« J’ai choisi de devenir architecte à 13 ans, sans vraiment savoir ce que cela voulait dire car personne dans mon entourage n’exerçait cette profession. Je cherchais un métier qui allie la créativité et la rigueur scientifique. On m’a cité l’architecture comme une discipline qui répondrait bien à mes attentes. J’ai creusé la question en lisant et en rencontrant un étudiant en architecture, puis un architecte dans son agence. Cela a confirmé mon intérêt. S’est ajouté un aspect que je n’avais pas envisagé de prime abord mais qui m’a attirée de suite : c’est un métier éminemment humain puisque tout y est rencontre, du client à l’artisan en passant par l’équipe de maitrise d’œuvre ; c’est un métier où chaque journée est différente de la précédente, où chaque projet est une remise en question. Impossible de rester sur ses acquis, il faut sans cesse se réinventer. » Ainsi naissent les vocations, à l’image de celle de Laure-Anne Geoffroy, architecte associée avec son époux, Matthieu, au sein de l’Agence Geoffroy Architectes, à Reims.
Défendre les architectes
Si Laure-Anne Geoffroy est aujourd’hui sous les feux de l’actualité, c’est qu’elle vient d’être élue, le 20 octobre, présidente de l’UNSFA, l’Union des Architectes, principale fédération syndicale de la profession. Elle en était précédemment vice-présidente, en charge de la communication, après avoir intégré l’UNSFA en 2017, en qualité de présidente de l’Union Marnaise des Architectes (UMA), qu’elle venait de fonder.
Voilà qui fait assurément de Laure-Anne Geoffroy une architecte engagée, au moins en ce sens qu’elle a été élevée « dans la conviction que lorsque quelque chose ne nous convient pas, ou ne nous semble pas juste, il faut aller là où l’on peut agir pour changer les choses, et s’engager sans compter pour les causes auxquelles nous croyons ». Pour la nouvelle présidente, il s’agit bien de l’architecture et des architectes.
J’aime cette idée de "faire ensemble". J’aime cette vision qui fait de l’architecte un chef d’orchestre
Lors de la réforme territoriale de 2016, les ordres professionnels implantés dans les anciennes régions administratives ont suivi le mouvement de concentration, l’ordre champardennais rejoignant le nouveau Conseil régional de l’Ordre des architectes Grand Est. Laure-Anne Geoffroy : « Le lien de proximité avec les architectes se distendait. D’où l’idée de créer une structure locale - l’Union Marnaise des Architectes - pour être au plus près d’eux, les rassembler et les défendre. » à plus forte raison au sein d’une profession peu syndiquée (moins de 10 %) dont les membres pensent à tort que leur appartenance à l’Ordre revient au même.
« Mais ce n’est pas le rôle de l’Ordre, qui est là pour défendre… l’architecture, et les consommateurs. La défense des architectes, c’est le rôle des syndicats ! » Et si les architectes doivent comprendre que la complémentarité Ordre/syndicats reste indispensable, « nous devons communiquer par tous les canaux dont nous disposons pour leur montrer notre action en leur faveur », estime-t-elle.
Crise du logement
C’est notamment l’un des enjeux qu’elle entend porter à la tête de l’UNSFA, dont la visibilité des actions doit être utile à tous. Où l’on retrouve les notions « d’humain » et de « remise en question » que nourrissait déjà l’apprentie architecte. Ainsi, le renforcement et la dynamisation de la stratégie d’influence du syndicat sont au cœur de son programme.
« Ces dernières années, nous avons tissé des liens solides avec les ministères, les fédérations et les organisations de la filière. à ce titre, l’Alliance pour le logement, qui rassemble dix grandes organisations professionnelles de la construction, de l’immobilier et de l’habitat, propose collectivement des solutions concrètes vis-à-vis de la crise que connaît actuellement le logement neuf. Cela traduit notre volonté et notre capacité de mener ensemble des combats. »
La gestion de cette crise est l’une de ses principales préoccupations. à l’échelle nationale, entre octobre 2022 et septembre 2023 les permis de construire (tous types d’habitation) ont diminué de 28,3 % par rapport aux 12 mois précédents et, sur la période, les mises en chantiers accusent une baisse de 16,6 %, qui devrait s’accentuer dans les mois à venir. Les promoteurs immobiliers enregistrent par ailleurs -50 % de réservation sur leurs programmes. Les taux d’intérêts sont élevés, les banques prêtent peu, les gens ne bougent pas…
« Si l’on ne construit pas, il n’y a plus de logements sociaux. La chaîne est bloquée, la crise s’installe dans le temps et, du fait de l’inertie dans la mise en œuvre, c’est dans deux ans que les effets s’en feront sentir sur les entreprises du bâtiment. » L’ensemble de la filière propose, par exemple, que lorsqu’un projet de construction est réglementairement correct, la décision d’accorder le permis de construire soit prise par le préfet plutôt que par le maire. Ou encore qu’un maire acceptant des logements neufs sur sa commune reçoive l’aide de l’Etat pour la réalisation d’équipements connexes. « Il s’agit là d’une vision au service de la société, qui dépasse le seul intérêt particulier des architectes. »
Sur la scène
Tendre vers l’égalité femmes-hommes au sein de la profession et des instances fait aussi partie des objectifs de Laure-Anne Geoffroy. En 2021, 32,3 % de femmes étaient inscrites à l’Ordre alors qu’elles représentent 60 % des diplômés. « L’UNSFA doit offrir plus de diversité, d’inclusivité, de visibilité aux femmes architectes. » Orientation dans laquelle on verrait presque un reflet militant… dont elle se défend.
« Mais la fréquentation d’associations de femmes chefs d’entreprise, comme Créer au Féminin ou Créez Comme Elles - qui n’ont rien de ‘féministe’ - m’a beaucoup apporté. En fait, il n’est pas dans ma nature d’être sur le devant de la scène. Aller dans cette voie relève d’un choix commun avec mon mari, qui m’a soutenue dans cette démarche et pris en charge un peu plus du quotidien de notre agence. Mais ce que je vis dans cet engagement enrichit aussi notre parcours professionnel. »
Par la force des choses et de ses engagements, Laure-Anne Geoffroy se retrouve quand même sur le devant de la scène. Alors qu’elle aime tant, sur scène, n’être qu’une voix parmi cent autres dans le chœur Nicolas De Grigny. « Plus jeune, chanter m’a permis de poser ma voix, de gagner en assurance. Dans un chœur, chaque voix compte et tout seul l’on n’est rien. J’aime cette idée de ‘faire ensemble’. J’aime cette vision qui fait de l’architecte un chef d’orchestre. » Désormais, à l’UNSFA, Laure-Anne Geoffroy est à la baguette.