Jérôme Gromont
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Jérôme Gromont

Croquer la pomme du succès

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Photo de Jérôme Gromont
Avec 14 boutiques dans le groupe Inter-Actif, Jérôme Gromont ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, cinq autres ouvertures sont encore prévues... (Crédits : ND)

De sa jeunesse, nous ne saurons pas grand-chose par pudeur. Mais l’on comprendra entre les lignes, que difficile et après plusieurs drames, elle lui forgera son caractère déterminé et entier. Indépendant très jeune, c’est après un diplôme en gestion obtenu à Châlons-en-Champagne que Jérôme Gromont décroche son premier emploi. « En 1992, je débute comme comptable et contrôleur de gestion au sein de l’entreprise Noir sur Blanc, avec comme responsable Pascal Gayet, qui me fait confiance rapidement. » Le choix de cette voie professionnelle ne doit rien au hasard, « à l’époque, la comptabilité était un des seuls moyens de toucher à l’informatique qui me passionnait déjà ». Car pour les années 90, Noir sur Blanc est une entreprise très informatisée, dotée de plusieurs Macintosh. « J’ai un cerveau très binaire, très « booléen », ce qui fait qu’au sein de l’entreprise, je prends de nouvelles responsabilités en écrivant beaucoup de process internes et en effectuant de la digitalisation pour le groupe Carrefour qui est un des gros clients. Malheureusement, quand celui-ci ne renouvelle pas son contrat, Noir sur Blanc dépose le bilan. » 1998, Jérôme Gromont cherche alors un emploi dans la grande distribution. Il devient gérant d’une grande surface mais rapidement – 10 jours exactement – il se rend à l’évidence : ce n’est pas fait pour lui. « Ce qui m’a toujours fait vibrer, c’est l’informatique. Et comme dans la vie, je n’abandonne rien, je décide de m’y mettre à fond, en intégrant une société comme technico-commercial spécialisé. »

Là, le jeune homme de 26 ans découvre véritablement tout ce qui touche au domaine à travers la multitude de matériel existant. « Je dois vendre tout l’environnement PC. Mais je n’aime pas du tout. Il y a trop de pièces et pas assez de fonctionnalités selon moi. Et comme mon coeur a toujours balancé pour l’environnement Apple, je commence à proposer des MAC au lieu des PC à mes clients. Je vendais plutôt pour des particuliers mais je me dis qu’il faut aussi développer la partie pour les entreprises. »

« Quand l’entreprise gagne de l’argent, le collaborateur gagne de l’argent. Et inversement. Cela doit être un cercle vertueux. »

Débute alors sa réflexion de créer sa propre enseigne, où il pourrait développer sa stratégie. Ce qu’il fait, en 2000, avec inter-Actif, comme un symbole pour son entrée dans le nouveau siècle.

Une croissance à deux chiffres

Un choix visionnaire et payant. Visionnaire, car c’est à la fin des années 90 qu’Apple rappelle Steve Jobs pour redresser l’entreprise en mauvaise posture et en manque d’innovation. Et payant, car malgré des difficultés de départ (aucune banque ne veut lui prêter de l’argent, ni son entourage personnel, ni son entourage professionnel ne croit en la viabilité du projet), l’avenir lui donnera raison avec un réseau qui rapporte aujourd’hui 32,5 millions d’euros de chiffre d’affaires.

En 2000 donc, Jérôme Gromont commence par proposer des solutions, du service, du consulting et peu de matériel. Mais au bout de 2 ans, la demande de la part de ses clients est tellement forte qu’il se résout à ouvrir une petite boutique, rue des Capucins, à Reims. « À ce moment-là, les marges de revente dans le matériel informatique sont tellement élevées que les revendeurs ne voient pas l’intérêt de faire du suivi et du conseil. Je suis donc à peu près le seul sur mon segment. De mon côté, j’embauche trois salariés : un vendeur, un technicien et un technicien d’atelier. » Quelques mois plus tard, Jérôme Gromont reçoit la visite d’un représentant de la marque Apple qui a vu ses chiffres de vente. « J’intègre le réseau en 2002 en signant un contrat de revendeur. »

Trop à l’étroit, il ouvre une nouvelle boutique avenue du Général Leclerc, en plein centre-ville, pour toucher aussi bien un marché professionnel que grand public et reste toujours centre de services. Avant-gardiste, le magasin est labellisé Apple Premium Reseller (APR). « C’est un programme très important où les techniciens doivent être formés, le personnel doit passer des niveaux de compétences, le mobilier, lui, est normé et 100% dédié à la marque. » En contrepartie, Apple octroie des budgets marketing important, fait bénéficier de marges plus conséquentes et envoie de nombreux clients. « C’est une machine très très bien organisée. » Tellement bien organisée que la marque à la pomme pousse les bons gestionnaires à ouvrir plus de boutiques et à essaimer en région. Ce que fait Jérôme Gromont qui connaît une croissance à deux chiffres. 2011, transfert du magasin de Reims Centre à Thillois, sur la zone Ikea. « En 6 mois, on fait un million d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire. Grâce à la proximité avec d’autres boutiques, l’augmentation de la surface de vente et l’accès à un parking. » En 2013, il ouvre une troisième boutique (après Reims et Troyes) qui devient la plus grande de France APR, au centre commercial Roissy-Charles De Gaulle. « À ce moment-là, au niveau du groupe Inter-Actif, nous sommes 30 salariés. »

Puis Apple modifie ses contrats et si le groupe arrive à avoir six boutiques, les marges augmenteront encore, « ce qui devenait nécessaire car le seuil de rentabilité était assez faible », livre-t-il en « bon gestionnaire ». Deux autres boutiques entrent dans le giron d’Inter-Actif, à Versailles puis Thionville. Mais bien qu’hyper-actif, Jérôme Gromont s’épuise.

Multiplication des boutiques

Il parcourt 2 500 kilomètres par semaine, supervise l’ensemble de ses boutiques et passe ses soirées à calculer au plus près comment faire fonctionner tout cela. « Je ne vois plus ma femme ni grandir mes enfants », reconnait-il. Et si le groupe continue sa croissance, lui, est pris dans un tourbillon qu’il faut maitriser. C’est alors qu’il fait appel à un coach, un ami, qui lui demande de lui accorder 20% du temps... qu’il n’a pas. Après six mois de suivi, le constat est implacable : « Il me dit que ce n’est pas cinq boutiques qu’il faut que j’aie pour m’en sortir… mais dix ! » En réalité, ce que fait émerger le coach, c’est une nécessité de structuration du groupe, « où je dois apprendre à déléguer ». Et c’est ce à quoi il s’emploie durant cinq ans, en changeant complètement d’économie d’échelle. Il met des directeurs dans ses magasins, crée des services de développement informatique, ressources humaines, compatibilité, marketing…

2017 : 90 salariés, 10 boutiques Apple Premium Reseller et 10 Centres de Services. À ce moment-là, Inter-Actif est le plus grand groupe de distribution de produits Apple en France. « Cette structuration n’est pas un truc de mégalo pour en avoir toujours plus, comme certains pourraient le penser… Non, c’est une nécessité de survie, pour moi, mes équipes, ma famille. C’est un vrai refuge stratégique. On crée un siège à Champigny, avec des cadres dirigeants, des fonctions supports. » Fin de la structuration en 2021, après deux années covid, où, avec le télétravail, son commerce était considéré comme « essentiel ». Pas de gain, mais pas de perte non plus.

2022, la croissance repart, avec Jérôme Gromont « en chef d’orchestre, en animateur » mais avec toujours la même ambition, le même besoin de continuer à construire, à créer. Une véritable résilience à n’en pas douter. L’année dernière, il ouvre ainsi sa douzième boutique, la première Apple Premium Partener en France et la première en Europe, à Noyelles-Godault, dans le Nord, aux pieds des terrils… avec 3 500 personnes le premier jour de l’ouverture.

Mais alors, quelle est sa recette du succès ? Un état d’esprit tout d’abord. « Quatre valeurs que l’on encourage au quotidien : excellence, unité, honnêteté, engagement. Quand l’entreprise gagne de l’argent, le collaborateur gagne de l’argent. Et inversement. Cela doit être un cercle vertueux. » Avec un logiciel de gestion créé de toute pièce ensuite, ainsi qu’une application de vente sur ipad, 100% sur-mesure, où tout est accessible en temps réel. « Le logiciel a été créé pour être utilisé de manière ludique mais aussi pour challenger en permanence les équipes. » Dans la maîtrise des coûts et des flux, enfin. « Mon regard de gestionnaire ne me quitte jamais… » Un regard sur ses boutiques et ses équipes aussi, dont les caméras sont reliées à un écran géant qui trône devant son bureau, au coeur du tout nouveau siège du groupe, à Tinqueux. Un magnifique bâtiment d’acier et de bois sur une emprise de terrain de 7 000 m2. 800 sont consacrés aux bureaux quand 3 000 attendent une forêt avec des dizaines d’essences différentes prêtes à être livrées. Car ce fils de bucheron, s’il vit numérique et informatique n’en reste pas moins les pieds ancrés dans la terre. Ses journées commencent d’ailleurs toutes de la même manière, qu’il pleuve, vente ou neige : « 5 km de course à pied avec mes chiens dans la forêt. La verdure. Le silence. » Pour quelqu’un qui revendique parler « beaucoup et fort » et qui fait le show à chaque ouverture de boutique, cela en révèle aussi un peu sur qui il est, sans en dire trop…