L’art de gouverner par les symboles
Gouvernement. Sitôt installé à Matignon, le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, a annoncé qu’il s’attaquait aux privilèges au sommet de l’État.

Sitôt installé à Matignon, le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, a annoncé qu’il s’attaquait aux privilèges au sommet de l’État. On se l’accordera, c’est une vieille antienne de la vie politique française qui n’a pas le charme de la nouveauté. Depuis de nombreuses années, chaque génération de responsables promet le grand ménage, avec son lot de mesures censées incarner une nouvelle exemplarité. À son tour, Sébastien Lecornu vient donc de relancer ce vaste chantier, les anciens Premiers ministres et anciens ministres n’ont qu’à bien se tenir. Leurs avantages sont devenus obsolètes, mais surtout, il est vrai, difficilement justifiables dans le contexte actuel.
Soyons clairs, sur le plan financier, l’impact de ces économies est minime. Ôter quelques voitures de fonction, réduire des secrétariats particuliers ou supprimer des facilités diverses ne résout rien d’un déficit compté en dizaines de milliards. Mais il serait trop simpliste de n’y voir qu’un geste superficiel. La politique, c’est aussi une affaire de symboles, surtout quand il s’agit de montrer que l’État, lui aussi, consent à des efforts dans une période où les finances publiques sont dans les profondeurs du gouffre.
« En s’attaquant à ces privilèges, le Premier ministre envoie un signal à l’opinion publique, l’exemplarité commence par le haut et ceux qui gouvernement doivent montrer l’exemple. »
En s’attaquant à ces privilèges, le Premier ministre envoie un signal à l’opinion publique, l’exemplarité commence par le haut et ceux qui gouvernement doivent montrer l’exemple. Il prend également le contrepied du sentiment d’injustice persistant face à des élites perçues comme intouchables. Ce même sentiment qui nourrit la défiance démocratique et alimente la colère sociale.
Dans le même esprit, Sébastien Lecornu souhaite réduire, voire supprimer, certains de ces fameux « comités Théodule » dont la France a le secret. Créés pour tout et pour rien, souvent aux missions floues, ils incarnent une tradition bien française, celle d’inventer des coquilles administratives où l’on loge, en toute discrétion, quelques proches ou anciens collaborateurs politiques. Des structures qui produisent peu, coûtent cher et symbolisent la complexité d’un État qui peine à se réformer lui-même.
Mais si tout ceci procède du bon sens, le Premier ministre ne doit pas se contenter de gouverner par les symboles. Car s’attaquer à des privilèges, certes anecdotiques, ou à des coquilles vides, tout le monde applaudit. Mais dès qu’il s’agit d’avantages plus substantiels, touchant à des statuts installés ou à des rentes solidement défendues, c’est une autre affaire car les compromis sont bien plus coûteux politiquement.
C’est là toute l’ambiguïté de ces annonces : elles marquent une volonté affichée d’exemplarité, mais elle ne peuvent se réduire à ces quelques économies et ces effets d’affichage. Les symboles sont importants, mais attention à ce que l’action ne reste pas dans le domaine du symbolique justement. Il faut donc pousser la logique plus loin que le sommet de l’État : dans les administrations déconcentrées, dans les agences publiques, et jusque dans les corporations qui peuvent bénéficier de dispositions qui n’ont plus lieu d’être.
C’est un chemin escarpé mais il en vaut la peine car c’est à ce prix que la confiance dans l’action publique pourra retrouver quelques couleurs.