Pascal Collard
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Pascal Collard

Agriculteur connecté

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Photo de Pascal Collard
Pascal Collard au sein de son exploitation à Isse, devant les caisses de pommes de terre. (Crédits : DR)

C’est dans le bureau de son exploitation que Pascal Collard nous reçoit, au-dessus d’une grange en pierres et poutres centenaires. Les affiches de vaches et d’oiseaux répondent aux hirondelles qui ont élu domicile dans un des bâtiments voisins, venant rappeler – s’il était nécessaire – que la nature et la biodiversité font partie intégrante de la vie des agriculteurs. « Pur » Marnais, né à Châlons-en-Champagne, au milieu des terres agricoles du département, Pascal Collard grandit à quelques kilomètres de là, à Jâlons où son père et sa tante possèdent une exploitation en GAEC (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun). « Après la troisième, je suis allé en école d’agriculture pour faire un bac agricole, puis un BTS. L’exploitation a toujours été située ici, sur le siège actuel. Je me suis installé en 1994, nous avons agrandi l’exploitation et j’ai intégré le GAEC avec mon père et ma tante. Deux ans plus tard, mon frère nous a rejoints ; nous étions alors quatre associés. »

L’entrée dans l’exploitation était « une évidence », lui qui, tout petit travaillait déjà dans les champs pendant les vacances. Très intéressé par les techniques agricoles, Pascal Collard a de nombreuses idées pour développer l’exploitation. « Quand nous avons commencé à parler d’installation, mon père et ma tante s’étaient lancés dans la diversification. Nous travaillons avec Bonduelle, notamment sur l’épinard, culture que nous faisons toujours. Nous avons aussi produit des oignons pour la déshydratation et avons mis en place des pommes de terre de consommation, que nous produisons encore. Nous faisons toujours de l’oignon, mais pour le marché du frais. »

L’exploitation couvre aujourd’hui 426 hectares, « à deux associés, en assolement commun avec deux autres exploitations » ce qui permet de faire 80 ha de pommes de terre de consommation. Et sur ce sujet, Pascal Collard explique très bien la problématique des agriculteurs en termes de souveraineté alimentaire. « Ces pommes de terre sont expédiées principalement en Espagne, sous forme de big bags, via des camions frigorifiques qui repartent chargés après avoir livré des agrumes et des tomates. L’Espagne est un gros consommateur de pommes de terre, notamment pour la soupe. Le marché français en consomme peu sous cette forme, privilégiant les produits transformés (frites, surgelés). »

Qualité et technique

Outre la pomme de terre, l’agriculteur mise aussi beaucoup sur la culture de l’oignon, pour lequel il a construit un bâtiment flambant neuf afin d’accueillir 1 850 tonnes de sa production. Ces derniers sont voués à être stockés 8 à 9 mois à une température de 0,5 degré. « Nous cultivons une trentaine d’hectares d’oignons (jaunes, rouges, échalotes) et avons investi dans un bâtiment neuf de stockage frigorifique. Le marché de l’oignon est exigeant : si l’on n’est pas excellent, on perd de l’argent. La qualité passe par les techniques de travail, la conservation et l’investissement, car la concurrence est forte et nos coûts de production élevés. Nous travaillons avec la coopérative Beauce Champagne Oignon, qui conditionne à Rethel et dans le Loiret, pour la grande distribution (moitié France, moitié export) », explique-t-il. Mais Pascal Collard a la chance d’effectuer « un métier passion ».

« À 54 ans, je suis heureux de ma carrière, d’avoir exercé un métier passionnant et épanouissant. Je souhaite que les jeunes aient la même chance. »

« Aujourd’hui, j’essaie de réhabiliter cette image de l’agriculteur, souvent stigmatisée. Il faut redonner envie, que l’on soit enfant d’agriculteur ou pas. » Métier différent, où l’on vit avec le climat, où l’on travaille quand les autres sont en vacances, il n’en demeure pas moins passionnant pour ceux qui l’exercent, avec mille opportunités pour nourrir et innover. « Le métier s’est beaucoup transformé depuis 1994 : évolution des machines, outils numériques, modélisations. L’agriculture reste un métier à cycle lent ; l’impact de nos pratiques se voit sur des décennies », rappelle Pascal Collard qui se passionne pour les innovations techniques. « Aujourd’hui, nous sommes un peu comme des médecins des plantes. Nous utilisons des logiciels de traçabilité et de modélisation fournis par les Chambres d’agriculture. Chaque matin, nous recevons un message sur la pression maladies, qui nous permet de déclencher ou non des traitements. Nous avons réduit d’un tiers la pression fongicide sur nos céréales. Le vent, l’humidité, la pluie influent sur les maladies. Nous espérons aussi que la génétique aidera à réduire encore les traitements », exprime celui pour qui l’agri-bashing est profondément injuste. « L’agriculture française est considérée comme l’une des plus durables au monde, mais nous n’encourageons pas assez nos agriculteurs à produire davantage pour assurer notre autonomie. »

Au service des agriculteurs

C’est cette conviction qui le pousse à s’engager auprès de la Chambre d’agriculture de la Marne, au sein de laquelle il entre, au départ, il y a une vingtaine d’années, comme président d’un groupe d’études agricoles. « J’y suis entré par la technique : j’étais président d’un groupe d’études agricoles, puis de la Fédération départementale, avant d’intégrer le bureau de la Chambre. » Ce qui l’intéresse, c’est la technique au sens large : la diversification, la vulgarisation, la recherche de débouchés et d’innovations. « Après plus de 25 ans de responsabilités, je m’interroge sur l’agriculture que nous voulons. À 54 ans, je suis heureux de ma carrière, d’avoir exercé un métier passionnant et épanouissant. Je veux que les jeunes aient la même chance. » Il pointe aujourd’hui la forte pression qui pèse sur la nouvelle génération qui voudrait s’installer, entre stigmatisation et virulence des propos. « Certaines exploitations, parfois fragiles, peuvent basculer rapidement avec un jeune passionné qui se détourne du métier précipitamment. »

Élu en mars à la tête de la Chambre d’agriculture, il envisage son mandat de deux façons : une première qui respecte le rôle de l’entité consulaire, « comme interface entre le monde agricole et les pouvoirs publics et une mission technique avec la mise en oeuvre de projets concrets » et une seconde, plus politique, mais toujours au service du collectif. « Le collectif est essentiel. Il faut entraîner les agriculteurs vers des pratiques plus vertueuses. J’y crois beaucoup par la pédagogie : expliquer les bénéfices conduit à l’adhésion volontaire. » Un message envoyé aux instances politiques gouvernementales qui, pour la profession agricole, a plutôt l’habitude de créer des lois qui contraignent. « Par exemple, même sans obligation, les agriculteurs implantent des couverts végétaux parce qu’ils en comprennent l’intérêt. En revanche, une réglementation complexe décourage parfois les bonnes volontés : certains textes sont tellement lourds qu’on ferme le dossier sans aller plus loin. »

La foire, un moment incontournable

Ainsi, Pascal Collard reconnaît que la Foire de Châlons est le moment clé pour communiquer avec le public et les élus, valoriser les métiers et montrer la diversité de l’agriculture. « En agriculture, il y a deux logiques : la production de proximité, avec vente directe, circuits courts, marchés, et la production à plus grande échelle pour alimenter les circuits de distribution (drive, supermarchés). Tout le monde ne va pas à la ferme. Il faut donc aussi une agriculture capable de répondre à ces flux et aux impératifs de souveraineté alimentaire. »

Persuadé que la conjugaison de la productivité et de la sécurité alimentaire passe par la recherche et l’innovation, Pascal Collard est aussi impliqué au sein de Terrasolis, dont l’objectif est d’imaginer la ferme bas-carbone de demain. À l’aube de son mandat de six ans comme président de la Chambre d’agriculture de la Marne, les sujets à traiter s’avèrent donc nombreux. « J’ai accepté la présidence de la Chambre parce qu’on me l’a proposée, pas par ambition politique. Ce que je souhaite c’est promouvoir ce que l’on produit et accompagner pour cela au mieux les agriculteurs. » Bottes aux pieds et un oeil sur le portable pour surveiller l’état des champs le matin ; en costume, également portable en main pour cette fois répondre aux questions des adhérents l’après-midi, et toujours, à la fin de la journée, la même passion.