« J’ai toujours été sensible à ce qui touche à la maison en général, la matière, les décors, les objets. À l’adolescence, je m’amusais par exemple à créer des petites maquettes d’aménagement intérieur », se souvient Morgane Ratton. Bac littéraire en poche et après un passage par l’université, elle entre à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris Belleville.
Mais ce deuxième choix ne correspond toujours pas à ses aspirations. Ses recherches pour trouver sa voie la mènent alors au Lycée des Métiers de l’Ameublement, situé tout près de chez elle, à Saint-Quentin, dans l’Aisne. Elle passe alors un CAP en à peine un an, puis un brevet des Métiers d’art en deux ans ainsi qu’un diplôme des Métiers d’art en ébénisterie, niveau Bac plus deux. « Je suis sortie major de promo, grâce à un super projet qui m’a passionné, une création de malles pique-nique en bois pour porte-bagage arrière de vélo », glisse-t-elle.
C’est d’ailleurs durant ce projet, alors qu’elle est confrontée à la réalité du terrain, que se confirme sa passion pour la création et les savoir-faire artisanaux. « J’ai collaboré avec pas mal de savoir-faire. J’ai fait des stages chez la souffleuse de verre Fabienne Picaud, la marqueteuse de paille Lison de Caune à Paris, chez le malletier maroquinier Franck Tioni près de Limoges… et de nombreux autres », s’enthousiasme la jeune passionnée.
La malle pique-nique lui vaudra d’obtenir le deuxième prix Avenir métiers d’art en 2016. Puis sa passion pour le dessin la guidera vers l’InSituLab Le Corbusier, une école supérieure de design, à Illkirch-Graffenstaden, en Alsace, au sud de Strasbourg. En 2017, avec en poche un DSAA design produit, elle décide de partir à Barcelone chez le designer d’objet Luis Eslava. Elle y restera quatre mois. « J’ai souhaité revenir en France avec l’idée de travailler la matière et de trouver des entreprises à taille humaine, spécialisées en artisanat d’art », explique la jeune femme. Et de réaliser, une fois rentrée, que c’est plus compliqué qu’il n’y paraît, malgré son niveau d’études.
Création d’entreprise
En février 2018, elle crée sa micro-entreprise et entre à l’incubateur d’entreprises du lycée des métiers d’art de Saint-Quentin – où elle a étudié quelques années auparavant. Tout en travaillant en tant que salariée comme surveillante d’internat, « J’y suis restée deux ans, pendant lesquels j’ai pris le temps de développer mes projets, de dessiner des pièces de mobilier, en utilisant les machines outils sur place. J’ai aussi collaboré avec, par exemple, la créatrice textile Charlotte Kauffman et la canneuse Laurence Mieg, qui m’a formée au cannage, auquel j’ai pris goût », fait valoir Morgane Ratton, avant d’ajouter : « Puis le Covid est arrivé. Les choses de la vie ont fait que j’ai rencontré quelqu’un et que je suis partie dans l’Aube ».
Arrivée dans l’Aube
« L’Aube, c’est en fait la région de mon enfance. Mon père y a grandi. Moi, j’y ai passé toutes les vacances scolaires », relate Morgane. En février 2021, elle crée Morgane Ratton Design et Cannage : « L’activité a bien décollé. D’autant plus que l’on m’a proposé à Bar-sur-Seine la mise à disposition d’un local – gracieusement pendant un an puis pour un loyer modique ». Ce n’est qu’en février 2023 qu’elle obtient la mention Artisan d’art, n’ayant pas le CAP de cannage.
Ses créations d’objets sont principalement dotées de rotin et de cannage, avec « l’ambition de proposer une esthétique et un regard nouveau de l’objet, redécouvrir des matières, s’ouvrir à des formes nouvelles ».
« Ce qui m’émerveille, c’est cette capacité, ce don que possèdent certains de travailler de leurs mains une matière et de lui donner une forme. Une forme au sein d’une matière qui proposera finalement un usage »
Elle associe design et savoir-faire – en collaborant pour certaines de ses créations avec d’autres artisans d’art – pour développer des collections de pièces uniques ou de petites séries de meubles et d’objets du quotidien qu’elle revisite pour les mettre au goût du jour.
Mais la création requiert un investissement financier pour des pièces qui ne seront pas forcément vendues dans l’année. C’est pourquoi son activité se concrétise aujourd’hui essentiellement dans de la restauration de chaises et fauteuils cannés, allant du cannage traditionnel (collé et percé) au cannage contemporain serti, en passant par le cannage de lame. « Je suis rémunérée au fil et non pas en fonction du nombre d’heures de travail : pour une assise, il faudrait compter au minimum huit heures à quarante euros de l’heure et l’on n’a pas forcément envie de mettre autant dans une restauration de chaise », estime l’artisan d’art auboise, même s’il lui arrive de travailler sur des objets à la valeur inestimable : « Je travaille en ce moment sur un fauteuil qui a presque 300 ans. » Pour autant, Morgane Ratton ne travaille pas avec les musées car ce ne sont pas les mêmes techniques de restauration. « Je ne suis pas obligée de tout conserver, au contraire, j’enlève l’ancien pour amener quelque chose de nouveau et dont on doit faire usage », précise-t-elle.
Si elle doit en parallèle assurer une partie de ses revenus grâce à l’enseignement des Arts Appliqués en lycées professionnels, Morgane apprécie vraiment de transmettre son savoir-faire artisanal. « L’année passée, j’ai aussi abordé l’activité avec des établissements scolaires. Cela prend énormément de temps mais c’est quelque chose que j’aimerais aussi développer. J’aime l’idée de ramener un petit peu d’artisanat dans les écoles. Cela permet de travailler sa culture artistique, sa patience, sa motricité, sa dextérité », confie la passionnée.
En s’installant à Bar-sur-Seine plutôt que dans une plus grande ville, Morgane a choisi l’environnement et le mode de vie qui lui conviennent le mieux et dont elle ne veut pas se priver. Et pour faire connaître son activité, elle mise sur les expositions : « Je vais jusqu’à Nancy ou encore Reims et je participerai au salon du Made In France en novembre prochain, à Paris, porte de Versailles. »