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Jean Rottner : « Le Grand Est milite pour un partage équitable des responsabilités »

Région. Le 18 Juin 2022 fut un moment de réflexion sur les cinquante ans de la création des régions françaises. Qui mieux que Jean Rottner, Président de la Région Grand Est, pour estimer ce chemin parcouru, le bien-fondé de cette collectivité quinquagénaire et son avenir ?

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Grand Est - Région - 50 ans - Jean Rottner
Jean Rottner, président de la Région Grand Est : « La Région est dans le quotidien de ses habitants ». (Crédit : DR).

Jean Rottner, le 7 juillet 2022, les Régions fêteront leur cinquantième anniversaire. Réformes après réformes, de 1972 à aujourd’hui, elles ont connu, entre décentralisation et déconcentration, quatre Actes d’évolution de leur statut : les lois Defferre de 1982 et 1983, de plein exercice de la collectivité, les lois Raffarin de 2002-2004, sur l’autonomie et la reconnaissance constitutionnelle, la Loi NOTRe du gouvernement Valls sur le nouveau découpage entré en vigueur en 2016 et enfin la loi 3DS du gouvernement Castex en 2021. Que vous inspire cette histoire, à la fois de décentralisation et d’avènement des Régions ?

« Reste à imaginer un nouvel acte qui concerne une véritable décentralisation, c’est-à-dire un partage équitable des responsabilités entre l’Etat et les territoires. Ce n’est pas forcément pour les Régions une demande d’encore plus de compétences. Comment peut-on faire mieux ensemble ? Voilà la vraie question. Il nous faut une décentralisation qui respecte la réalité de chaque territoire. Aux Régions d’être des forces de proposition. L’Etat doit lâcher du lest.
La meilleure des décentralisations est ce qu’il se fait sur les territoires, avec également plus de moyens d’agir de l’ensemble des préfets exerçant dans les régions. Il faut un équilibre entre les Régions et l’Etat dans les régions. La question est aussi de dire qui est le mieux, des Régions ou de l’Etat pour impulser les bonnes décisions sur le terrain ».

Des exemples de ces thématiques prioritaires qui peuvent facilement convenir à ce schéma que vous évoquez ?

« On peut ici évoquer les énergies renouvelables, le cadre national fixé est normal, mais il appartient aux collectivités locales d’agir au plus près dans cette stratégie. Prenons la consommation du foncier, la compensation de l’artificialisation ne peut se faire que dans une vision large dont disposent les Régions. Dans la santé, autre sujet, nous avons la possibilité d’être encore plus actifs. Le Grand Est- est la seule région de France à avoir décidé de consacrer des fonds européens à l’aide aux établissements hospitaliers et on l’a fait en lien avec l’Agence Régionale de Santé et l’Etat, dans le cadre de notre Plan de relance.
Les solutions intelligentes peuvent venir du territoire et nous les partageons. C’est une capacité de choix et de liberté que nous réclamons. Il ne s’agit nullement de compétition entre tel ou tel autre échelon ».


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Dans cette histoire de la décentralisation en France, le nombre des régions métropolitaines est passé de 22 à 13, avec deux arguments, parmi d’autres : des régions plus fortes pour rivaliser avec d’autres grandes régions européennes et des économies financières de gestion. Six ans après la mise en œuvre de ce découpage, votre opinion sur ces deux arguments ?

« Nous avons réussi sur les deux arguments. Aujourd’hui, le Grand Est est la troisième région de France en matière d’investissements et d’implantations d’entreprises étrangères. Les trois anciennes régions, l’Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne n’auraient pas pu accéder à cette place.
Quant aux économies : hier 600 M€ d’investissements et aujourd’hui 1,3 Md€. Pour investir, il faut faire des économies et nous y parvenons en réduisant les frais de fonctionnement ».

Communes, intercommunalités, départements, régions, qui fait quoi, en termes de compétences, exclusives, déléguées ou partagées ? Ce statut de chef de file de la Région sur certaines compétences partagées ne masque-t-il pas l’absence, pour la région, d’un pouvoir législatif ou réglementaire ou de tutelle sur les autres collectivités territoriales ?

« Que la Région soit dominante ne m’intéresse pas. Chef de file ne signifie pas être le patron. Le Chef de file est celui qui anime et qui est capable de se mettre en retrait quand d’autre sont mieux placés pour agir. La Région n’est pas là pour faire à la place des autres collectivités ».

Bien des réformes ont tenté en vain de mettre fin au fameux « mille-feuille » administratif français. Quelle place constatez-vous pour la Région, quelle place serait souhaitable ?

« Il y a un besoin de clarification sur les compétences partagées, comme sur certaines compétences nouvelles. Un exemple : les Départements s’occupent du médicosocial pour les personnes âgées ou pour les handicapés, on pourrait étendre cette compétence à l’ensemble de la chaîne médicosociale ».

Budget après budget, la Région évoque le manque d’autonomie financière et surtout l’écart entre les transferts de compétence et les moyens. Que devrait être une véritable autonomie financière des Régions ?

« L’Etat est mauvais payeur, je le confirme. Il vient même parfois faire les poches des collectivités territoriales. Je rappelle la libre administration de ces collectivités et donc la possibilité de lever l’impôt. Aujourd’hui, nous sommes sous le régime des dotations d’Etat. Nous réclamons une fiscalité dynamique, comme par exemple le choix que nous avons fait dans l’augmentation du coût de la carte d’immatriculation des véhicules, un choix qui profite directement à notre capacité d’investir.
Quand nous faisons un résultat de 69 M€ pour l’exercice 2021, cette somme va directement en investissement pour 2022. Nos coûts d’intervention, ne serait-ce que pour les lycées, augmentent considérablement. Ce résultat nous permet de faire face. Nous gérons bien, nous améliorons nos capacités de remboursement de la dette. Est-ce que cela va durer ? Nous avons eu besoin d’investissements massifs, par exemple dans le TER ou dans les lycées, et donc d’emprunts auxquels nous faisons face ».

Le grand public ne connaît pas ou connaît mal la Région, un constat valable avant et après la réforme de 2016. Que faire ?

« La Région est dans le quotidien de ses habitants, dans les trains, dans les bus, dans les lycées, dans la formation, dans les entreprises, dans la défense de l’environnement. Les décideurs du Grand Est savent qui nous sommes et ce que nous faisons. Que nous vivions à l’ère des mondes parallèles qui ont du mal à se parler est un fait. Il va bien falloir un jour parler collectif ».

Dans l’actualité, de la création de la Collectivité Européenne d’Alsace à la création d’une 14e région métropolitaine… Votre opinion ?

« Je suis serein sur ce sujet. Pour moi, il n’y aura pas une nouvelle région Alsace. Le Grand Est, tel qu’il existe aujourd’hui est le fruit d’un choix démocratique. Le pacte Ardenne, en matière de différentiation et de déconcentration est beaucoup plus actif que ce que l’on a offert à la nouvelle Collectivité Européenne d’Alsace. Je crois que les habitants du Grand Est, Alsaciens évidemment compris, peuvent être fiers de leur région ».