Grand Est : 10 ans plus tard, retour sur la création des Régions XXL
Région. Voici dix ans, par deux fois, le législateur bouleversait le paysage régional : un nouveau découpage de 22 à 13 régions (loi du 16 janvier 2015), une redistribution des compétences entre collectivités locales (loi du 7 août 2015). L’idée centrale : des Régions plus grandes, plus fortes et moins coûteuses en fonctionnement. Bilan de ces réformes dans le Grand Est et jugement du Président Franck Leroy : « Un découpage pertinent, en attendant le pouvoir normatif des régions ».

L’histoire des Régions françaises remonte à 1960, avec la création de 21 circonscriptions d’action régionale. Depuis, une quinzaine de lois et décrets est venue remodeler le paysage de la décentralisation. Un décret de 1964 précise le but de cette réforme : pas question de créer un nouvel échelon administratif mais simplement de mettre en place un relais entre le pouvoir central et les Départements.
L’une des questions du référendum de 1969, rejeté par le vote national, concerne la consécration de la Région comme collectivité territoriale, dotée de compétences sur l’activité économique, sociale et culturelle. Trois ans plus tard, la loi institue la Région au rang d’établissement public à vocation spécialisée. À l’automne 1972 se réunissent en séance plénière les premiers conseils régionaux, composés de représentants des conseils généraux, des principales municipalités et des parlementaires.
1981, la région devient une collectivité territoriale
À partir de juillet 1981, les différentes lois menées par Gaston Defferre, Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation du Gouvernement de Pierre Mauroy, donnent à la Région son statut de collectivité territoriale. Entre 1981 et 1983 elles prennent forme : élection des conseillers régionaux au suffrage universel, suppression de la tutelle étatique exercée sur les communes et les départements, avec réduction de la compétence des préfets, dégagement de ressources propres par les régions. La loi de 1983 répartit les compétences entre les communes, les Départements et les Régions. La première élection au suffrage universel se déroule le 16 mars 1986.
« La réforme territoriale vise trois objectifs : réduire les coûts de fonctionnement, décomplexifier le "mille-feuille territorial" et créer des territoires à taille européenne. »
Il faudra attendre 18 ans pour que de nouvelles lois remodèlent les Régions. En 2004, loi sur l’autonomie financière des collectivités territoriales et sur le transfert de certaines compétences de l’Etat à celles-ci. En 2014, la loi MAPTAM, Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles, rétablit la clause générale de compétence des Régions et des Départements et instaure la Région comme chef de file en matière de développement économique, d’aides aux entreprises, de transports, de biodiversité et de transition énergétique.
2015, 13 régions métropolitaines au lieu de 22
La loi du 16 janvier 2015 modifie profondément la géographie régionale de la décentralisation : la Métropole compte désormais 13 Régions au lieu de 22 précédemment. Le redécoupage maintient les périmètres de six d’entre elles : Bretagne, Corse, Ile-de-France, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Centre, cette dernière changeant cependant de nom pour devenir Centre-Val de Loire. La loi instaure, par fusion d’anciennes Régions, sept nouveaux périmètres : Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Hauts-de-France, Normandie, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie.
La nouvelle délimitation des périmètres conforte cependant des contrastes remarquables existants. Au niveau démographique, le grand écart subsiste entre les 350 000 habitants de la Corse et les 12,4 millions de l’Ile-de-France. La loi du 16 janvier fait naître des méga-Régions : 13 départements pour l’Occitanie, 12 pour l’Auvergne-Rhône-Alpes, 12 pour la Nouvelle-Aquitaine et 10 pour le Grand Est (Marne, Ardennes, Haute-Marne, Aube, Meuse, Moselle, Meurthe-et-Moselle, Vosges, Bas-Rhin, Haut-Rhin). Par ce redécoupage, cinq nouvelles Régions sont la fusion de deux anciennes. Deux nouvelles régions regroupent trois anciennes : la Nouvelle-Aquitaine et le Grand Est, cette dernière par l’addition de l’Alsace, de la Lorraine et de la Champagne-Ardenne. Le Grand Est devient ainsi la quatrième Région pour sa superficie et la septième pour sa population.
But premier de la réforme : grandir à moindre coût
La réforme territoriale, mise en place le 1er janvier 2016 vise trois objectifs : réduire les coûts de fonctionnement des régions (économies d’échelle et suppressions des doublons), décomplexifier le "mille-feuille territorial" et créer des territoires à taille européenne. L’effet indiscutable est bien l’augmentation mathématique de la taille démographique des nouvelles collectivités qui passent en moyenne de 2,9 à 4,8 millions d’habitants. Quant à atteindre la taille européenne, le législateur focalisé sur le « Big is beautiful » a certainement manqué de discernement : en admettant l’exception de l’Ile-de-France (12,4 millions d’habitants) Région inchangée par la réforme, ou celle de l’Auvergne-Rhône-Alpes (8,1 millions), en Allemagne, en Italie ou en Espagne d’autres dimensions s’imposent : 18 millions d’habitants pour la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, 13 pour la Bavière, 11 pour le Bade-Wurtemberg, 10 pour la Lombardie, 8 pour la Catalogne… Car la réforme a fait grandir les Régions sans, contrairement à d’autres régions européennes, leur donner un quelconque pourvoir sur les autres collectivités de leur territoire, ou encore disposer d’un pouvoir normatif.
La réforme n’a pas abouti aux économies annoncées
Dès 2019, la Cour des Comptes remarque : « Trois ans après la mise en oeuvre de la réforme, les économies de gestion annoncées ne sont pas au rendez-vous et la fusion a engendré des surcoûts importants ». Elle chiffre même cette croissance des dépenses de fonctionnement à 2 milliards d’euros dans les trois premières années de l’application de la réforme, croissance trois fois plus rapide dans les régions fusionnées que dans les autres. On est loin des 12 à 25 milliards d’économies à moyen terme annoncées par André Vallini, Secrétaire d’Etat à la Réforme, lors de la présentation de la loi effectuée sous le mandat de François Hollande.
« En matière d’investissement, dernière Région pour ses dépenses en 2018, le Grand Est est désormais leader national. »
En effet, les fusions n’empêchent pas l’augmentation des dépenses : entre 2015 et 2025, le budget du Grand Est est passé de 2 418 M€ (contre 1 102 M€ pour la Lorraine précédemment, 765 M€ pour l’Alsace et 640 M€ pour la Champagne-Ardenne) à 4 100 M€, soit une progression de 70%. Conclusion de la Cour des Comptes : « Toutes les Régions ont maintenus leurs dépenses de fonctionnement et les surcoûts proviennent notamment des dépenses de personnel ». Notons qu’il s’agit bien de salaires, les effectifs dans le Grand Est (7 700 salariés en 2025) n’ayant augmenté que de 2%. Sur ce sujet, la DGCL, Direction Générale des Collectivités Locales, estime à 21% la hausse des dépenses de personnel des Régions entre 2017 et 2023.
La Cour des Comptes cite le Grand Est en exemple d’un gros dérapage : « Des indemnités revues à la hausse de 28% entre 2017 et 2018 ». Près de cinq fois plus que pour les Hauts-de-France, Région qui avait alors refusé l’alignement indemnitaire par le haut. Globalement, les dépenses des Régions, sans oublier les effets de l’inflation, sont passées par la hausse des coûts de déplacement des agents, par l’alignement des salaires - des agents comme des élus - vers le haut et un par un certain accroissement du nombre d’agents, de la fonction territoriale ou de l’Etat. Quant à la volonté de décomplexifier le mille-feuille administratif français, la Loi NOTRe, sept mois plus tard, avait bien inscrit dans son projet la suppression des Départements, rejetée au cours du vote final.
Les conséquences de la loi NOTRe
Votée en août 2015, la loi portant sur la Nouvelle Organisation des Territoires de la République s’est appuyée sur le nouveau découpage administratif des Régions. Dans les grandes lignes, la loi supprime la clause générale des compétence attribuée aux Régions, capacité d’intervention dans les domaines non couverts exclusivement par l’Etat ou une autre collectivité territoriale. Désormais, seules les communes disposent de cette clause générale de compétence.
La loi NOTRe renforce le rôle des Régions en matière de développement économique. Les Régions deviennent notamment responsables de la politique de soutien aux PME et entreprises de taille intermédiaire. Elles disposent de deux schémas prescriptifs (SRDEII et SRADDT) en matière de développement économique, d’innovation, d’internationalisation et d’aménagement durable du territoire. Elles disposent du statut d’autorité organisatrice de l’intégralité de la mobilité interurbaine. De plus, la Région est chef de file dans les compétences partagées avec d’autres collectivités locales : tourisme, culture, sport ou encore égalité homme/femme. Sur ce dernier point, les économies d’échelle sont loin d’être évidentes.
De 2015, avec le cumul des trois anciennes Régions, Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine, à 2025, le constat d’inflation s’impose pour le Grand Est comme pour l’ensemble des nouvelles Régions. Les dépenses supplémentaires, directes et indirectes, s’énoncent de façon récurrente dans les budgets successifs, le fonctionnement des conseils régionaux, les effectifs et l’ajustement à la hausse des salaires, l’emprunt nécessaire aux investissements et son corollaire l’endettement.
Dix ans d’évolution dans le Grand Est
Petit tour d’horizon de l’évolution des agrégats financiers des budgets du Grand Est.
À périmètre égal, le budget primitif du Grand Est totalise 4 100 M€ en 2025, contre 2 418 M€ en 2015 (avec 1 012 M€ pour la Lorraine, 765 M€ et 640 M€ pour la Champagne-Ardenne), soit une augmentation des dépenses de 70%. Dans le même intervalle, l’inflation a progressé en France de 20%. En dix ans, le Grand Est a largement diversifié la nature de ses dépenses. Il est devenu, en moyenne par habitant, la première Région métropolitaine en matière de dépenses d’investissement et la deuxième en matière de dépenses de fonctionnement par habitant. À noter qu’en dix ans l’investissement du Grand Est a progressé de 110%, soit 2,3 fois plus que le fonctionnement.
Parmi les recettes d’investissement (subventions et dotations de l’Etat et de l’Europe, mais également autofinancement), l’emprunt s’avère être une variable d’ajustement de moins en moins négligeable et un abondement conséquent du niveau de la dette. Entre 2017 et 2024, celle du Grand Est, en passant de 2 369 à 2 764 M€, n’a cependant progressé que de 17% en six ans. Elle s’inscrit désormais dans la moyenne des Régions métropolitaines.
De 2018 à 2024, les dépenses de fonctionnement du Grand Est, par habitant, sont passées de 339 euros à 429 euros, soit une progression de 26,5%. Les dépenses d’investissement sont passées de 116 à 352 euros, soit +203%. Les charges de personnel ont évolué de 52 à 64 euros, soit + 23%. La dette, 409 euros par habitant en 2018, est de 480 euros en 2024. L’épargne nette, capacité de l’autofinancement des investissements, est passée de 22 à 36 euros par habitant, soit une progression de 63%.
En matière de dépenses de fonctionnement, le Grand Est est passé de la 6e à la 2e place des régions métropolitaine derrière les Hauts-de-France. En matière d’investissement, dernière région pour ses dépenses en 2018, le Grand Est est désormais leader, devant la Normandie et 56% au-dessus de la moyenne métropolitaine. La Région occupe la 6e position pour les charges de personnel et la 7e pour le montant de la dette par habitant. Enfin, son épargne nette reste depuis quatre ans dans la moyenne métropolitaine, tout en cédant 33% depuis deux ans. En résumé, des agrégats budgétaires dans la moyenne, avec des dépenses d’investissement au plus haut.
Pour plus d’informations : Franck Leroy, un 10e anniversaire entre satisfaction et volonté d’obtenir un pouvoir normatif régional