« Parce que la vie est à construire ». Le credo de Jean-Philippe Thomas figure en toutes lettres sur les murs de son agence rémoise. L’architecte rémois assume son approche de l’art de construire qu’il puise dans sa propre histoire de vie. Quand on lui demande comment est née sa vocation, il revendique tout de go son appartenance à un milieu modeste et ses racines : « Je sais d’où je viens. L’âge venant, j’ai pris conscience de beaucoup de choses, dont les racines, l’attachement à la terre, au sol, à la forêt. Aujourd’hui ça transpire dans ce que je fais », sourit-il. Concernant le bois, la prise de conscience a été bien plus précoce puisque dès ses premiers projets, dans les années 90, Jean-Philippe Thomas s’intéresse à cette matière noble et naturelle. Une originalité à l’époque.
Né à Charleville-Mézières, où il a grandi, il rejoint Reims - comme bon nombre d’Ardennais - pour y intégrer le lycée Arago. Il s’amuse d’ailleurs de ses racines, lui qui, petit, s’imaginait cuisinier, avant de suivre une autre voie. C’est donc en intégrant la toute nouvelle section de son lycée, intitulée « collaborateur d’architecte » que le jeune homme a un véritable « coup de foudre pour l’acte de construire ». « Petit j’avais déjà une appétence pour la construction de maquettes, ce qui m’a permis de découvrir la notion d’échelle ». Après son bac, le jeune homme intègre l’école d’architecture de Nancy où il obtient son DEA Architecture contemporaine européenne. Il participe même à cette époque à l’un des tout premiers programmes Erasmus, ce qui lui permet d’aller étudier à Newcastle, dans le nord de
l’Angleterre.
Offrir une qualité de vie et d’espace
Au sortir de ses études, il décide de rester à Nancy où, parallèlement à un début d’activité en libéral, il devient professeur assistant. Une expérience d’une dizaine d’années avant de revenir sur Reims par le biais d’une opportunité. « J’ai été sollicité par le directeur de l’usine Miko de Saint-Dizier pour réaliser un bâtiment de recherches pour fabriquer de nouveaux produits, plus particulièrement ce qui allait devenir les glaces Magnum », se souvient-il. Un projet qui lui met le pied à l’étrier et qui lui permet de mettre en pratique sa philosophie architecturale. « Un projet ça n’est pas qu’une forme. Mon approche est très pragmatique : il faut savoir pour qui on construit et pour quoi. Il s’agit avant tout d’offrir une qualité de vie et d’espace. Tout projet part d’un programme complet qui doit résumer cela ».
« Les choses évoluent. Aujourd’hui les architectes ont une vraie responsabilité financière et sociétale. »
Nature du terrain, utilisation finale, budget, environnement... L’architecte doit prendre en compte de nombreux paramètres dans la conception de son projet. « Plus il y a de contraintes, meilleur est le résultat », souligne Jean-Philippe Thomas, amateur de challenges. Après avoir identifié toutes les caractéristiques d’un programme, il s’agit alors de se pencher sur le lieu et l’environnement pour poser le plus justement l’ensemble, en définir toutes les contraintes et former un résultat unique. « Dans l’absolu, un programme est difficilement reproductible. Ce qui est difficile dans notre profession c’est que nous proposons un nouveau prototype à chaque nouveau projet ».
Retour à l’essentiel
Dès ses premières années d’activité, inspiré par les cultures scandinave et japonaise, Jean-Philippe Thomas s’est dirigé vers des réalisations fortement marquées par l’utilisation du bois. « La majorité de mes projets sont réalisés à partir de bois mais le plus important c’est d’utiliser le bon matériau, au bon endroit et pour le meilleur usage. Je prône une architecture engagée, responsable et joyeuse, où l’utilisateur reste au cœur de nos préoccupations. La situation environnementale que nous vivons est dramatique. Mais elle peut aussi être une chance car elle va nous obliger à vivre autrement et à prendre des décisions différentes au sujet de l’acte de construire pour aller toujours vers cette notion d’essentiel ».
Travaillant aussi bien sur des projets publics que privés, l’architecte rémois a réalisé des projets aussi divers que des groupes scolaires, des bâtiments universitaires, des maisons de quartier, des restaurants ou des salles de spectacles. S’il se refuse à désigner ses réalisations les plus marquantes, on pourra néanmoins citer ses projets pour l’ESI Reims ou l’UFR Staps, la grande cité scolaire de Joinville (Haute-Marne), la salle de concerts de Bar-le-Duc (Meuse), des projets privés pour les Maisons de Champagne Roederer et La Closerie, ou les restaurants Le Grand Cerf et Racine, entre autres…
Pragmatisme
Après avoir été associé un temps avec un confrère marnais, Jean-Philippe Thomas crée son agence éponyme en 2000 à Reims. Inspiré par les architectes internationaux Alvar Alto (Finlande), Peter Zumthor (Suisse) ou Louis Kahn (Etats-Unis), il n’hésite d’ailleurs pas à voyager loin pour aller découvrir de nouvelles perspectives et manières de construire. Une habitude qu’il a prise très jeune. « Dès la fin de mes études, j’ai fait une sorte de compagnonnage dans tout le nord de l’Europe. Passionné de culture scandinave, j’ai beaucoup voyagé dans les pays nordiques et cela a nourri mon architecture. J’ai également visité de nombreux sites et architectes en Allemagne, en Suisse et en Autriche ». Un attrait vers les cultures architecturales de tous horizons qui l’ont également conduit, lorsqu’il était membre de l’Ordre des architectes régional, à organiser des voyages architecturaux pour ses confrères dans de nombreux pays.
Impliqué dans la vie de sa profession, il a été membre de l’Ordre pendant une douzaine d’années, dans une logique « de passation, de transmission, de création de lien et d’ouverture aux autres dans un objectif commun de mieux construire ». C’est aussi dans cette optique qu’il a pris, en 2022, la présidence de l’Office Général du Bâtiment et des Travaux Publics de la Marne, un organisme réunissant architectes et constructeurs autour de rencontres et d’échanges. « La finalité de l’OGBTP est d’identifier toutes les problématiques de la construction et de leur apporter des solutions concrètes grâce à nos réflexions ».
Un métier qui évolue
Pour Jean-Philippe Thomas, l’architecte doit être conscient de sa responsabilité. Celle-ci est financière, pour respecter l’enveloppe fixée par le client, mais pas uniquement. Elle est aussi sociétale, et de plusieurs ordres : outre le respect d’un budget, le respect des délais et l’apport de la meilleure qualité d’espace et d’usage possible. « C’est très vrai dans le domaine scolaire par exemple, où l’architecte peut immédiatement contribuer à l’épanouissement des enfants ». Un raisonnement qui brise les idées reçues que peut avoir le grand public sur le métier d’architecte, qui serait un soliste uniquement concentré sur son projet.
« On a toujours une vision de l’architecte artiste. Les choses évoluent. Aujourd’hui les architectes ont une vraie responsabilité financière et sociétale. Il y a de vrais arbitrages à réaliser, cela peut être parfois compliqué mais les solutions existent. J’ai une sensibilité artistique mais je suis très pragmatique. Je l’ai toujours été. Chaque trait a un coût. Or, si chaque trait est pertinent, on obtient le juste coût. Un projet demande toujours un très gros travail en amont qui oblige l’architecte et le client à se poser des questions très justes et précises au sujet du rapport au paysage, des matériaux utilisés et de la qualité de la construction, pour apporter au client un compromis de tout ce qu’il peut espérer... en y ajoutant un supplément d’âme ».