
Le goût de la vente et le sens du contact mènent à tout. Sébastien Rollet et Perrine Beauchamp l’illustrent par leurs parcours variés, nourris à l’envie, à l’enthousiasme et à la sueur du front. Ils sont aujourd’hui artisans boulangers indépendants à Reims, leur activité se partageant entre un laboratoire à Janvry, une boutique à Reims et les marchés.
C’est Perrine qui, la première, s’est lancée dans le métier, au gré des circonstances d’abord, puis par volonté délibérée. Le commerce est une affaire de famille. Elle n’y a pas dérogé, complétant à 18 ans son temps d’apprentissage par un BTS Action commerciale au lycée d’Avize avec l’idée de travailler dans la cave à vins créée par son père à Tinqueux. « J’adore parler du vin ! », confie-t-elle avec les yeux qui pétillent. Ce qu’elle fait plusieurs années durant. Le magasin est grand, il y a la place pour autre chose considèrent les actionnaires. Ce sera une boulangerie. Après tout, le pain ça va bien avec le vin. Perrine gère les deux. Une nuit, le boulanger salarié ne se présente pas au travail. Pas question d’avoir des rayons vides à l’ouverture.
Elle appelle au secours son fournisseur principal, les Moulins Bourgeois, qui, par téléphone, lui dicte les bons gestes pour faire le pain, jusqu’à la sortie des premières fournées. « Créer de ses propres mains : c’est génial. Quelle fierté on ressent ! » De cette grosse frayeur, elle tire alors une leçon : « Ne pas être obligé de ne compter que sur les autres ». Moyennant quoi elle se fait un devoir – et un plaisir – de s’initier en bonne et due forme au métier. La voilà boulangère.
Vendeur Né
Sébastien aussi est un vendeur-né. Son premier employeur, le magasin Leclerc de Villers-Cotterêts (Aisne) d’où il est originaire, en est si convaincu qu’il finance son BTS en alternance. Un collègue lui prédit un bel avenir dans la filière automobile et l’embarque en 2002 chez Renault où son bagou et sa force de persuasion font effectivement florès. Il y est toujours quand, étant en poste à Reims, il rencontre Perrine la boulangère. Sans aucune préméditation, il va peu à peu mettre le doigt dans l’engrenage d’une reconversion professionnelle. « Au début, je venais juste aider le midi en passant au magasin de Tinqueux. Les clients s’amusaient d’être servis par un type en costard-cravate. J’ai aimé le contact avec eux. » Tant et si bien que, confronté à de nouvelles méthodes dans le secteur automobile et estimant avoir fait le tour de son métier, il décide d’en changer.
« Un commerce fonctionne si les patrons sont présents. C’est ce qui, en plus de la qualité, fait la différence avec les grandes surfaces »
Perrine n’est pas près d’oublier la date : « C’était en février 2017. En sortant d’une réunion avec son patron, il m’a annoncé de but en blanc qu’il avait donné sa démission et qu’il avait l’intention de venir travailler avec moi. » À ce moment-là, la situation commerciale est plus tendue en raison de l’implantation en périphérie des chaînes de boulangerie industrielle. « Face à cette nouvelle concurrence, reprend Perrine, il fallait trouver une autre manière de travailler. Le plan a été de fermer la boulangerie de Tinqueux pour nous concentrer sur la clientèle professionnelle. » Avec ses dépendances, l’ancienne maison de vigneron de Janvry où sa famille a vécu lui offre l’espace nécessaire au projet. Le couple y aménage un laboratoire dédié à la fabrication des pains et viennoiseries qui sont livrés chaque jour de l’année dans les hôtels, restaurants et cantines scolaires locaux.
Un Nouveau Défi
Comme espéré, cette réorientation redonne du nerf à Multisaveurs. À tel point qu’il leur faut agrandir et embaucher. « J’avais deux boulangers avec moi au départ, commente Perrine. Nous en avons huit à l’heure actuelle, pour une cinquantaine d’établissements desservis. »
La machine lancée, Sébastien se sent moins utile. « J’ai donc proposé d’aller vendre nos produits sur les marchés, où il y a rarement des boulangers. » La clientèle répond, il continue. Un, pour commencer, et puis deux, et puis finalement sept par semaine, à Reims (Boulingrin, Jean Jaurès, place Luton, place Museux) comme aux environs (Hermonville, Saint-Thierry, Trigny…). Les plateaux et les tréteaux sont remplacés par un camion-magasin. Ce défi étant relevé, Perrine et Sébastien en attaquent un nouveau : et si on ouvrait une boulangerie à Reims ? Grâce à l’activité B2B et au développement sur les marchés, l’entreprise bénéficie d’une assise et d’une belle notoriété. « Notre participation à différents réseaux a aidé à consolider cette image. » Le moment leur semble bien choisi pour ce projet qui est aussi un investissement pour l’avenir. Car contre toute attente, Tom, le fils de Perrine, a abandonné son cursus initial en menuiserie pour les rejoindre et suivre une formation en pâtisserie. Après quelques visites, c’est pour une affaire à reprendre rue Gambetta qu’ils ont un coup de coeur, malgré les importants travaux de voirie en cours. « On a acheté en connaissance de cause et en nous projetant dans l’après. La voie des Sacres sera très belle. Nous avons d’ores et déjà demandé à la mairie l’autorisation d’aménager une terrasse. Nous misons sur la clientèle du quartier et la proximité de la Cité administrative ainsi que de Science Po. »
Polyvalents Et Interchangeables
La nouvelle boulangerie a ouvert le 8 août 2024 sur ces bases-là, avec un gros rayon snacking, car « pour en vivre on ne peut pas vendre que des baguettes. » Ayant appris le métier sur le tas, Sébastien s’emploie au fournil dès 2 h du matin mais passe souvent la tête en boutique pour échanger avec les clients. Polyvalents et interchangeables, Perrine et lui se relaient. Quand l’un est rue Gambetta, l’autre est sur les marchés, et inversement. « Un commerce fonctionne si les patrons sont présents. C’est ce qui, en plus de la qualité, fait la différence avec les grandes surfaces », jugent-ils. Raison pour laquelle ils ont placé une responsable au laboratoire de Janvry pour pouvoir pleinement se consacrer au lancement de leur nouveau point de vente.
Avec une inondation, une fuite et un début d’incendie, le démarrage a été mouvementé mais ces contrariétés n’ont pas réussi à leur faire perdre leur sourire. Quand ils ne sont pas au four et au moulin, ils réservent du temps au monde associatif. Sponsors du Champagne Basket féminin et d’une équipe de handball, ils assistent régulièrement aux matchs. Reconnu par ses pairs, Sébastien a par ailleurs été élu en 2022 à la présidence de l’association des commerçants et producteurs du marché du Boulingrin, ce qui lui donne aussi de l’occupation. La suite, c’est quoi ? « Ne jamais rester sur nos acquis pour éviter de nous ennuyer. Préparer Tom à la reprise. Dans l’idéal, prendre notre retraite dans 15 ans, même si ce n’est pas gagné. Et après, mon rêve serait d’avoir un petit resto saisonnier au bord de la mer… »