de proximité dans les campagnes notamment « Je suggère que l’on favorise dans la région la fabrication de l’hydrogène à partir des éoliennes, des fermes photovoltaïques, de la biomasse et de la transformation du méthane. Ensuite on pourrait livrer cet hydrogène dans les zones d’utilisation de manière souple avec des camions citernes spécialisés. L’électricité, du moins la voiture électrique, ne créé pas de pollution dans la ville, mais sa pollution en amont - pour la construire et extraire le lithium - sa pollution en aval - pour le détruire ou le recycler - sont aussi polluantes qu’une voiture à explosion. »
« L’idéal c’est la voiture électrique, pas avec un moteur thermique ou des batteries, mais avec une pile à hydrogène incorporée. »
« Une pile à hydrogène permet 1000 kilomètres d’autonomie, ce qui est formidable avec simplement 10 kg d’hydrogène, sachant que la consommation d’hydrogène c’est 1 kg aux 100 km. Un camion, c’est 5 kg pour 100 km. On peut imaginer une station locale d’entreposage temporaire, une petite station fixe qui alimenterait donc des voitures et plusieurs camions avant que le chargeur revienne. Il y a aussi des machines agricoles, les tracteurs, les enjambeurs. Si on pouvait avoir dans les vignes de Champagne-Ardenne, des machines fonctionnant avec des piles à hydrogène, ce serait parfait. On aurait la pureté de l’air, le silence et l’autonomie qui permettrait de travailler jour et nuit. Et ça, c’est possible. Il faudrait simplement qu’on puisse les recharger. Le mieux, c’est donc d’avoir une mini station de proximité et une station mobile qui l’alimente ».
Les enjeux énergétiques à l’échelle des territoires lors du colloque intitulé “les énergies renouvelables et notre territoire” organisé à Epernay par le Think Tank Droits de Cité, acteurs publics et privés ont débattu des solutions d’avenir à l’échelle territoriale alliant les intérêts économiques et la préservation des enjeux environnementaux.
Une cinquantaine de personnes ont débattu lors du colloque organisé par le Think Tank Droits de Cité à Epernay en présence de Franck Leroy, président d’Epernay Agglo et président de la Région Grand Est, Jean-Michel Jacquet, président du Think Tank Droits de Cité, Patrick Ballu, Président du Conseil d’administration d’Exel industries, Jean-Yves Lacaugiraud, directeur du SIEM 51 et Thierry Hamerel, directeur de Luzéal (debout à droite).
Luzéal est une coopérative située dans le nord de la Marne dont le cœur de métier est la déshydratation de la luzerne et de produits principalement destinés à l’alimentation animale. Dirigée par Thierry Hamerel, elle compte cinq usines de déshydratation pour en extraire 20 000 hectares de luzerne.
>LIRE AUSSI : L’autoconsommation collective fait aussi son chemin
« La déshydratation est un process très énergivore, qui nécessite de produire de l’air chaud pour évaporer l’eau contenue dans les différents produits, précise le directeur. En 2009, dès la création de la coopérative, on s’est dit qu’on ne pouvait pas continuer à utiliser autant d’énergie et surtout de l’énergie fossile, et particulièrement le charbon, qui était l’énergie utilisée dans nos installations. On s’est donné comme objectif, d’atteindre une diminution de 50 % de nos consommations d’énergies fossiles en dix ans.
Nous avons réduit de 25 % nos consommations d’électricité par tonne de produit. En 2019, après avoir fait moins 50% on s’est donné un nouvel objectif : que notre mix énergétique restant soit composé de 75 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2025. Aujourd’hui on n’est plus qu’à 4 % d’énergie fossile utilisée par rapport à notre référence de 2009. Et comment est ce qu’on a fait ça ? C’est effectivement en réduisant la consommation d’énergie, mais aussi en consommant de plus en plus de biomasse ».
Initiatives publiques et privées
Le SIEM 51 a lui, décidé, de s’orienter vers la mise en œuvre de petites fermes photovoltaïque, comme l’explique Jean-Yves Lacaugiraud, son directeur. Le Syndicat intercommunal d’énergie de la Marne qui regroupe les 613 communes et intercommunalités du département et est le propriétaire de l’ensemble des réseaux de distribution publics de l’électricité.
« Sur ce marché, il y a de la place pour tout le monde. Les grands énergéticiens, eux, veulent faire de la grande ferme solaire parce que ça a un caractère économique intéressant, mais néanmoins il reste une place pour les petites productions des sites inférieurs à un hectare de deux, trois, quatre, cinq, 6000 m2 qui permettent d’utiliser des surfaces inutilisées dans les communes notamment. On travaille avec des communes qui ont des vieilles décharges, des terrains de sport abandonnés, des terrains impropres à la culture, etc. pour y installer des petites fermes solaires qui permettront de l’autoconsommation collective, qui permettront aussi aux collectivités de faire baisser leurs coûts de facture électrique ».
La révolution de l’autoconsommation
Ces ensembles d’initiatives publiques comme privées s’additionnent pour rendre le territoire plus vertueux.
« Tout le monde est concerné : ça peut être l’entreprise, ça peut être l’organisme logeur, ça peut être la collectivité. Surtout quand on voit aujourd’hui ce que coûtent les énergies fossiles »
, rappelle Franck Leroy.
« L’une des révolutions que l’on vient de vivre ces dernières années, c’est le principe d’autoconsommation collective. C’est à dire qu’on peut produire sa propre énergie si on a une piscine à chauffer, si on a une consommation d’énergie importante chez soi, on peut produire sur sa toiture ou sur son terrain, sa propre énergie et l’utiliser. Si on a besoin d’un reliquat, on va le chercher sur le réseau ou si on a trop d’énergie par rapport, on revend le surplus. Pour les agriculteurs par exemple, cela permet un revenu complémentaire.
On va conforter leur exploitation à condition qu’évidemment l’énergie ne devienne pas la partie dominante de son exploitation. On va ainsi créer un nouveau système économique complémentaire qui va nous permettre collectivement, petit à petit, de passer de l’utilisation des énergies carbonées aux énergies renouvelables ».
Puits de carbone régional
« Très peu de régions peuvent se prévaloir d’un tel patrimoine et d’une telle densité végétale, que le nôtre, ajoute Jean-Michel Jacquet. Il faut considérer que notre richesse de demain, elle est là, sur le plan de la santé publique. Elle est là aussi sur le plan de la valorisation par rapport a un marché du carbone. Les années passées, des sociétés internationales rachetaient leur vertu en allant racheter des tonnes de carbone en Amazonie. Or, la région Grand Est a un puits de carbone à l’échelle continentale, à l’échelle européenne, rien que sur le plan de l’énergie renouvelable.
Et c’est aussi un argument économique, parce que lorsqu’il faudra que la vallée du Rhin ou la région parisienne compensent leur bilan carbone, ce sera bien plus simple d’aller dans le poumon du Grand Est que d’aller en Amazonie ou en Equateur.
Notre idée est simple : notre richesse potentielle ce sont les hommes, c’est les femmes, c’est le territoire, c’est la végétalisation de ce patrimoine qu’il faut valoriser, qu’il faut mettre en œuvre. Et sans doute que demain ce sera notre chance ».
Pour Franck Leroy, les friches sont elles aussi sources de solutions pour implanter des projets en priorité : « Dans le Grand Est, nous avons environ 15 000 hectares de friches. Il y a des friches qui sont réutilisables, et aussi les friches qui sont fortement polluées en sous sol et qui ne reverront peut être jamais aucune activité humaine. Mais mettre des panneaux photovoltaïques sur une friche, c’est donner une finalité à un terrain qui est perdu malheureusement avant de nombreuses décennies et c’est intelligent. En revanche mettre du photovoltaïque au sol en lieu et place de l’agriculture, ça n’est pas acceptable. Parce que le défi alimentaire, il est au moins aussi important que le défi climatique ».
La Région va ainsi demander aux communes et aux communautés de communes de faire un inventaire de toutes les zones délaissées : des sites industriels aux carrières de gravier par exemple.
Pour une politique forestière en France
Le député marnais Charles de Courson défend quant à lui le développement des biocarburants : « On est aujourd’hui à 7 % d’incorporation de biocarburants dans les carburants. On pourra parfaitement progressivement passer à 10 voire 12 %, c’est technologiquement tout à fait possible. Concernant le bois, il y a des recherches, mais là on est technologiquement pas encore au point pour la rentabilité de ces filières, pour transformer par exemple du bois ou de la biomasse d’une façon plus générale en carburant ».
Au sujet du bois, le député émet d’ailleurs un regret : « Les forêts éco certifiées françaises ne sont pas éligibles à la bourse carbone. Pourtant, grosso modo, en France, la forêt absorbe à peu près 80 % des émissions de CO2. Je trouve qu’on devrait encourager tous ceux qui prennent des initiatives pour absorber le carbone ou réduire les émissions de CO2. Quand on a créé la bourse carbone, ça rapportait 500 millions, Maintenant, ça rapporte au moins 800 millions chaque année. On pourrait affecter une vingtaine de pourcent de ce que rapporte à l’Etat français la bourse carbone pour faire une politique forestière. Avec 160 millions, on pourrait faire une politique forestière en France ».
La taxe carbone peut aussi être un élément du sujet de la compétitivité, précise Charles de Courson : « On importe aujourd’hui plus de 20 % clinker (composant du ciment) français, du Maroc, de l’Egypte. Pourquoi ? Parce qu’on a imposé à l’industrie cimentière européenne des conditions drastiques pour réduire leurs émissions, ce qui fait que le coût de production est beaucoup plus élevé en Europe. La seule solution raisonnable, c’était donc de créer une taxe carbone aux périphéries de l’Union. C’est ce qui vient d’être lancé sur cinq produits à très forte composante énergétique dont le ciment et l’aluminium. C’est indispensable, sinon on va tuer nos industries européennes ».
Des boucles vertueuses sur les territoires
Rebondissant sur l’exemple de l’unité de centrale à charbon de Saint-Avold exceptionnellement rouverte pour faire face aux besoins en électricité cet hiver, Franck Leroy rappelle que celle-ci va verser en taxe carbone (et donc en compensation carbone) pas moins de 35 millions d’euros en contrepartie de quatre mois et demi de production.
« Ces 35 millions d’euros vont être investis dans la biodiversité locale. C’est à dire pour financer des plantations de forêts, des plantations d’arbres, des actions au titre de la biodiversité. Comme quoi le système peut devenir vertueux. Depuis deux ans à Epernay on voit des entreprises qui viennent nous voir pour nous dire qu’elles sont prêtes à planter des arbres au titre de la RSE ou de la compensation. Elles nous disent : « Trouvez nous des espaces, on prend en charge les plantations ».
« Il faut qu’on s’intéresse à des projets locaux dans lesquels la filière financera des projets de compensation carbone. »
« J’ai pris l’engagement sur six ans de planter 100 000 arbres à l’échelle de l’agglomération d’Épernay. Au niveau de la Région, on a annoncé 1 million d’arbres.Il y a de l’intelligence sur les territoires, il y a la ressource, il y a des capacités de production d’énergies locales qu’il faut utiliser. On peut donc très bien avoir des boucles vertueuses à l’échelle des territoires qui vont produire leur propre énergie, qui vont pouvoir faire de la compensation carbone. C’est un projet sur lequel on travaille dans le Grand Est avec la création d’une agence des transitions qui inclura notamment la transition carbone, c’est à dire la possibilité de collecter le carbone au bénéfice de nos territoires et notamment au service de la biodiversité, de la de la régénération de la nature qui elle même enclenche un cycle vertueux ».