

Ceux qui le connaissent disent qu’il a des mains en or. N’a-t-il pas déjà entièrement rénové sa maison, et construit… trois bateaux (enfin presque, le troisième, un ketch de 14 mètres, « fait pour voyager », n’est pas tout à fait terminé) ? N’a-t-il pas inventé un distributeur de vin au verre, ou encore le bouchon Bubbl. pour conserver le champagne ? À cet égard, le qualifier de bricoleur de talent serait totalement impropre quand ce qu’il réalise relève franchement de l’ingénierie. Sauf que Vincent Varnier n’est pas ingénieur, alors même qu’il en avait certainement l’étoffe. Pour qui s’attache à l’atavisme, précisons justement que ses grands-parents maternels étaient tous deux ingénieurs chimistes. « Ma grand-mère fut la première femme diplômée ingénieur chimiste en France, en 1919. » D’ailleurs, deux de ses trois enfants sont également ingénieurs.
Le jeune Vincent se prépare d’abord à suivre les traces de son père, « paysan meusien qui a épousé une fille d’industriels parisiens » – preuve de l’évidente ouverture d’esprit de ses grands-parents, dont il a également hérité. Un BTS agricole, donc. De la rencontre de quelques camarades vignerons naît sa passion pour la viticulture, lui faisant délaisser les céréales de l’exploitation paternelle. Pour mieux se rapprocher des oenophiles et de la vente en direct, il complète son BTS par une formation de cadre commercial en agro-alimentaire, « moi, le timide qui n’a pas la fibre commerciale… ». Il y trouve cependant une façon de s’affirmer et profite d’un échange universitaire pour s’envoler du côté de Minneapolis (États-Unis), apprendre l’économie agricole… et l’américain. « J’en ai de beaux restes, quoiqu’assez peu académiques ! » Puis il sera cadre commercial, pendant quelques années, sans goût pour le salariat dont s’accommode mal son caractère rêveur et indépendant. C’est néanmoins à l’occasion de son passage au champagne Pannier, à Château-Thierry, qu’il s’installe à Brécy (Aisne) en 1997.
Vive le vin au verre
En 1998, et après une première association qui a tourné court, Vincent Varnier fonde sa société, Altavinis, pour distribuer les vins de grands domaines viticoles. Au contact de ses clients de cafés-hôtels-restaurants, il s’aperçoit que ces professionnels hésitent à investir dans des distributeurs de vin au verre, alors même que cette tendance de vente se développe. Il importe un produit américain, dont il perçoit rapidement les limites. Il imagine alors un nouveau distributeur de vin au verre, alliant simplicité, qualité, élégance et… prix attractif. Le procédé VAV (comme vin au verre, n’est-ce pas ?), dûment breveté, est composé d’un bouchon-robinet connecté à un circuit de gaz inerte, permettant la conservation de vin tranquille pendant plusieurs semaines, une fois la bouteille ouverte. Quatre ans auront été nécessaires à son élaboration. Mais l’efficacité de VAV, son design (dans lequel on verra la sensibilité scandinave de Vincent, qui a épousé une suédoise), la qualité des matériaux nobles liés au vin (bois, liège, inox), ont séduit des clients prestigieux (château d’Yquem, château Montrose…).
Chose publique et consensus
C’est aussi à cette époque que Vincent Varnier se prend au jeu de la chose publique. Il y satisfait son intérêt pour les autres et le lien social. Ceux qui le connaissent n’hésitent pas à louer ses qualités humaines.
« Ma grand-mère fut la première femme diplômée ingénieur chimiste en France, en 1919. »
Il est élu conseiller municipal de Brécy en 2008, préside le syndicat scolaire intercommunal en 2014, devient maire de la commune (340 âmes) en 2020. Ce centriste qui n’aime rien tant que le consensus laisse s’exprimer ses administrés – « Les idées viennent des conseillers municipaux » – et arbitre selon les besoins. Moyennant quoi, la vie locale s’est enrichie d’animations diverses (course de caisses à savon, de tondeuse à gazon, concerts…), de réfections (salle des fêtes, chaussées…), de plantations d’arbres, et bientôt du réaménagement du centre du village (place et façade de la mairie, place de l’église). « Stimuler les habitants, ça marche ! Et je vais chercher les subventions. »
Différences et complémentarité
En 2017, Vincent Varnier rencontre Laurent Prigent (et réciproquement !) dans le cadre du cluster de la WineTech, l’écosystème qui connecte les acteurs innovants du vin. Leurs sociétés (Altavinis pour le premier, Wikeeps pour le second) travaillent dans le même domaine d’activité et sont plutôt concurrentes. Mais, pour répondre aux préoccupations des professionnels, restaurateurs ou vignerons, qui hésitent à servir des champagnes au verre, l’une et l’autre – ou l’un et l’autre – cherchent le moyen d’en préserver toutes les qualités (effervescence et arômes) lorsque la bouteille est entamée (ce qui n’est pas la même problématique que pour le vin tranquille). Les deux entrepreneurs apprennent à se connaître, à s’apprécier, et mettent leurs différences en commun pour jouer la complémentarité : imagination et technique pour Vincent, rigueur et talent marketing pour Laurent. Une association fructueuse qui débouche (sic !) sur la création de Bubbl., offrant une conservation optimale du champagne pendant 7 jours (cf. PAMB n° 8121). Avec, en prime, l’obtention du Prix à l’Innovation lors du VITeff 2023 à Epernay.
Un navigateur qui a les pieds sur terre
À Brécy, dans son atelier, Vincent Varnier assemble les éléments des dispositifs VAV et Bubbl. Productions artisanales, certes. Mais, notamment en ce qui concerne Bubbl., il y a nécessairement un temps de la coupe aux lèvres – entendre par là que ce projet de start-up a besoin de temps et de notoriété pour être rentable. Viendra alors le moment d’envisager la phase industrielle. Pour rêveur qu’il soit, Vincent Varnier n’en garde pas moins les pieds sur terre, et le navigateur qui sommeille en lui (eh oui, les bateaux !) sait bien qu’il ne faut jamais ‘‘s’embarquer sans biscuits’’…