Du plus loin qu’elle se souvienne, Ombeline Mahuzier a toujours souhaité devenir Procureure. Bercée durant son adolescence par des films tels que Mississipi Burning ou Au nom du père, elle se forge la conviction qu’elle deviendra un jour, elle-même, la garante des droits humains. « Dans ces deux films, on voit l’enjeu de ce que sont une procédure et un mécanisme judiciaire. Je n’étais pas tellement dans l’idéalisation mais plutôt déjà, dans la volonté d’exercer des responsabilités en conscience », livre-t-elle.
C’est pourquoi, après son baccalauréat, elle fait tout de suite « le choix de l’expertise », en effectuant des études de droit. « C’était d’abord la matière pénale qui m’intéressait. » Aussi choisit-elle d’entrer à la faculté de Rennes, qui proposait, dès les premières années, du droit pénal. Elle quitte sa famille, établie en région parisienne, et se confronte à la nouveauté en découvrant un autre département. « Dans la magistrature, on est amené à avoir une certaine mobilité géographique, qui fait partie des enjeux qui sont importants et des attendus. Découvrir de nouveaux environnements est toujours quelque chose que j’ai apprécié. »
Après quatre années de droit, à Rennes, puis à Assas, la faculté la plus réputée de France, Ombeline Mahuzier réalise un DEA (diplôme d’études approfondies) en matière de droit du procès, « en étant toujours animée par ces équilibres de la procédure et de la façon dont on fait respecter la loi ». Elle choisit alors de faire un mémoire sur La Procédure d’enquête et d’instruction devant le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie, marquée par l’actualité de la guerre en Europe dont on voyait défiler sur les écrans, au début des années 90, toutes les horreurs et conséquences désastreuses sur les populations.
« Ce Tribunal Pénal International m’intéressait particulièrement car il inventait un nouveau modèle, une procédure pénale qui, à l’époque, en la matière n’existait pas. » Le mécanisme de la justice, toujours, l’interroge : « La justice bouge tout le temps. Les modèles d’analyses, d’interventions évoluent. La justice est une institution qui, à la fois, a besoin de stabilité, de se référer à des textes qui sont solides mais qui doit quand même être en permanence dans la recherche d’une amélioration, et qui, par définition, correspond à des équilibres, sociaux, humains, économiques, procéduraux en perpétuelle construction », souligne celle qui est entourée, dans son bureau, d’objets lui rappellant ces concepts.
De la notion à la pratique
C’est donc en toute logique, qu’ Ombeline Mahuzier entre ensuite à l’ENM (École Nationale de la Magistrature) à Bordeaux, où, après l’expertise et la compréhension des mécanismes, elle apprend la mise en œuvre du droit, de manière beaucoup plus concrète et pratique. 18 mois de stages en immersion lui font découvrir toutes les fonctions de la magistrature. En 2005, elle prend son premier poste à Versailles, en pleine affaire d’Outreau.
Un choc, aussi bien pour les Français que pour toute la profession. Chargée des mineurs, des violences conjugales, intrafamiliales et sexuelles, c’est sur des sujets extrêmement durs à traiter, aussi bien pénalement que psychologiquement, qu’elle fait ses premières armes en tant que substitute du Procureur. « Pour arriver à faire la part des choses, il faut rester humble, en sachant qu’il y a forcément des choses qui nous touchent, mais en gardant toujours à l’esprit que l’on est responsable des dossiers que l’on a à conduire. » Ne pas se laisser consumer par la fonction, en veillant à un équilibre personnel et professionnel, tel est aussi l’enjeu de la vie d’un magistrat.
Pendant trois années, elle dirige des enquêtes au Parquet de Versailles et met notamment en place une convention pour les mineurs étrangers isolés. « À l’époque, la prise en charge pluridisciplinaire était balbutiante. Nous avons alors travaillé avec les juges pour enfants, les foyers d’accueil, la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse) pour essayer de toucher ces mineurs seuls sur le territoire, qui ont tendance à fuguer, livrés à eux-mêmes et exposés à de graves dangers », détaille-t-elle.
« L’engagement c’est avoir des convictions fortes mises au service d’une ambition collective en exerçant des responsabilités en conscience. Si on veut changer les choses, il faut commencer par s’impliquer. »
Elle occupe ce poste jusqu’en 2008 pour ensuite entrer, au TGI de Créteil, comme juge d’instruction. « L’essentiel de mon cabinet d’instruction comportait autour de 130 dossiers à traiter en permanence, avec un tiers d’affaires de ‘‘tout-venant’’, un tiers de délinquance structurée – délinquance, grand banditisme et trafic de stupéfiants de grande envergure, d’êtres humains aussi – et un tiers d’affaires de violences sexuelles. » Une prise de fonction dans un territoire très urbain, avec de très grosses affaires et la pression, qui, va avec.
En responsabilité
Des souvenirs de cette période, elle en parle sans langue de bois, entre les rencontres marquantes et les affaires plus compliquées à gérer. « C’est une responsabilité qui est très lourde, même si j’avais la chance d’être dans une très grande juridiction où nous étions onze juges d’instruction. Même si chacun est autonome, cela donne la possibilité de créer une vraie communauté professionnelle. » Des soutiens indispensables ; Ombeline Mahuzier y côtoie ainsi Jean-Louis Périès, qui a présidé le procès des attentats du 13 novembre, un confrère « très aguerri » ou encore Laurent Raviot qui a présidé celui des attentats de Nice. Quant aux affaires difficiles, elle s’en remémore une.
Celle d’une jeune fille de 17 ans, battue et prostituée par son petit-ami, trafiquant de drogue. « Elle était tombée dans la dépréciation d’elle-même, marquée par la honte, terriblement seule face à une multitude d’hommes qui abusaient de sa détresse. Ils tiraient profit de son autodestruction, en la rendant seule responsable de qu’il se passait, sans aucune considération pour la personne humaine qu’elle était. »
Marquée par cette affaire et « percevant combien une jeune femme considérée comme un objet face à des attitudes profondément sexistes peut être démunie », elle réfléchit déjà, comment elle peut agir en tant que magistrate afin de lutter contre ce type de violences. Affectée d’une certaine manière par cinq années d’affaires mêlant violences et parfois aussi, menaces, Ombeline Mahuzier éprouve le besoin de s’extraire de la fonction de juge d’instruction, pour un poste « moins exposé » où elle peut « se régénérer ».
Elle entre donc pour cinq ans, au cabinet du DACG (Direction des Affaires criminelles et des Grâces) comme cheffe du pôle d’évaluation des politiques pénales. Un poste beaucoup plus administratif que toutes les fonctions qu’elle avait occupées auparavant. Là, elle manage des équipes de juristes et statisticiens afin d’analyser les projets de lois et d’évaluer les politiques publiques en matière pénale. « C’était important pour moi de faire des allers et retours entre le terrain — le quotidien du pire avec des scènes de crimes très violentes — et des fonctions plus analytiques, plus prospectives, afin aussi de me préserver », confie-t-elle.
Appréhender le territoire
En 2019, nouveau changement de direction avec la nomination comme Procureure de la République de Châlons-en-Champagne, « pour voir comment on décline les politiques publiques, non plus à l’échelle d’un dossier, mais à l’échelle d’un territoire ». En arrivant, elle développe plusieurs axes : la question des violences faites aux femmes, celle concernant les contentieux économiques et financiers mais aussi la question du droit de l’environnement. Très engagée dans la lutte des violences faites aux femmes, elle élabore, avec la présidente de la juridiction, une politique publique appliquée à l’action judiciaire, mise en place avec tous les acteurs (le Siège, le Parquet, les avocats) pour essayer de définir des objectifs communs : améliorer la prise en charge des victimes et la détection des situations de danger.
« On a utilisé tous les outils qui existaient pour lutter contre les violences intrafamiliales dont le Schéma local d’aide aux victimes, partagé avec la Préfecture mais on a aussi développé de outils spécifiques dont le parcours de protection des victimes. Nous avons ainsi déployé davantage de téléphones ‘‘grave danger’’. Il y en avait trois, aujourd’hui il y en a 35. » Ombeline Mahuzier a aussi, avec la Présidente du Tribunal judicaire de Châlons, rendu aux femmes du monde de la justice, la place qu’elles méritent en rebaptisant notamment la salle d’audience du nom de la première magistrate du TJ de Châlons, Yvonne Bodénan-Schmitt.
« Je suis quelqu’un de très engagée », soutient-elle. « L’engagement c’est avoir des convictions fortes mises au service d’une ambition collective en exerçant des responsabilités en conscience. Si on veut changer les choses, il faut commencer par s’impliquer. » Une implication qu’Ombeline Mahuzier compte bien continuer à mener, là où l’emmèneront ses futurs chemins... Toujours sous l’œil de Thémis.