La légende familiale prétend qu’à l’âge de quatre ou cinq ans, en passant devant le siège du CIVC, 5 rue Henri-Martin à Epernay, Jean-Luc Barbier affirmait à sa maman qu’un jour il travaillerait ici. S’il ne s’en souvient pas, une chose est certaine : il a bel et bien travaillé au Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne où il a gravi les échelons depuis son entrée en 1977 jusqu’à sa retraite en 2014. Mieux encore, il a véritablement marqué de son empreinte l’interprofession champenoise. Sparnacien de naissance, Jean-Luc Barbier n’a quitté la Capitale du Champagne qu’après y avoir obtenu son bac, pour poursuivre ses études à l’Institut d’études politiques de Strasbourg et à la faculté de Droit de Reims. Et c’est ensuite de nouveau à Epernay que se traceront les grandes lignes de la carrière de ce bourreau de travail, dont les nombreux voyages auront des objectifs essentiellement professionnels pour défendre et valoriser l’appellation Champagne à travers le monde.
S’il a quitté le CIVC en 2014, Jean-Luc Barbier n’en reste pas moins très actif au niveau champenois. Il est d’ailleurs le président du Conseil scientifique de la Mission Coteaux, Maisons et Caves de Champagne de l’Unesco, il œuvre sans relâche à la protection de la « valeur universelle » de la Champagne. « Quand j’ai quitté le CIVC j’ai souhaité apporter ma contribution bénévole à la Champagne, que ce soit avec l’Unesco ou avec la Corporation des Vignerons de Champagne par exemple ». Il a aussi et surtout repris le fil de sa première vocation, l’enseignement, auquel il se prédestinait lorsqu’il s’est lancé dans ses études de Droit. « Depuis dix ans, j’enseigne aux étudiants du Master en Droit des Vins et des Spiritueux à l’Université de Reims, qui forme les juristes spécialisés dans le monde du vin », souligne-t-il.
Porteur d’une mémoire vivante de près de quarante années d’engagement interprofessionnel, il vient de signer un ouvrage original intitulé « En Champagne et ailleurs - Interprofession et appellation, récit d’une épopée mémorable » dans lequel il retrace la saga de la défense de l’appellation, dont il a été un des acteurs marquants à une époque-charnière où les tentatives de se l’approprier un peu partout dans le monde étaient nombreuses. « À l’occasion du 80e anniversaire du CIVC, j’ai enregistré une vidéo pour retracer ce que j’avais vécu. Ce qui ne devait durer qu’une heure en a pris 8 ou 9 ! », sourit-il. Alors, en 2021, il commence à écrire, non pas ses mémoires mais il retrace - par le prisme de sa propre histoire et de ce qu’il a vécu en 37 années de CIVC - les grandes heures de l’interprofession et les étapes importantes qui ont permis de lui donner les lettres de noblesse dont elle dispose aujourd’hui.
Faire passer des messages
Fils d’un imprimeur devenu dirigeant d’entreprise, Jean-Luc Barbier se destine à une carrière d’enseignant en Droit quand son destin sparnacien le rattrape, en 1973. « Je terminais mes études de Droit quand Bernard Stasi, qui venait d’être élu député-maire d’Epernay m’a appelé pour me proposer d’être son directeur de cabinet. Après avoir refusé deux fois j’ai fini par accepter à condition de pouvoir finir mes études en parallèles et de soutenir ma thèse dans l’objectif de devenir enseignant », se souvient-il. Il travaillera finalement pendant près de cinq ans aux côtés de l’élu sparnacien. En 1977, se dirigeant vers un autre horizon professionnel, le juriste intègre alors le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne. Attaché de direction, chargé de la documentation et des études, secrétaire général adjoint… il fait ses classes puis gravit les échelons. Dix ans après son arrivée, il termine enfin sa thèse, dont le sujet a bien évidemment été adapté à son nouveau parcours : « Les relations entre les professions et l’Etat, l’exemple du CIVC ».
« L’interprofession champenoise est le fruit d’une forme d’intelligence collective, une synthèse entre le « je » et le « nous », où les intérêts légitimes de chacun s’intègrent dans l’intérêt général. »
Peu à peu, Jean-Luc Barbier tisse sa toile au sein des réseaux qui comptent, à Paris, puis à Bruxelles et ailleurs, pour y porter la voix du champagne et de la Champagne. « À mon arrivée au CIVC, mon directeur avait compris que beaucoup de choses se décidaient déjà du côté de la Commission Européenne. Alors il m’a envoyé voir ce qu’il se passait à Bruxelles », sourit Jean-Luc Barbier qui se souvient des nombreux trajets en Renault 9, carte Michelin sur les genoux pour rallier la capitale belge. « J’y allais très régulièrement pour discuter, présenter la Champagne et ses enjeux, rencontrer des interlocuteurs de haut niveau ». Un travail de fond qui portera ses fruits, des années plus tard avec le pouvoir grandissant de la Commission Européenne. « Dans les années 90, de plus en plus de réglementations européennes ont concerné le secteur viticole, il a fallu passer des messages ». Un travail de lobbying en douceur et en toute discrétion pour ne froisser ni les administrations hexagonales, ni les autorités européennes. « Nous avons aussi réalisé un important travail au niveau du Parlement européen pour la reconnaissance des appellations ».
Défense et protection de l’appellation
Des épisodes qu’il retrace dans un livre de 320 pages qu’il a choisi de construire en deux parties. « La première partie revient sur l’organisation de l’interprofession champenoise et ses origines, dont la Loi de 1941, qui est surtout un aboutissement des expériences relationnelles entre les négociants et les vignerons qui ont commencé dès la fin du XIXe siècle ».
Ordonnances de 1944, Loi de 1975… à chaque nouvelle étape réglementaire, les Champenois ont bataillé pour préserver leur modèle et leur spécificité qui rendent leur interprofession si unique et protectrice. « Nous avons mis plus de 10 ans à toiletter la Loi de 1941 pour l’adapter à son environnement juridique et économique. Cela a abouti, en 2005 et 2006 à de grandes lois cadres agricoles », rappelle-t-il. Des batailles menées pied à pied au niveau national puis européen pour faire perdurer 100 ans d’expérience champenoise, d’efforts communs, de solidarité de destin et de volonté de vivre et travailler ensemble. « C’est le fruit d’une forme d’intelligence collective, une synthèse entre le « je » et le « nous », où les intérêts légitimes de chacun s’intègrent dans l’intérêt général », rappelle-t-il.
Dans la deuxième partie du livre, Jean-Luc Barbier revient cette fois sur une de ses réussites majeures à la tête du Comité : la protection de l’appellation. Le combat d’une vie, mené aux quatre coins du globe mais aussi sur le sol français. On se souvient des victoires remportées face à la puissante Seita qui avait baptisé une cigarette Champagne ou au parfum d’Yves Saint-Laurent qui lui aussi avait jeté son dévolu sur ce nom prestigieux. à l’étranger, il aura fallu convaincre une trentaine de pays, dont l’Inde, la Chine ou le Brésil, de ne plus utiliser l’appellation Champagne pour des vins locaux. Un combat champenois qui date du XIXe siècle « J’ai retrouvé la première jurisprudence du tribunal correctionnel de Tours, datant de 1843 dans une affaire opposant un groupe de négociants champenois à un producteur de vin de Vouvray pour contrefaçon. »
Au début des années 2000, le CIVC a mis un coup d’accélérateur à la protection hors de nos frontières en se basant sur différents supports : « Nous avons demandé à l’Union européenne d’inclure des dispositions de protection dans les accords qu’elle souscrivait avec ces pays tiers. Et nous avons obtenu des enregistrements dans les pays qui mettaient en place des systèmes d’indication géographique, comme l’Inde ou la Chine par exemple ». Dans son livre, Jean-Luc Barbier propose donc un voyage dans le temps et dans l’espace à la découverte des batailles menées par l’interprofession. Un ouvrage truffé d’anecdotes et de rencontres avec les plus grands dirigeants du monde entier aux cours des dernières. Un livre ouvert à la souscription, jusqu’au 31 juillet auprès de l’éditeur Méroé et dont la parution est prévue en septembre 2024.