

Épicurien, Rémy Desnoyers confie avoir fait des allers-retours dans la vie. Barbu, grand, les yeux clairs, il a comme il dit les mains d’un travailleur. À 42 ans, il ne rechigne pas devant les défis. « Entrepreneur, c’est prendre des risques sans avoir peur d’en payer le prix ». La conversion de la friche industrielle Doré Doré à Fontaine-les-Grès (10) devient son nouveau projet de sa vie et celui de sa famille aussi, avec l’audace de faire revivre autrement le temple de la chaussette haut de gamme. Comme un signe, il se découvre des ancêtres bonnetiers en faisant son arbre généalogique. « Je me suis cherché, et, avec le temps, j’ai forgé cette personne que je suis devenue. Une bonne personne. J’ai fait des tas d’erreurs et en tant qu’entrepreneur, je me suis bien trouvé ».
Troyen installé à Praslin près de Chaource, « notre maison, c’est notre havre de paix », Rémy Desnoyers dirige l’entreprise générale 3GB dont il va installer l’activité dans l’un des bâtiments de Fontaine-les-Grès avec un bureau d’études d’économiste de la construction. Il travaille aussi comme négociant « car pour bien vendre, il faut bien acheter, sans négliger la qualité finale pour que les clients nous accordent leur confiance ». Une stratégie qui lui réussit avec une activité qui se développe et qui l’amène à recruter des profils liés à la création, conception et réalisation de chantiers, même dans le cadre de reconversion. Une réussite qui n’altère pas l’humilité et la lucidité de l’entrepreneur. « Ce projet, avec l’acquisition de ce site, c’est la synthèse de tous nos rêves avec mon épouse. Nous avons déjà tout perdu et recommencé plusieurs fois. Nous avons appris à gérer nos pertes pour apprendre à gagner. Nous sommes des gens ordinaires qui font un truc, peut-être, extraordinaire, mais c’est d’abord cet endroit qui est extraordinaire ! »
Quand tout bascule
L’esprit d’entreprendre, Rémy le tient de son père, « une machine de travail » qui dirigeait une entreprise de bâtiment. Quand il a douze ans, son grand frère perd la vie dans un accident de voiture. Un drame avec une vie qui bascule. Des parents qui le délaissent et s’enferment dans le travail pour tenter de gérer leur deuil. « Je me suis retrouvé seul, alors j’ai commencé à côtoyer une autre famille, celle des gitans du village. Ils m’ont “adopté” et appris des choses, notamment pour le commerce ».
Avec Audrey, qui depuis est devenue son épouse et la mère de ses quatre enfants, ils vendent dans des brocantes des objets récupérés dans des poubelles. Par ailleurs, il fait la plonge dans les restaurants, puis ensuite la cuisine, une de ses passions, pour gagner deux-trois sous. Il passe un CAP de couvreur et obtient des résultats honorables qui lui permettent de poursuivre un cursus d’économiste du bâtiment à Dijon. À 20 ans, Rémy Desnoyers doit reprendre l’entreprise familiale de rénovation intérieure. La société a travaillé sur des chantiers comme l’UTT de Troyes, des mails commerciaux de Marques Avenue, Leclerc…
« Je suis un battant, je sais ce que je veux. »
« J’ai tout appris en faisant des erreurs et j’ai coulé la boîte. Une vraie épreuve. J’ai demandé la liquidation judiciaire en 2007, c’était un apprentissage sévère. Mon quotidien est alors de devenir un « touche à tout » pour générer des sources de revenus et payer mes dettes. De 2007 à 2012, c’était la guerre dans ma vie pour survivre ». Il s’improvise acheteur, vend des produits frais aux restaurateurs, lance une activité de forain avec une crêpière et finit par installer une brasserie sur les foires agricoles. « J’ai appris à ne plus avoir peur en étant forain, j’ai tout fait sans argent et j’ai dû travailler dur. Je me suis prouvé que je pouvais me dépasser en tant qu’entrepreneur ». De nouveau sédentarisé, il essuie un nouveau revers avec son magasin Les terroirs gourmands. Il se tourne vers un salariat alimentaire comme chauffeur poids lourd, puis technico-commercial dans un négoce de matériaux, sans succès. « Ce que je veux, c’est être heureux en tant qu’entrepreneur. J’ai des valeurs simples. Celles que mon père m’a transmises et que je transmets à mes enfants. Il faut se lever le matin, être régulier et travailler. Si j’en suis là aujourd’hui, ce n’est pas parce que j’ai réussi, c’est la suite de tous les efforts que j’ai faits. On peut tout accomplir dès l’instant qu’on a défini sa vision et que l’on a confiance en soi. »
Nouveau départ
Il crée 3GBAT en 2020 et signe son premier chantier avec une entreprise de son village. Aujourd’hui, son dirigeant est devenu le parrain de sa fille et travaille chez 3GBAT. Depuis, il a créé une activité spécialisée dans la rentabilité immobilière pour les investisseurs. 3GBAT emploie huit employés et travaille avec des sous-traitants. « Nous sommes passés de 200 000 euros de chiffre d’affaires à plus d’un million d’euros en deux ans et avons 5 millions en carnet de commande. Par ailleurs, je pense que nous allons doubler le carnet en 2026. Il faut rester lucide et toujours se former, aller chercher les informations. Aujourd’hui, je ne travaille plus dans mes entreprises, mais sur mes entreprises ». 3GBAT a participé à la construction de magasins Armand Thiery, de l’école de danse de Roubaix, du Mercedes Center du Rueil-Malmaison, de Zara à la Défense, d’une aile de l’UTT et à la restauration de site en secteur sauvegardé comme l’Hôtel Juvénal des Ursins à Troyes.
Rémy Desnoyers souhaite poursuivre sa croissance et s’entourer d’investisseurs privés pour racheter d’autres entreprises. L’entrepreneur, qui fonctionne à l’émotion, compte bien faire de son nouveau projet, une réussite globale. Il a consulté les habitants et les acteurs économiques pour connaître leurs envies et projette d’installer une supérette, un hôtel, une piscine, une salle événementielle, un parc de loisirs, mais également des cellules pour les entreprises. Rien n’est figé et d’autres idées peuvent encore rebattre les cartes. Quand il visite le site des établissements Doré Doré qu’il rachète pour 100 000 euros, il découvre son immensité avec des bâtiments de bonneterie à n’en plus finir sur plusieurs niveaux, des machines témoins du temps et la forêt derrière. « Pour prendre ma décision, je me suis isolé cinq minutes, j’ai fermé les yeux et écouté le silence. J’ai senti qu’ici, c’était chez moi. Il faut se laisser porter par le destin ».