IA : bien plus que de l’être ?
Technologie. Déjà bien plus que deux lettres ! Ceci est une révolution … Scientifique, technologique, technique, économique, social, culturel, sanitaire, et bien entendu démocratique, ce nouvel et prompt outil de l’Homme, inventé 3,3 millions d’années après les premiers galets taillés de Lomekwi, sera le principal patrimoine productif que l’actuelle humanité transmettra aux prochaines générations.

Déjà bien plus que deux lettres ! Ceci est une révolution … Scientifique, technologique, technique, économique, social, culturel, sanitaire, et bien entendu démocratique, ce nouvel et prompt outil de l’Homme, inventé 3,3 millions d’années après les premiers galets taillés de Lomekwi, sera le principal patrimoine productif que l’actuelle humanité transmettra aux prochaines générations.
Comparable aux signes épatants des tablettes sumériennes d’argile, au papyrus égyptien, à l’impression de Gutenberg, à la photographie, au télégraphe, au tube cathodique et bien sûr au micro-processeur, même si sa naissance s’identifie par les spécialistes au milieu du XXe siècle, sa récente appropriation quotidienne sera l’indiscutable marqueur de notre décennie pour les futurs historiens. Et assurément l’un des tournants du siècle !
Cette innovation passionne, effraie, galvanise, déroute, émerveille, secoue, parfois réveille, et dévoile son lot de sentiments déchirés : entre les promesses d’une meilleure santé (dont certaines sont déjà tenues), les frontières de la connaissance encore largement repoussées ou l’aide aux décisions éclairées d’un côté ; et de l’autre l’extension du risque écologique, l’exposition à de nouvelles menaces pour nos libertés fondamentales ou encore la disparition de métiers et d’emplois. Prudence ! La première leçon que l’Histoire nous enseigne sur les progrès énonce cette particularité de ne jamais se laisser piéger par des reflets manichéens. À ce point qu’il est dès à présent permis d’affirmer que l’IA ne sera ni un enchantement, ni une catastrophe.
La complexité du sujet demeure d’ailleurs redoutable, et ce dès l’exercice de définition, tant les plus initiés auront rapidement la tentation d’étendre ou de spécifier son périmètre, à l’image de réflexes déjà répandus pour distinguer deep learning et machine learning. Risquons-nous peut-être au confort consensuel, où l’outil est régulièrement présenté comme un domaine de l’informatique qui se concentre sur la conception, le développement et l’analyse de systèmes capables d’accomplir des tâches qui, si elles étaient réalisées par des êtres humains, nécessiteraient de l’intelligence.
L’IA inclurait ainsi le raisonnement, l’apprentissage, la perception, la compréhension des langages, la planification et la prise de décision. L’être humain choisit donc de se challenger de manière inédite… Sans crainte excessive tout de même tant il est lui-même armé de ses inimitables synapses, de glutamate, de neurones miroirs, et peut s’inspirer notamment du cogito de Descartes, de l’associationnisme de Hume, de l’élan vital de Bergson, de la destruction créatrice de Schumpeter, ou encore de la non-linéarité du progrès selon Lévi-Strauss et de cette voix centenaire d’Edgar Morin nous rappelant régulièrement que « l’improbable est encore possible ». Sans oublier l’inattendu, toutes ces découvertes par sérendipité, l’erreur parfois si nécessaire en apprentissage, les imaginations, excentricités et grains de folie. D’autant plus que, sans excès de provocation, la bêtise artificielle est encore loin d’être inventée… Assurément, la peur n’a pas à être au programme. De nouvelles normes européennes ou nationales sur-vitaminées au principe de précaution ? Pitié, c’est déjà trop … De l’argent public extrait de budgets surendettés pour soutenir des projets sans valeur ajoutée ? La réponse est dans la question. Eviter la remise en cause d’un demi-siècle de mauvaise gouvernance française en matière de stratégie industrielle ? De grâce, réveillons-nous !
D’autres interrogations plus valables émergent désormais, et nous étions il y a peu de temps encore très loin d’imaginer les formuler un jour : doit-on continuer d’apprendre des langues étrangères au regard des facilités déconcertantes du numériques pour la traduction instantanée ? Pouvons-nous réussir une orientation efficiente vers les nouveaux métiers avec un accès à la formation efficace et accessible à tous ? Et si, après avoir cherché à réduire le rôle de l’humain dans les processus, l’économie numérique ne redécouvrirait pas finalement sa nécessité ? Au point d’ouvrir de nouvelles perspectives avec un secteur quaternaire résolument tourné vers le lien entre les personnes, vers de nouvelles solidarités et le sens du partage ? Et si la vie était à nouveau notre meilleur atout ?
La plume du lumineux Jean d’Ormesson, dans son roman de 2007 La Création du monde, pourrait nous rappeler l’essentiel : « ce qui fait une vie et ce qui fait l’Histoire, ce ne sont pas les puissants de ce monde, les conquêtes, les frontières repoussées, les royaumes périssables, c’est le travail des hommes ». Si l’un des grands sens de la vie consiste à inventer chaque matin ce que nous serons le soir, c’est en confiance et en conscience que nous maitriserons notre nouvel outil. Nos imperfections nous aideront autant que notre énergie. Nous donnerons une fois de plus raison à Jean Piaget : « l’intelligence, ce n’est pas ce que l’on sait, c’est ce que l’on fait avec ce que l’on ne sait pas ».