Bonnet sur la tête, emmitouflé dans une doudoune noire bien épaisse, pour Kyan Khojandi, les retrouvailles avec sa ville natale sont fraîches. Non pas que le comédien soit en froid avec la Cité des Sacres ou ses habitants, mais les températures sont passées au négatif en ce milieu du mois de décembre. D’ailleurs, du côté des relations avec le public, le jeune quadra bénéficie d’une cote de sympathie que de nombreux artistes pourraient lui envier. Son passage déclenche plutôt des regards curieux et respectueux chez les Rémois qui le croisent ce matin-là. Aussi détendu et souriant à la ville que de l’autre côté de l’écran, Kyan Khojandi commande une tisane avec du miel et se prête de bonne grâce à l’interview du local de l’étape avec simplicité et décontraction. Comédien, musicien, scénariste, réalisateur… il assume son côté touche-à-tout. Il le revendique même comme une manière d’aborder la vie. Sa vie à lui, il l’a choisie, contre les évidences qu’on aurait voulu lui imposer. Et il la façonne chaque jour à sa manière. « Je suis fils d’immigré – son père était iranien, NDLR – donc il faut réussir, on n’a pas le choix, il faut être avocat ou médecin », sourit-il. Et pourtant…
« Pour comprendre comment on fait rire les gens il faut étudier les grands auteurs. J’ai acheté tous les livres imaginables sur l’humour et je les ai décortiqués. Feydeau, Guitry... j’ai tout lu ! »
Né à Reims en 1982, il grandit dans le quartier du Val de Murigny et accède très jeune aux activités artistiques. Entré au conservatoire de musique à l’âge de six ans, il y apprend l’alto. Le début d’une formation musicale d’une douzaine d’années qui le conduira dès le plus jeune âge à découvrir la scène. Si le sort de sa carrière de médecin a été assez rapidement scellé après un Bac ES obtenu au lycée Clémenceau et une faculté de droit, ses parents pouvaient toujours espérer le voir endosser la robe. Mais c’était sans compter sur l’envie irrépressible de leur fils de vivre la vie d’artiste à laquelle il n’a jamais vraiment renoncé, bien au contraire. « J’ai toujours fait du théâtre. Mes parents ne l’ont pas vu mais j’ai toujours été artiste en fait. Mes premières scènes remontent à l’âge de six ans ». Kyan Khojandi goûtera en effet à toutes les formes de spectacle sur les planches, de son premier rôle en fin de CM2 au lycée en passant par les concerts, les clubs de théâtre des années collège et les premiers montages d’œuvres d’art sur ordinateur. C’est donc contre l’avis familial et armé de son courage et de son talent que le jeune homme se rend à Paris, « heureux », pour y vivre son rêve.
La vie de bohème avant bref
Il s’inscrit au cours Simon en 2004 et s’engage très sérieusement dans l’apprentissage de son métier de comédien et d’humoriste en particulier. « Pour comprendre comment on fait rire les gens il faut étudier les grands auteurs. J’ai acheté tous les livres imaginables sur l’humour et je les ai décortiqués. Feydeau, Guitry... j’ai tout lu ! » Il écrit ses premiers textes et les teste auprès du public dans des petits bars, dans des scènes ouvertes de stand-up ou en première partie d’autres artistes « devant trois ou quatre personnes ». Avec plus ou moins de succès d’ailleurs, mais avec une formidable envie de réussir, tout comme son idole, Michael Jordan. « J’ai appris ce que c’était de ne pas être rentable », sourit-il aujourd’hui. Le RSA, les petits boulots d’auteurs, les mauvaises et les bonnes rencontres. C’est à cette période de sa vie qu’il croise Bruno Muschio, qui deviendra rapidement son co-auteur. Son « alter-ego de créativité », précise même Kyan Khojandi qui collabore avec lui depuis une quinzaine d’années maintenant.
À défaut de rencontrer le succès, les deux auteurs passent leurs journées à écrire ensemble et à tester leurs idées du papier à la scène. Une vraie vie de bohème en plein cœur de Montmartre, à écouter du Brel, lire des poètes, qui forgera le caractère des artistes. Pour le jeune comédien, il s’agit d’une période fondatrice. « J’ai dû me battre et au final, ne pas avoir l’aval total de mes parents ça m’a donné la « gnaque ». Mine de rien ça forge. Quand il y a des moments de bonheur comme aujourd’hui, je profite de chaque instant et je suis encore plus heureux d’avoir démarré de zéro, voire de moins dix ». Jusqu’à cette opportunité formidable que le jeune comédien va saisir sans hésiter. « J’ai eu l’occasion de réaliser un court-métrage, qui s’est transformé en programme court ». C’est la naissance de « Bref », ce format court, diffusé trois fois par semaine à 20h30 sur Canal Plus pendant un an. « La première diffusion a eu lieu le 29 août 2011, date de mon anniversaire. C’était plutôt un beau cadeau… ».
« J’adore être un éternel débutant et recommencer de zéro »
Si les diffusions ont pris fin le 12 juillet 2012, Bref est devenu suffisamment emblématique, pour rendre Kyan Khojandi célèbre dans tout l’Hexagone. Dix ans plus tard il est encore connu pour être « le gars de Bref ». Une appellation certes réductrice au vu de ses nombreuses activités mais qui lui confère une belle cote de sympathie auprès du public. Une liberté d’action aussi, pour celui qui adore brouiller les pistes. C’est ainsi qu’entre un rôle au cinéma, l’écriture d’un scénario ou un retour sur scène pour jouer son spectacle, il sort un album musical, « L’horizon des événements » où il interprète ses propres textes « un peu dark », avoue-t-il aujourd’hui. En cas de récidive, ce qui n’est pas encore à l’ordre du jour, Kyan Khojandi l’annonce : « Je ferais des chansons un peu plus dansantes ».
Déclaration d’amour
Il présente aussi sur Youtube l’émission d’interview « Un bon moment » et a repris, en 2022, le concept américain Hot Ones une émission télévisée sur Canal Plus, dans laquelle il réalise des interviews de personnalités tout en dégustant des sauces piquantes, l’une de ses passions. Un concept aussi inédit qu’inattendu qui l’amuse, comme tout ce qu’il fait aujourd’hui. « Quand j’ai débuté, je faisais tout pour réussir et ça me rendait malheureux. Du coup j’ai arrêté de vouloir réussir et je fais les choses pour le plaisir. Aujourd’hui je ne fais que ce qui me plaît et je garde ma spontanéité… J’adore être un éternel débutant et recommencer de zéro ». Et ça se voit. Il se verrait d’ailleurs bien créer sa propre marque de sauce piquante. « J’adorerais ça. ça m’exciterait énormément », avance celui qui n’oublie pas de gérer personnellement ses propres affaires : il a créé le site unebonneboutique.com pour vendre les produits dérivés de toutes ses séries ou émissions (Bref, Bloqués, Serge le Mytho, Un bon moment…) et pour lesquels il n’hésite pas à faire le mannequin. « Je gère toutes mes licences de merchandising et je contrôle tout. Je crée les produits dérivés et je les mets en ligne ».
Jamais blasé, le jeune marié, qui est également jeune papa, aime se définir comme « artiste artisan » et savoure la vie, avec ou sans sauce piquante. Avec ou sans calvitie aussi, selon les moments, puisqu’il a récemment fait des apparitions télévisées avec des cheveux, lui qui était connu de son public avec le crâne rasé. Un buzz réussi pour lancer la dernière ligne droite de sa tournée qui passera par Reims le 19 janvier 2023. Une date pour laquelle il a spécialement réalisé une vidéo de promotion, hommage au Reims de sa jeunesse, où, enfant, il aidait son père à tenir la boutique de tapis familiale. « C’est une déclaration d’amour à ma ville où ma mère vit toujours ». Une dernière date qui sera donc forcément particulière pour lui. Et pour tous les Rémois présents ce soir-là pour passer... une bonne soirée.