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Philippe Dallemagne

L’Aube sans détour

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Photo de Philippe Dallemagne
« Quand on est élu, il faut être passionné. Sinon il ne faut pas se présenter ». (Crédits : MBP)

Philippe Dallemagne, le nouveau président du Conseil départemental de l’Aube, prend la mesure de sa nouvelle fonction depuis deux mois. À 63 ans, ce Barsuraubois de naissance, maire de Soulaines-Dhuys depuis 30 ans, s’est bien entouré dans son cabinet de la rue Pierre Labonde à Troyes. S’il accepte volontiers l’entretien, il confie qu’il ne s’agit pas d’un exercice facile pour lui, même s’il y travaille. « J’ai mon franc-parler et j’appelle un chat un chat. » Élu à la tête du Département en octobre dernier, Philippe Dallemagne a pris une décision réfléchie et concertée.

Homme de dialogue, les quatre mois qui séparent sa réponse à la demande de Philippe Pichery, président démissionnaire, de lui succéder et son annonce officielle lui semblent très longs. « Il m’a sollicité en toute confidentialité pour reprendre la présidence, il y a quelques mois. J’en ai discuté avec mon épouse qui m’a soutenue. Quand on part dans une aventure comme celle-ci, cela a des incidences sur la vie quotidienne et la vie familiale. J’ai une fille de huit ans qui a besoin de son papa. Mais, je n’ai pu en parler ni à mon conseil municipal, ni au conseil communautaire. J’avais demandé au président Pichery qu’il essaie de rester au plus près des élections municipales, pour glisser tranquillement. Mais, il m’a appelé le jeudi pour me dire qu’il avait pris sa décision et qu’il l’annoncerait le lundi suivant, le 29 septembre, après la commission permanente. »

« Le plus beau des mandats » arrêté

Philippe Dallemagne a donc le week-end pour se préparer et organiser une réunion de conseil communautaire dès le lendemain, de bonne heure, pour éviter que les membres apprennent la nouvelle par la presse. « Je leur ai expliqué et ils ont bien tous compris. Je me suis même excusé de ne pas leur en avoir parlé, mais j’avais donné ma parole au président Pichery. Je savais que j’allais être sous le coup de la loi, et qu’à l’instant où je serais élu à la présidence du Département, mon mandat de maire, le plus beau des mandats, s’arrêterait. Quitter la mairie, c’est mon plus grand regret. Les habitants viennent directement vous voir et pensent que vous allez régler tous les problèmes. C’est ce que j’appréciais, c’était d’être un facilitateur pour trouver des solutions. Il était prévu que je me représente ! » L’enfant du pays demande donc à son adjoint de le remplacer et lui, devient conseiller municipal jusqu’aux prochaines élections de mars 2026. « Pour rester soudés et porter les projets tous ensemble. La réussite, c’est collectif. »

Lui qui connait tout le monde dans sa petite commune de 423 habitants, endosse désormais une responsabilité départementale et abandonne aussi la présidence de la communauté de communes de Vendeuvre-Soulaines. « Je considère qu’être président du Département demande beaucoup de présence. Quand je m’engage, je m’engage. Je suis un élu de terrain, je dois aller voir les choses sur place, échanger avec ceux qui savent. Je n’ai pas de problème d’ego, j’ai toujours fait comme cela. » Aujourd’hui, Philippe Dallemagne enchaîne toujours les rendez-vous. « Les gens viennent se présenter et je vais au-devant. »

« Il faut avoir le courage politique de prendre des décisions parfois pas appréciées de tous. »

Autodidacte, Philippe Dallemagne a obtenu un CAP de mécanique générale au lycée de Bar-sur-Aube. Il est père de deux grands enfants de 32 et 28 ans d’un premier mariage et père d’une petite fille de huit ans de sa seconde union. « Ça bouge à la maison, on ne vieillit pas ! Je n’ai pas vu mes deux enfants grandir, pris par mes mandats, je ne veux pas passer à côté de ma famille. Quand on est élu, c’est toujours la famille qui trinque, mais j’en ai tiré des leçons. Il faut savoir garder du temps pour soi et être auprès des siens. » Pour s’oxygéner, bien qu’il y aille un peu moins que d’habitude depuis le 13 octobre, il sillonne les bois et chasse le gibier. Il était d’ailleurs patron de chasse depuis trente ans. « Ce serait une erreur de ne plus y aller, j’en ai besoin. Je vais aussi supporter l’Estac, même si là-bas, nous rencontrons aussi beaucoup d’élus ou d’entreprises. C’est du réseau et c’est important. »

Une vie d’élu et d’échanges

Dans les années 1980, Philippe Dallemagne travaille à la Compagnie Générale des Eaux puis au Syndicat départemental des eaux de l’Aube. Quand il devient conseiller général, il demande une disponibilité. « Je considère que nous ne pouvons pas tout faire et que si on veut bien le faire, il faut prendre des décisions. Depuis 2011, je me consacre à mes mandats. Quand on est élu, il faut être passionné. Ce n’est pas un milieu facile, on prend des coups. Je dis souvent qu’à ces postes, nous ne devons pas avoir de problème mais des solutions. Il faut être juste et aimer les gens. J’ai vu des personnes en pleurs dans mon bureau. » Avec 36 ans passés à la mairie de Soulaines dont 30 ans comme maire, 22 ans comme président de l’intercommunalité, une douzaine d’années comme président du syndicat mixte d’aménagement du bassin de la Voire, Philippe Dallemagne est un élu de longue date. Il suit aujourd’hui un nouveau chemin au Conseil départemental où il officie depuis 2011 et était vice-président en charge de la commission des Finances depuis 2021.

Le nouveau président s’engage à faire ce qu’il faut pour tourner la page sur les années d’animosité entre le Département et la Ville de Troyes. Il souhaite renouer les relations entre les deux collectivités pour prendre les bonnes décisions pour le territoire, avec François Baroin, qu’il a rencontré à plusieurs reprises pour travailler dans un climat apaisé. « Je veux qu’on construise ensemble, qu’on réfléchisse ensemble. Sans pour autant dire oui à tout, il faut que chacun s’exprime. Si nous ne pouvons pas toujours être d’accord, il faut qu’il y ait un débat, une confrontation d’idées. »

Philippe Pichery lui laisse les commandes mais reste disponible pour le nouveau président dans un esprit d’accompagnement et de transmission. « La priorité aujourd’hui, c’est de savoir comment construire le budget. Je souhaite pouvoir encore maintenir un investissement à 50 millions d’euros. Certes, il va baisser par rapport à ce que nous avons pu connaître les années précédentes, mais nous sommes encore bien au-dessus de la moyenne. » Philippe Dallemagne voudrait réaliser une économie de fonctionnement de 5 % qu’il juge réalisable. « Nous devons réinterroger notre modèle social et notre niveau d’aides par rapport aux départements de même strate. Sans dégrader les accompagnements, c’est la mission et la réflexion menée par l’ensemble du Conseil départemental. Il faut se poser la question du modèle pour le grand âge. Les maisons de retraite et les structures en place semblent ne plus être adaptées. »

Avec une moyenne d’âge des résidents qui entrent en maison de retraite de 87 ans, le président pense qu’il convient de développer des unités protégées avec des lits médicalisés. Un vieillissement de la population qui nécessite des adaptations alors que 54 Départements français connaissent de grandes difficultés. « Il faut que l’État arrête de décider sans nous et sans nous donner les moyens. Qu’on fasse une vraie décentralisation, qu’on sache qui est le chef de file, qu’on arrête d’avoir des compétences partagées. Nous ne savons plus qui fait quoi et nous ne sommes pas efficaces. Le binôme, ce sont les communes et les Départements. Nous restons des élus de terrain. »

Rationnel, Philippe Dallemagne veut recentrer le Département sur ses compétences, sans fermer la porte aux opportunités. Quand il se projette, dans cinq ans, il espère que l’Aube sera toujours un département qui va de l’avant et qui investit. « Nous sommes aussi facilitateurs pour l’installation d’entreprises avec la mise à disposition de foncier. Comme pour Newcleo qui vient de signer le compromis de vente du terrain », et dont la signature court jusqu’en 2030 après l’instruction nécessaire du dossier. Au Département, le président revendique sa personnalité. « J’ai mon caractère, un caractère bien trempé comme on dit. Je peux être parfois un peu direct. Je suis plutôt sur le modèle de Philippe Adnot (président du département de 1990 à 2017, NDLR), qu’il ne fallait pas trop chatouiller ! Je dis les choses parce que je considère que cela ne sert à rien de promettre ce que nous ne sommes pas capables de tenir. Il faut avoir le courage politique de prendre des décisions qui parfois ne sont pas appréciées de tous ». Aujourd’hui, Philippe Dallemagne prend sa mission à coeur sans savoir aujourd’hui s’il sera candidat à sa réélection en 2028. « Je vais m’autoévaluer pendant ces deux années, voir comment nous aurons géré la crise, comment nous allons sortir la tête de l’eau. Après, je verrai alors si je suis candidat… ou pas ! »