Quotidien

Services publics : entre fractures territoriales et crise de confiance

Think Tank. Entre missions régaliennes et besoins du quotidien, les services publics demeurent au coeur du pacte républicain. Pourtant, leur perception se dégrade : restrictions budgétaires, réduction des effectifs, fracture numérique et territoriale alimentent le sentiment d’inégalités.

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Photo france services
L’accès aux services publics doit être égalitaire quel que soit son statut social, quel que soit le lieu de résidence. (Crédits : SHUTTERSTOCK)

On peut distinguer les services publics régaliens, défense, justice, maintien de l’ordre et ceux qui relèvent du quotidien, santé, éducation, logement, économie, cette différenciation peut être nuancée parce que les services publics liés aux droits sont fréquemment interrogés sur leur mis en oeuvre quotidienne.

Nous nous intéressons à la perception des services publics dans notre territoire, c’est-à-dire notre bassin de vie, mêlant urbain et rural, mêlant grandes collectivités et petites communes. Pourquoi cet intérêt ? Parce que la perception souvent dégradée par nos concitoyens génère des crises sociales, des approximations/réductions qui font le lit des extrêmes. Il nous faut également nuancer les services publics liés aux grandes villes et ceux liés au monde rural.

Quels constats :

Sur le fond, l’accès aux services publics doit être égalitaire quel que soit son statut social, quel que soit le lieu de résidence. Il faut observer que depuis plusieurs années l’aide sociale, l’accès aux soins, aux logements se réduisent pour des raisons économiques. Sur la forme, le maillage territorial, pour des raisons économiques, s’est rétréci au fil des décennies, à la présence physique, place à la numérisation, au distanciel !

Quels sont les dysfonctionnements notables ?

Les services publics en France, bien qu’ils soient essentiels au fonctionnement de l’État et au bien-être des citoyens, rencontrent plusieurs problèmes structurels et contemporains. Ces défis sont liés à des enjeux de financement, d’efficacité, de qualité de service, et d’évolution des besoins sociaux.

1. La question du financement et du déficit budgétaire

(Crédits : DR)

Problème : Les services publics français sont largement financés par les impôts et les cotisations sociales, mais face aux contraintes budgétaires (réduction des déficits publics, contraintes de l’UE), l’État a de plus en plus de mal à financer adéquatement ces services. La dette publique a augmenté, et le financement de certains secteurs comme la santé, l’éducation et les pensions de retraite devient difficile à assurer.
Conséquence : Cela se traduit souvent par des restrictions budgétaires, des réductions de postes dans certains secteurs, et des fermetures de services ou une baisse de la qualité des prestations offertes.

2. La réduction des effectifs et la gestion des ressources humaines

Problème : Depuis plusieurs années, l’État a mis en place des politiques de rationalisation et de réduction d’effectifs dans les services publics pour maîtriser les coûts. Cela entraîne un manque de personnel, des surenchères de travail pour les agents restant et une désorganisation dans certains secteurs.
Conséquence : Ce manque de personnel peut entraîner des retards dans le traitement des demandes des usagers, une augmentation de la charge de travail pour les agents publics et une démotivation du personnel, ce qui affecte la qualité du service public.

3. La dégradation de la qualité du service public

Problème : La réduction des moyens financiers et humains, combinée à des réformes visant à simplifier les services ou à privatiser certaines fonctions, peut entraîner une dégradation de la qualité du service. Par exemple, dans des secteurs comme la santé, les délais de prise en charge sont de plus en plus longs, et dans l’éducation, les classes surchargées deviennent un problème.
Conséquence : L’accès à certains services publics devient de moins en moins optimal, notamment dans les zones rurales ou dans certains quartiers des grandes villes. La fracture territoriale (entre zones urbaines et rurales) et numérique (accès limité à Internet pour certains citoyens) s’aggrave.

4. La complexité administrative et la bureaucratie

Problème : Les services publics sont souvent accusés de manquer de clarté, de flexibilité et de réactivité. Les démarches administratives peuvent être compliquées, avec des formalités multiples et des délais de traitement longs. Bien que des réformes aient été mises en place (comme la dématérialisation), certains usagers, notamment les personnes âgées ou celles n’ayant pas accès aux outils numériques, peuvent éprouver des difficultés pour accéder aux services.
Conséquence : Cela crée un sentiment d’inefficacité et de détérioration de la relation de confiance entre l’État et les citoyens, ce qui peut mener à une perception négative du service public.

5. Les inégalités d’accès aux services publics

Problème : Il existe des disparités géographiques et sociales importantes dans l’accès aux services publics. Par exemple, dans les zones rurales ou les quartiers populaires, les services publics peuvent être insuffisants ou mal adaptés, ce qui mène à des fractures sociales et territoriales.
Conséquence : Les citoyens des zones rurales peuvent avoir du mal à accéder à certains services, comme la santé, l’éducation, ou les transports publics, car ces services sont souvent concentrés dans les grandes agglomérations. Cela peut exacerber les inégalités entre les territoires.

6. La privatisation et l’externalisation des services publics

Problème : Au cours des dernières décennies, plusieurs secteurs traditionnellement gérés par l’État ont été privatisés ou externalisés (par exemple, dans les secteurs des transports, de l’énergie ou des télécommunications). Si cela a permis parfois une gestion plus efficace ou une réduction des coûts, cela peut aussi nuire à l’universalité, l’accessibilité, et la qualité des services, surtout quand des objectifs financiers priment sur l’intérêt public.
Conséquence : La privatisation des services peut entraîner une réduction de l’accès aux services publics pour les plus vulnérables, une augmentation des coûts pour les usagers, et des problèmes de régulation quand les services sont gérés par des acteurs privés.

Photo Bus France services
Pour rapprocher les Marnais les plus éloignés des services publics, le Département de la Marne s’est doté d’une structure mobile pour assurer une présence régulière au plus près des habitants : le Bus France services (Crédits : DR)

7. L’impact de la digitalisation et de la transition numérique

Problème : Bien que la numérisation des services publics (guichets en ligne, démarches administratives dématérialisées) ait facilité l’accès pour certains citoyens, elle a aussi créé de nouvelles barrières d’accès pour d’autres, notamment les personnes âgées, les personnes sans accès à Internet ou celles qui sont peu familiarisées avec les outils numériques.
Conséquence : L’accélération de la digitalisation peut laisser certains citoyens exclus, renforçant ainsi la fracture numérique et l’inégalité d’accès aux services publics.

8. La complexité des réformes et des changements législatifs

Problème : Les réformes successives des services publics, telles que la réforme de la fonction publique ou les réformes de certaines branches (comme la santé ou l’éducation), sont souvent complexes et difficiles à mettre en oeuvre. Les changements législatifs peuvent être perçus comme une source de confusion et de mécontentement pour les agents publics et les usagers.
Conséquence : Ces réformes peuvent créer de l’instabilité et des tensions sociales, notamment lorsqu’elles touchent directement les conditions de travail des fonctionnaires ou modifient de manière significative l’accès aux services pour les citoyens.

Les services publics français, bien que toujours essentiels à la cohésion sociale et au bien-être collectif, font face à des défis importants en termes de financement, réduction des effectifs, inefficacité, inégalités d’accès, et adaptation aux nouvelles technologies. Le modèle des services publics, fondé sur l’égalité et l’accessibilité pour tous, doit se réinventer pour répondre aux exigences contemporaines tout en maintenant la solidarité nationale. Les réformes doivent trouver un équilibre entre efficacité, accessibilité, et respect des valeurs républicaines.

Cadre particulier :

-  L’aide sociale distribuée par les Conseils Départementaux, aux moyens de plus en plus limités, pose la question de cette substitution sans autonomie financière
-  L’aide au logement par la C.A.F. est assujettie au statut du demandeur
-  L’accès au logement : Bailleurs Sociaux, Associations dans la région Champagne-Ardenne en 2023 pour les quatre villes majeures, 11.000 demandes de logements non satisfaites avec, de surcroit, des freins à l’éligibilité à l’accès au logement social comme la détention d’un contrat de travail à durée indéterminée, quid des travailleurs pauvres, intérimaires, saisonniers, etc.

Services publics et environnement

Les questions environnementales génèrent inévitablement des questions de santé publique qui elle-même se décline en services publics. Les effets du réchauffement climatique ont des conséquences sur la vie quotidienne de nombreuses personnes et surtout sur les plus faibles ou précarisées. Si les services publics ne peuvent assurer une égalité devant les modifications dues aux aléas climatiques, ils peuvent, ils doivent, assurer une information exhaustive sur les conditions climatiques, atmosphériques, qualité de l’eau, etc… à chaque citoyen et ce n’est pas le cas, les déclinaisons géographiques étant limitées par les intérêts économiques. Les services publics doivent permettre le respect du droit de l’environnement.

Quelques suggestions :

Sur le fond, l’application de la loi sur l’accès aux soins quel que soit son statut, à l’aide sociale, aux protections des différentes catégories, à l’éducation, au droit au logement, au respect du code de l’environnement etc… relève du courage politique. Les cadres juridiques, législatifs existent mais ils sont mis en oeuvre d’une manière inégalitaire tant sur le plan sociologique que géographique, aux bons soins des collectivités territoriales qui en font la lecture politique, qui les engagent. Tant qu’il n’y aura pas une conscience commune que ces dysfonctionnements renforcent la fracture territoriale, on peut imaginer que rien ne bougera. Sur la forme et dans les cadres territoriaux existants on peut suggérer plusieurs idées :

- La création de la maison des services publics à l’échelle des métropoles, grandes villes, villes
-  Dans le monde rural ou périurbain, la désignation d’un conseillé municipal chargé des services publics faisant le relais entre administration et administrés
-  La création d’un numéro vert pour répondre aux interrogations
-  Depuis les maisons des services publics, des bus itinérants pour faire de la pédagogie et répondre aux questions dans les communes
-  La création d’un partenariat avec un grand opérateur mobile pour dédier un mobile avec les applications des services publics pour les personnes les plus fragiles (personnes âgées, isolées, etc…)