Quotidien

Think Tank : "La transition écologique sera locale ou ne sera pas"

Environnement. La requalification de la Voie des sacres ou comment refaire place à la nature, un enjeu majeur de santé publique.

Lecture 17 min

Les conséquences de la pollution atmosphérique des villes et l’urgence climatique imposent de modifier notre façon de penser la ville. La limitation de la voiture et la renaturation de la ville deviennent une priorité de santé publique. Le Think Tank « Droits de Cité » propose une réflexion sur l’aménagement de la Voie des sacres.

Le Think Tank Droits de Cité est un groupe de réflexion apolitique qui travaille sur les politiques publiques territoriales depuis près de 10 ans. A travers nos écrits, nos manifestations, certaines propositions ont été reprises par la puissance politique avec laquelle nous entretenons des relations épisodiques. Au titre des idées reprises, on peut évoquer la candidature pour Reims Capitale européenne de la culture, le verdissement des façades de particuliers, offrir des week-ends à Reims dans le but de favoriser la connaissance de la ville et l’installation de nouveaux habitants, la consultation d’industriels sur leurs besoins, les navettes fluviales, etc. Nous nous inscrivons comme une force de proposition et souhaitons participer à la concertation citoyenne organisée autour de la voie des sacres, qui peut être un nouveau symbole d’une ville respectueuse de l’environnement, dans un contexte d’urgence climatique.

La pollution de l’air est responsable de 40 000 à 67 000 morts par an en France (réf : Fondation du souffle et le ministère de l’écologie). La pollution affecte les sujets les plus vulnérables tels que les enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées, ainsi que ceux qui souffrent d’une pathologie respiratoire ou cardiaque chronique. Un lien entre la pollution et les bronchiolites à VRS (Virus respiratoire syncytial) a été établie chez l’enfant. Les morts subites sont également plus fréquentes en cas de pic de pollution. Il existe également une surmortalité qui est directement liée à l’augmentation des températures, notamment dans les villes. Les dernières études du CNRS publiées en octobre 2022 sont très pessimistes avec, en 2100, une très forte augmentation des températures en France, de 3,5 degrés au-dessus de celle du début du XX siècle et donc de la surmortalité.

L’URBANISME DEVIENT UN ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE

  • La requalification de la Voie des sacres à Reims doit être l’occasion d’un symbole fort de la politique verte de la ville.

La voie des sacres est un lieu historique de la ville, voie des rois entre la basilique Saint Remi et la Cathédrale. La guerre 14/18 a malheureusement détruit la quasi-totalité de cette rue, qui a été reconstruite sans véritable harmonie architecturale, même si certaines constructions sont remarquables. Cette voie dispose de très peu d’espaces verts. Cet axe présente une densité importante de circulation, en sens unique, et dessert de nombreuses écoles et centres administratifs.

Il possède un couloir de bus en sens inverse avec un service significatif (lignes 2, 4, 5, 6 et 9) vers le centre-ville et la gare. Une réflexion est en cours avec quelques citoyens dans le cadre de la démocratie locale organisée par la mairie de Reims pour un nouveau projet de circulation via des bus à haut niveau de service (BHNS) et un partage équitable entre les voitures, les vélos et les piétons. La rénovation de cette voie et son adaptation aux nouveaux modes de déplacement est l’occasion ou jamais de limiter la pollution et de rafraîchir cet axe, grâce à une renaturation et constitue la première étape d’une politique globale à l’échelle de l’agglomération. Il faut donc repenser tous les nouveaux aménagements de voirie en fonction de ces nouveaux critères qui limiteront la pollution et la température. Ces différents objectifs s’inscrivent dans le cadre de la loi air climat 2021 du 22/08/21. Cela nécessite d’inclure les habitants et les commerçants du quartier avec un indispensable travail pédagogique, organisé par la mairie pour une pleine adhésion.

  • Ces objectifs peuvent se décliner comme suit :

La perméabilisation des sols : Pour permettre un meilleur écoulement des eaux lors de fortes pluies (éviter les inondations) et une récupération des eaux dans les nappes phréatiques. Cela implique de trouver des endroits adaptés pour perméabiliser les sols et de penser à l’écoulement des eaux en fonction des pentes et du terrain avant de procéder à la réfection des revêtements des trottoirs et de la rue. Cette eau doit pouvoir être récupérée afin d’être utilisée pour la renaturation de la rue.

« Il faut donc repenser tous les nouveaux aménagements de voirie en fonction de ces nouveaux critères qui limiteront la pollution et la température. »

Repenser le revêtement de la rue et des trottoirs : Plusieurs expérimentations sont en cours à Paris et à Lyon pour trouver des revêtements de rue et de trottoir permettant une diminution de la température au sol et une diminution des bruits (bitume innovant, peinture anti chaleur). Il serait pertinent de profiter de ces expériences et d’envisager ce type de revêtements si ceux-ci montrent leur efficacité.

Limiter la circulation des voitures : Cet axe possède de nombreuses administrations, écoles et commerces entraînant une forte circulation. La diminution des voitures est cependant indispensable pour limiter la pollution. Des parkings relais sécurisés et gratuits doivent être créés en amont et aval de cet axe avec une desserte rapide (moins de 7 mn d’attente) par le tramway ou les BHNS. Ces parkings doivent également être équipés de parkings à vélos, de locations de vélos et de voiturettes électriques. Déposer sa voiture en parking relai doit présenter des avantages concrets : coût de parking et de déplacement moindre, pas de perte de temps à trouver une place, voiture en sécurité. On ne peut penser la circulation de la voie des sacres sans prendre en compte celle de la rue du Barbâtre (en sens unique) qui est actuellement la rue de rentrée dans la ville. Les BHNS pourraient remonter ou descendre par cette rue. Cela permettra de soulager la voie des sacres et d’avoir plus de place pour toutes les autres mobilités.

Renaturer, par le biais de plantations dans la rue, les murs nus et les façades des maisons et immeubles :

La végétalisation de la voie des sacres n’est pas un gadget et a plusieurs fonctions :

  • un apport de fraîcheur dans la rue l’été, les périodes de canicule étant de plus en plus fréquentes ;
  • une isolation thermique et phonique des habitations, qui verdiront leur façade et feront des économies ;
  • une captation de la pollution de l’air ;
  • favoriser la biodiversité ;
  • une amélioration de la récupération des eaux de pluie par une perméabilisation des sols ;
  • une meilleure qualité de vie pour les habitants (les plantations ont un bénéfice psychique reconnu) ;
  • une amélioration esthétique pour les habitants et les touristes qui se promènent entre la cathédrale et la basilique Saint Remi ;
  • une vitrine de l’écologie associée à l’art et la culture dans le cadre de « Reims capitale européenne de la culture » et une vitrine de la politique verte de la ville.

La ville a déjà mis en place une charte citoyenne de végétalisation et peut aider les habitants à faire pousser des plantes sur leur balcon et leur façade avec des normes en lien avec l’occupation de l’espace public (pots en façade, murs végétaux, trous dans les trottoirs pour planter des grimpants par exemple). Il faudrait également encourager les habitants à utiliser des pots en terre cuite avec des plantes chez eux et sur leur balcon pour favoriser l’évapotranspiration et ainsi rafraîchir l’intérieur des habitations, comme cela se fait dans les pays chauds. L’exposition Est et Ouest de la voie des sacres nécessite de choisir des végétaux adaptés. Le réchauffement climatique est également une contrainte à prendre en compte dans le choix des essences.

Ces dernières doivent pouvoir supporter chaleur et période de sècheresse et doivent être variées pour garantir une résilience en cas de maladie. La végétalisation en façade peut se faire avec des végétaux de type liane qui poussent en pleine terre, aidées de supports de type filins (chèvrefeuille, jasmin, lierre …). Il est préférable d’opter pour des grimpants à feuilles persistantes afin de préserver l’aspect esthétique en période hivernale. Des listes des végétaux conseillés ou au contraire à proscrire, en fonction de l’exposition, pourront être mises à disposition pour les habitants. Si des arbres sont plantés, un travail du sol est important pour optimiser les échanges, avec des matériaux aérés et poreux afin de créer des mini jardins symbiotiques alternés avec des dallages à joints en gazon où en sable.

Grand Reims
Le 5 juillet 2022, une plénière, tenue par Arnaud Robinet, maire de Reims et Catherine Vautrin, présidente du Grand Reims, a réuni les commerçants exerçant sur la voie des Sacres. Une première présentation du projet a permis de relever les attentes, demandes et inquiétudes. (Crédit : DR)

Il conviendra de choisir des essences d’arbres en fonction de l’orientation des façades (est, ouest), du passage de véhicules volumineux (BHNS), de mixer les essences à feuilles et à fleurs, ceux qui perdent leurs feuilles tôt dans la saison ou au contraire tard, de diversifier les espèces et de choisir des essences peu allergènes. Des villes comme Bordeaux ou Epinal ont déjà établi une sélection des plantes adaptées à la renaturation de la ville. Cette sélection doit être adaptée au sol et au climat de Reims et nécessite donc le concours de spécialistes.

L’éclairage public est aussi à prendre en compte : Actuellement situé majoritairement sur le côté ouest avec des lampadaires le plus souvent plantés au sol sur les trottoirs, il faut envisager de remettre cet éclairage en façade afin de récupérer de la place sur les trottoirs pour les piétons. Dans un souci d’économie d’énergie, ces lampadaires devront être les plus économes possibles, avec une chrono-utilisation.

Aménagement et signalétique touristique : Les touristes ayant visité la cathédrale et le nouveau palais des beaux-arts doivent être attirés par l’aménagement de la voie des sacres. Son histoire singulière doit être valorisée par un parcours verdoyant et ombragé. Des panneaux explicatifs peuvent rythmer la promenade des touristes expliquant le parcours des rois sacrés, la destruction de la rue pendant la guerre 14/18 et l’histoire de sa reconstruction en mettant en valeur les immeubles remarquables. Un QR code permettant d’avoir une explication orale, effectué en partenariat avec l’office du tourisme doit être envisagé. Un parcours fléché allant jusqu’au parc Saint Remi et la Basilique peut également inciter les touristes à visiter le Frac et le musée saint Remi.

Voie du GR 145 Via Francigena : Des clous indiquant le GR 145 ont été mis sur les trottoirs. Ils devront être repositionnés à l’issue de la rénovation de la voie et de ses abords afin d’indiquer le parcours en ville du GR145, susceptible d’attirer les touristes marcheurs.

Accès PMR : Il ne faudra pas oublier de faciliter l’admissibilité des trottoirs aux personnes handicapées, avec des bateaux-pavés suffisamment nombreux, en particulier aux intersections et, lorsque c’est possible, avec des feux sonores pour les déficients visuels. Il conviendrait d’ajouter quelques bancs, lieux de repos, installés à distance régulière au gré du parcours.

Ramassage des ordures : Il faudra préférer des lieux enfouis et augmenter la fréquence des ramassages.

PARTICIPATION DES HABITANTS ET COMMERÇANTS

La ville encourage déjà la plantation en façade de grimpants et le fleurissement des balcons mais cela n’est pas encore suffisamment utilisé par les habitants. Il existe déjà à Reims une charte de végétalisation participative. Une participation active des habitants utilisant leurs balcons ou leurs façades pour y mettre des plantes augmenterait les effets de verdure, l’effet antipollution et le rafraîchissement de la rue. Il est important que les habitants adhèrent totalement au projet et pour cela des réunions de concertation avant - projet doivent être envisagées pour expliquer et lever les craintes et les freins (craintes vis-à-vis de la détérioration des façades, des insectes, des rongeurs, des oiseaux, places de parking…). Les habitants doivent être informés des nombreux intérêts de ce projet pour leur qualité de vie. En effet, toutes ces transformations ont pour but de permettre une meilleure qualité de vie des habitants, une moindre pollution de l’air, un apaisement des voies de circulation, une plus faible nuisance sonore et un rafraichissement de la rue et des maisons l’été.

PARTICIPATION DES COMPÉTENCES LOCALES

Il est important de faire participer les entreprises locales et tous les interlocuteurs capables de travailler sur ce genre de projet (les services de la mairie bien entendu mais également les ESAT qui travaillent sur les espaces verts et les établissements scolaires comme le lycée Gustave Eiffel dans le cadre de sa section horticulture, l’ESAD, le lycée Marc Chagall, lycée agricole de Thillois, etc…). Cette participation devra porter sur la création mais aussi sur l’entretien et l’amélioration des espaces verts créés qui auront besoin de soins au long cours. Cela nécessitera également un suivi pédagogique des habitants qui auront végétalisé leur façade ou leur balcon.

EN CONCLUSION

La transformation verte de la voie des sacres peut devenir l’emblème d’une politique écologique attentive à la santé des rémois, qui deviendront ainsi des acteurs directs de la renaturation de leur ville au bénéfice de la qualité de l’air et du rafraîchissement.