Invités / Entretiens

Jean-Pierre Vézien

Le Grand Maître du champagne

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Photo de Marcel Vézien
Marcel Vézien réinvente le champagne en s’appuyant sur ses racines. (Crédits : PR)

« Moi, j’ai un rêve ! », déclare Jean-Pierre Vézien. Et quand il rêve, l’enfant de Celles-sur-Ource, né à Bar-sur-Seine, rêve champagne.

« J’étais le dernier président de la Maison de la Vigne à Essoyes, celui du déménagement quand elle s’est arrêtée en 2010. Je voulais faire un centre d’interprétation du champagne. »

Puis, avec la création de CAP’C, Jean-Pierre Vézien abandonne le projet. Enfin presque. Parce que ses yeux pétillent et il esquisse un sourire lorsqu’il en parle. « J’ai acheté une maison à Bar-sur-Seine, elle est là. Je rêve d’en faire un lieu qui transpire le champagne avec la Commanderie du Saulte Bouchon Champenois, des logements immersifs, un lieu événementiel avec un décor comme celui du bar des Folies Bergère ! Le champagne est partout. Je veux faire un lieu pour le champagne. Ça me tient. Je m’endors le soir avec ce rêve et me réveille le matin avec ce même rêve. »

Parce que dans ses veines, ce n’est pas du sang qui coule, mais bien des bulles du subtil breuvage de la Côte des Bar. À la fin du XIXe siècle, son arrière-grand-père plante des vignes. « Il travaillait à la vigne et pour les chemins de fer à Troyes. Après la guerre, la vigne n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. »

En 1956, son père, Marcel Vézien, électricien de métier, crée la Maison de Champagne qui gardera son nom. Après ses études viticoles et son service militaire, Jean-Pierre, 20 ans, rejoint l’entreprise familiale. « Papa était très occupé, il y avait l’exploitation et il était le maire de Celles-sur-Ource. »

À l’époque, le prix du kilo de raisin n’était pas celui d’aujourd’hui et tous les vignerons sont devenus récoltants-manipulants pour générer de la valeur. « Ils étaient tous individuels mais avaient l’esprit coopératif et collectif. Ils s’entraidaient, se prêtaient le matériel, les mises en bouteille, les gens venaient dégorger dans les maisons car elles n’avaient pas le matériel. À Celles-sur-Ource, nous comptons toujours 40 marques de champagne pour 500 habitants ! »

Cet esprit collectif perdurait avec la Saint-Vincent puis la confrérie des Vignerons. « J’ai d’ailleurs un peu plombé la fête à sa création en 1968 quand mon père a organisé la Saint-Vincent. Je rentrais de l’école et je me suis fait renverser par une voiture juste devant la maison ! », se souvient Jean-Pierre Vézien. Président de la Confrérie dans les années 2000, il organise des voyages pour les membres dans les vignobles des côtes du Rhône, des vins de Loire et même en Suisse. « J’ai été bercé par mon père qui était maire et toujours dans des associations. J’aime rassembler les gens sur des projets et partir à la découverte des vignobles qui nous entourent. »

Le saulte bouchon, ambassadeur du champagne

Et avec la Commanderie du Saulte Bouchon Champenois, il fédère du monde ! La Commanderie fête cette année ses 50 ans et il en est Grand-Maître depuis 1998 avec son humour et sa gouaille. L’Ordre vinique, fondé par Bernard Robert et Bernaud Beuzon, épaulés par la Ville de Troyes et le Département, ouvre un premier chapitre le 1er février 1975.

Quand ils répètent pour la cérémonie d’intronisation et déterminent les rôles de chacun, Marcel Vézien est choisi pour être le Grand Maître. « Il avait fait du théâtre et avait de la prestance. Je suis entré à la Commanderie dans les années 1990 comme bouchonnier. Au départ de mon père, le président Guy Morize m’a désigné pour lui succéder et j’y suis toujours… »

Depuis, il y a eu 164 chapitres et 1 600 personnes intronisées chargées de vanter « le vin des rois et le roi des vins », dont Pierre Perret, Serge Lama, le professeur Cabrol ou encore dernièrement Annie Genevard, ministre de l’Agriculture. « Nous avons également représenté le champagne et la Champagne-Ardenne à l’ambassade de France à Madrid, nous n’étions pas peu fiers ! »

« J’aime rassembler les gens sur des projets et partir à la découverte des vignobles qui nous entourent. »

Avec ses vingt hectares de vignes, Jean-Pierre Vézien poursuit dans les traces patrimoniales. Négociant-manipulant depuis les années 2000, « pour avoir un peu plus de bulles », Jean-Pierre Vézien développe ses gammes. « Avec l’an 2000, il y avait le côté euphorie et il fallait prévoir et nous avons augmenté le potentiel. Même si nous avons un apport de matière, cela reste dans notre entourage et est fait de la même façon que nous ». La Maison Marcel Vézien vend 200 000 bouteilles par an à un réseau de particuliers et de cavistes. « Nous sommes présents en Europe et l’arrivée de Noémie, notre fille, va nous permettre de développer un peu plus les marchés en Asie. Mais, il ne faudra pas que cela défavorise notre clientèle de particuliers. Je souhaite que cette clientèle qui nous a fait grandir ne soit pas oubliée. »

Le Champagne Vézien revisite ses cuvées et son lieu de dégustation avec un accueil plus contemporain. Toujours dans le respect de l’histoire, avec par exemple la cuvée Effervescence 56, en référence à la création de la Maison ou Souvenir d’Ancêtre en hommage à son grand-père. « Il faut rester humble et rendre hommage à toute cette génération. Ce n’est pas nous qui avons fait la Champagne. Nous essayons de la faire perdurer. Ce sont tous ces gens qui se sont battus contre le phylloxéra, contre les moments durs de l’histoire ».

Respectueux des ancêtres et ancré dans son époque, Jean-Pierre Vézien fait partie des rencontres emplies de sincérité et de simplicité. Il se projette et tient compte de la déconsommation de vin. « Nous avons la chance d’être sur la planète Champagne, mais les gens peuvent s’en détourner pour aller sur de l’effervescent ». Alors, il ne cesse de promouvoir le Champagne et met en place des activités d’oenotourisme avec « Devenez vigneron d’un jour », des ateliers qu’il organise dans les vignes ou dans ses caves qu’il théâtralise avec un Escape Game. « Ça va ! Tout le monde a réussi à en sortir », plaisante celui qui a des idées et des projets plein la tête. « La mort me fait peur, j’ai peur de ne pas avoir le temps de réaliser tous mes rêves. ».

Collectionneur de timbres et amateur de modélisme, le Grand Maître du Champagne a son jardin secret tout aussi festif que les bulles qui font son quotidien. « J’adore le cirque, j’adorerais qu’on m’embauche pendant un mois pour participer à la vie d’un cirque ! »