Johan Zasada
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Johan Zasada

Tonnelier différencié

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Photo de Johan Zasada
A Fleury-la-Rivière, dont il est originaire, Johan Zasada a installé sa tonnellerie au cœur du vignoble. (Crédits : JR)

Parce qu’il s’agit de manipuler des fûts de 50 kg – poids à vide, bien sûr, d’une pièce bourguignonne de 228 litres – tonnelier peut-être un métier physique. Avec un gabarit d’un mètre quatre-vingt-douze pour cent bons kilos, qui ne déparerait pas en troisième ligne d’un pack du Top 14, Johan Zasada s’en accommode sereinement. Surtout si l’on considère qu’il pratique son métier ‘‘tout à la main’’, c’est-à-dire avec utilisation minimum de la machine, pour une fabrication de tonneau… à l’ancienne.

N’empêche ! Le Fleurysien pur jus n’a pas toujours raboté la douelle. Après son Bac pro, il a travaillé dans des entreprises champenoises pendant une douzaine d’années comme développeur informatique (software engineer disent les anglo-saxons), chargé de la gestion de systèmes de production industriels automatisés. « Enfant, j’étais admiratif des machines (les boucheuses museleuses, les étiqueteuses, etc.) que je voyais dans les Maisons de champagne. C’est comme ça que je me suis orienté vers leur entretien. Mais uniquement dans le champagne, pas dans l’industrie automobile ou autre ! »

Aussi, lorsqu’au fil de sa progression professionnelle il a perdu ce lien de proximité avec le ‘‘viti-vini’’, il a compris qu’il était temps pour lui de changer de métier. Mais pour quoi faire ?

Ingénierie inversée et bousinage

À l’occasion d’une dégustation avec quelques amis et d’une discussion à bâtons rompus autour… d’un fût, il se dit que la tonnellerie pourrait devenir sa nouvelle voie. En vérité, Johan Zasada, qui a passé sa jeunesse dans les vignes d’une mère viticultrice, et dont le père était charpentier couvreur, a toujours été plus manuel qu’informaticien. Il lui restait à se former, trouver les quelques machines nécessaires, un atelier, et la matière première.

Se former. Rien de plus simple (sic !) : « J’ai pratiqué l’ingénierie inversée [reverse engineering disent les anglo-saxons], méthode qui consiste à retrouver, à partir d’un produit fini, les processus qui conduisent à sa fabrication. En l’occurrence, on prend un tonneau, on le démonte, on regarde comment il est fait… » Une pratique courante dans l’industrie. « Et puis en matière de tonnellerie il n’y a pas de risque de copiage, puisque la technique existe depuis plus de 2 000 ans. » En procédant ainsi, Johan Zasada voulait éviter toute influence d’un autre tonnelier, et réaliser un fût de vin de champagne sur la base de ses propres connaissances. « C’est ma différenciation », sa valeur ajoutée, en quelque sorte.

« Cette année, j’ai fabriqué une centaine de fûts, principalement des pièces bourguignonnes, ce qui fait certainement de moi le plus petit tonnelier de France ! »

Puis il a cherché les meilleurs bois de chênes issus des meilleures forêts françaises – d’Orléans, du Tronçais, de Bercé – au grain le plus fin possible. « Ce sont eux qui confèrent son équilibre optimal au vin de Champagne. »

Il a encore longuement travaillé le bousinage (opération de chauffe dont la maîtrise permet d’exprimer le potentiel oenologique, aromatique et tannique du chêne) pour trouver l’intensité convenant le mieux au champagne. « Les tonneaux réalisés dans d’autres vignobles ne prennent pas en compte nos pratiques culturales. Pour ma part, je ne travaille pas ‘‘sur catalogue’’, et je pratique une chauffe, ou des chauffes, adaptée(s) au besoin de chacun de mes clients. » Pour faire, toujours, la différence.

12 hectos, pas plus

Même s’il n’y a que peu de tonneliers dans la Marne, encore faut-il se faire connaître lorsque l’on démarre de zéro dans cette activité. « Il y a, bien sûr, les réseaux sociaux. Mais ‘‘le temps du vin’’ – donc le résultat issu du tonneau – peut prendre plusieurs années. C’est une oeuvre de longue haleine. » Pourtant, cette année, Johan Zasada a fabriqué une centaine de fûts, principalement des pièces bourguignonnes, qu’il dessine lui-même en 3D (n’oublions pas sa formation initiale en informatique), « ce qui fait certainement de moi le plus petit tonnelier de France ! ». Surtout si l’on considère que 10 000 à 20 000 unités sortent annuellement des grosses entreprises, et que la production française est d’environ 600 000 tonneaux par an. Sa plus importante réalisation avait une contenance de 12 hectolitres (soit 1 200 litres, n’est-ce pas ?) – « Je ne fais pas davantage. Au-delà, c’est de la foudrerie, et ce n’est plus la même chose… »

Son marché reste celui du champagne et il devrait clore l’année 2025 avec un chiffre d’affaires de 100 000 €, pour un prix moyen de 1 000 € la pièce de 228 litres, en prenant soin de préciser que la matière première coûte cher.

Il a investi en août son nouvel atelier à Fleury-la-Rivière (« J’aurais pu m’installer sur une zone artisanale, mais je tiens à être au coeur du vignoble »), qui lui permet une production de 200 tonneaux neufs par an. Pour l’instant, il en vise 150 en 2026, ce qui lui permettrait d’accueillir un deuxième apprenti début 2027, après l’arrivée en septembre dernier d’Axel Moreau.

Oenotourisme et visite sensorielle

« En dépit d’une baisse de production d’environ 15 % à l’échelle mondiale, le tonneau connaît un certain regain en Champagne. Les petites cuvées, le parcellaire, et un goût des consommateurs pour le boisé, concourent à cette évolution. » Autant de raisons, pour Johan Zasada, d’envisager quelque développement annexe, et original, à vocation oenotouristique. Dans son atelier, il termine l’installation d’une vaste mezzanine propre à servir de lieu de réception où l’on dégustera le champagne de ses clients, issu de ses tonneaux, après une ‘‘visite sensorielle’’ de la tonnellerie où le visiteur aura caressé le bois, senti le chêne, et observé le savoir-faire de l’artisan. Parce que rien n’empêche un ‘‘petit tonnelier’’ d’imaginer l’avenir en grand…