À 57 ans, Jean-Dominique Regazzoni est d’abord un industriel. Il gère 15 salariés à la Sotratex, entreprise de teinture et d’ennoblissement du textile et 75 chez EMO, usine de bonneterie familiale où il travaille en cotraitance pour des jeunes marques ou des marques très haut de gamme. « Tout le monde ne peut pas faire du produit de luxe, il faut faire parfaitement tous les jours, il n’y a pas d’alternative. Le geste doit être précis et constant ». Alors, quand il défend les dossiers de la CPME, Confédération des petites et moyennes entreprises, dont il est le président aubois, il sait de quoi il parle. « Lorsque j’étais étudiant, j’étais délégué de classe. Je faisais partie des conseils d’administration des écoles dans lesquelles j’étais. Dans la famille, on a toujours été dans des branches professionnelles pour défendre le collectif, c’est dans notre ADN. J’ai été adhérent puis président de l’UNIT, syndicat du textile, j’ai rejoint le Medef que j’ai quitté ensuite pour la CPME ».
Quand l’ancien président départemental Marcel Fourquet se retire, il souhaite un homme de terrain, avec une entreprise et des salariés pour prendre la relève. Un chef d’entreprise au quotidien. « J’ai donc repris la présidence. J’ai toujours aimé l’engagement patronal, défendre mes confrères, représenter mes pairs. Ça permet aussi de se sortir du quotidien de l’entreprise ».
Avec un côté pince-sans-rire et un calme olympien, le président de la CPME de l’Aube dit les choses, sceptique pour l’avenir de l’industrie textile française et pour la réindustrialisation en général. « Les coûts salariaux du Made in France posent problème. Nous avons des gens très qualifiés, qui en plus ne sont sans doute pas payés à leur juste valeur et pourtant, quand nous vendons les produits, nous sommes toujours trop chers. Aujourd’hui toutes les charges vont sur le salaire. Moi je suis un fervent défenseur de la TVA sociale pour que les charges qui pèsent sur le salaire ne pèsent que sur la consommation. Comme cela, le produit, quel que soit le lieu de fabrication, serait taxé pareil. »
Au fur et à mesure des baisses de volumes, le savoir-faire disparaît. Elle semble loin l’époque où les bonnetiers travaillaient à domicile, où il y avait un atelier dans chaque village et des cours de couture à l’école ménagère. « Dans l’Aube, nous avons encore un savoir-faire mais il se concentre dangereusement. Il n’y a pas le marché en face, les gens sont habitués à acheter les vêtements à bas prix. Un teeshirt à 40 euros ça ne passe pas et c’est pourtant sa valeur. En teinture, nous sommes une entreprise hyper capitalistique avec des machines très coûteuses qui ne peuvent s’amortir que s’il y a du volume ».
Test entreprise : la loi sur le terrain
Énergie, emplois et réformes Macron avec les CSE, partage de la valeur... la CPME défend les entreprises dans les instances publiques où il y a du paritarisme et est consultée au niveau national. « Ils prennent souvent l’avis de la base. J’y suis allé pour parler de l’énergie, j’étais un bon client ! Nous défendons les entreprises et leurs salariés. Nous sommes du côté de l’entreprise qui crée des richesses et qui crée des emplois. Nous avons été un des seuls syndicats à parler du sujet des congés payés pendant les arrêts maladie ou du compte épargne temps universel (Cetu). Nous ne sommes pas contre le Cetu, mais cela veut dire qu’un salarié qu’on vient d’embaucher peut arriver dans l’entreprise et dire qu’il a trois semaines de compte épargne temps, qu’il va les prendre la semaine suivante et que l’employeur ne peut pas lui refuser… »
« Je suis un fervent défenseur de la TVA sociale. »
Parmi les propositions, le syndicat souhaite aussi mettre en place le « test PME » au niveau européen. Il s’agirait, avant de valider un texte de loi qui impacte l’entreprise, de le tester et d’analyser ses conséquences en grandeur réelle dans quelques entreprises pour en mesurer l’impact. « On n’imagine pas l’effet que cela peut avoir dans les structures qui parfois ne sont pas forcément organisées pour les mettre en place, parce qu’elles n’ont ni les services administratifs ni les compétences pour les appliquer ».
« J’espère un retournement de situation ! »
Aujourd’hui, la branche auboise compte 100 adhérents et Jean-Dominique Regazzoni entend bien fédérer les entreprises pour en avoir plus. « Pour que ce ne soit pas seulement un syndicat patronal mais un endroit où les gens aiment venir », un lieu de rencontre et d’échange pour défendre les entreprises et les salariés dans un bon esprit mais sérieux. Premier syndicat en nombre d’entreprises avec 243 000 entreprises, la CPME va prochainement réélire son nouveau président national pour succéder à François Asselin après 10 ans de mandat. « Je n’ai pas d’ambition nationale, c’est un métier à plein temps ! »
Et s’il aspire à des jours heureux après avoir connu des moments difficiles et un plan social qui l’a fortement marqué, Jean-Dominique Regazzoni souhaite que l’industrie reprenne du poids dans le PIB national pour créer de la valeur dans le pays. Il n’oublie pas ses racines, la création de l’entreprise EMO après la liquidation de l’usine Mauchauffée qui a vu le jour grâce aux 120 salariés. « Tous ces actionnaires qui ont mis une partie de leur prime de licenciement pour remonter la société. Je veux préserver ce que nos « nos anciens » ont fait. Ils se sont quand même battus pour arriver là. Ce serait dommage que la belle histoire s’arrête. Voilà, c’est cela qui m’anime ».
Éduqué avec des valeurs fortes autour du travail et père de deux enfants qui ont choisi d’autres voies que le textile, il ne cache pas son inquiétude face aux nouvelles générations marquées par la crise sanitaire. « En France aujourd’hui, la valeur travail a beaucoup moins d’importance. Je ne suis pas sûr que ce soit pareil dans d’autres pays. J’espère un retournement de situation mais depuis la Covid, les jeunes s’aperçoivent que finalement, le travail c’est bien, mais vivre c’est quand même pas mal. Et la vie n’est pas que le travail… ».