Prélude : « Petit, je voulais devenir pilote de Formule 1. J’ai certainement hérité de ma mère, qui était une fonceuse, le goût de la vitesse, de la compétition, de la performance. Je dois ma passion pour l’automobile à mon père, qui était ingénieur en mécanique. Dans les années 70, j’écoutais à la radio la retransmission des 24 heures du Mans… » Disons-le tout de suite, Gonzague Peugnet ne deviendra pas pilote de Formule 1. Mais dans la conduite de sa vie, le Nordiste d’origine estime que « ma plus grande richesse, c’est l’éducation que j’ai reçue. » Une éducation traditionnelle, auprès de parents engagés dans le secteur associatif et tournés vers les autres.
Il reconnaît également avoir été très marqué par un projet humanitaire, ‘‘L’Association Étoile’’, mené au Burkina Faso avec d’autres étudiants du Nord. « Quand nous arrivions dans un village, la première chose à faire était d’aller saluer les anciens. D’autre part, les familles qui nous accueillaient nous offraient à manger ce qui était à la fois leur nécessaire et leur luxe, dont nous n’avions pas besoin et dont elles se privaient, mais que nous ne pouvions pas refuser. Cela forme un homme et une éthique. » Au sortir de ses études et diplôme en poche, Gonzague Peugnet se porte Volontaire au Service National Entreprise à l’étranger, et intègre le Crédit du Nord, à Londres. « Je préparais les dossiers de financement des Britanniques souhaitant acquérir un bien immobilier en France. Dans les années 80/90, ils étaient très friands de maisons en Normandie ou dans le Périgord… J’ai découvert le monde anglo-saxon. J’y suis devenu un spécialiste des pubs, tant à la City qu’à la campagne, par où transite la culture anglaise ! »
Acte I : Renault – Ne souhaitant pas poursuivre dans le milieu bancaire, Gonzague cherche à concilier vie professionnelle et passion automobile. Il intègre Renault en qualité de cadre marketing/produit/prix/prévision des ventes. « J’ai débuté à l’usine - ça ne s’oublie pas…– à Flins, dans le cadre du parcours d’intégration jeunes cadres. Puis j’ai rejoint des directions commerciales en province, notamment à Lyon où j’ai rencontré mon épouse. À Boulogne-Billancourt j’ai travaillé sur le prix de l’Espace 4, puis de la gamme Dacia, avec le Duster qui a fait un carton ! Un passage chez Nissan Europe, à Trappes - j’avais en charge la politique de prix des pièces de rechange pour l’Europe - m’a permis de côtoyer la culture japonaise, où l’on dit toujours ‘‘oui’’, même quand c’est ‘‘non’’… » Néanmoins, désireux d’occuper des fonctions plus généralistes, répondant à des valeurs personnelles davantage tournées vers la personne humaine, Gonzague Peugnet quitte Renault à l’occasion d’un plan de départ volontaire.
Acte II : Le secteur médico-social - « Dans une vie professionnelle, il faut oser faire des choix pour être heureux. Il y a également des moments où les pièces du puzzle, sur la table, s’assemblent naturellement. Cela procède, bien sûr d’une profonde réflexion. Je dois ajouter que j’ai toujours eu le soutien de mon épouse sans laquelle rien n’eut été possible - à plus forte raison quand la rémunération diminue. »
« Dans une vie professionnelle, il faut oser faire des choix pour être heureux. »
Un Master de direction d’établissement médico-social permet à Gonzague Peugnet de devenir directeur d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), « avec l’ambition de valoriser ces personnes âgées, grâce auxquelles… nous sommes là ! ». Il exerce alors dans l’Aisne, l’Oise, la Marne.
« J’ai adoré ! Mais j’ai finalement arrêté au bout de 7 ans car la manière dont j’exerçais cette fonction était assez usante. Je prenais sans doute les choses trop à cœur, je m’impliquais trop. »
Acte III : L’ExtrA – La suite relève à l’évidence de ces pièces de puzzle qui, à un moment donné, s’assemblent naturellement. « À Paris, j’ai déjeuné dans un restaurant où le service était assuré par des personnes en situation de handicap. J’en suis ressorti plus riche que je n’y étais entré, et j’ai pensé qu’il y avait certainement quelque chose à faire à Reims dans ce domaine. Peu de temps après, j’ai croisé la route de Matthieu Saint-Guilhem. »
De l’idée... à la réalisation
Directeur de la Maison diocésaine Saint-Sixte, à Reims, Matthieu Saint-Guilhem souhaitait développer dans le réfectoire de l’établissement un restaurant inclusif et éco-responsable. « Nous avons commencé à travailler ensemble sur le projet RB 22 – comme 22, rue du Barbâtre, adresse par laquelle il était possible d’accéder au réfectoire de Saint-Sixte, et parce que dans l’industrie automobile les projets ont toujours un nom de code ! »
L’installation de l’Institut Catholique de Paris dans les locaux de Saint-Sixte oblige Gonzague Peugnet et Matthieu Saint-Guilhem à revoir leur copie – « mais la valeur du projet n’était pas attachée au lieu ». Ils fondent alors une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), qui acquiert un fonds de commerce rue du Temple, « avec l’idée d’en faire quelque chose de chic et sobre, ce qu’a parfaitement compris et réalisé le cabinet Lingat Architectes. »
Dans le même temps, il a fallu constituer et former l’équipe de salariés, personnes en situation de handicap, recruter un chef cuisinier, professionnel confirmé, doté d’un savoir-être lui permettant de s’adapter à l’équipe (en l’occurrence Philippe Joly, ex-second du Foch, qui, pour la circonstance, a également fait un choix de vie). « Notre projet, qui a évolué au fil du temps, est devenu celui d’un restaurant gastronomique, avec du beau, du bon, du visible, c’est-à-dire tout l’inverse de la représentation intellectuelle que l’on a du handicap. » Dans la construction de leur projet, des hauts et des bas qui en ont scandé la réalisation, Gonzague Peugnet et Matthieu Saint-Guilhem savent ce qu’ils doivent aux centaines de donateurs particuliers et à la cinquantaine de mécènes (fondations, entreprises…) qui les ont soutenus et accompagnés – sans oublier le parrain du restaurant, Arnaud Lallement, 3 étoiles au Michelin. « Nous sommes au cœur du milieu économique et de la vie de la cité. Nous avons voulu impliquer les acteurs économiques du territoire dans le financement du projet. »
Ouvert voici un peu plus d’un an, L’ExtrA a cependant vite trouvé sa voie, en étant primé au concours Reims à Table, en faisant son entrée au Guide Michelin (« une première en France ! »), en séduisant surtout sa clientèle, ce dont témoigne le bouche à oreille dans Reims. « L’ExtrA emploie 19 salariés, dont 15 en situation de handicap, assure quelque 900 couverts par mois. Les résultats de la première année d’exercice laissent envisager une rentabilité au bout de la troisième année. La préoccupation permanente étant d’assurer la pérennité de l’entreprise. Nous sommes bien conscients de la difficulté de notre tâche et, chaque jour, nous remettons… le couvert. » Directeur de L’ExtrA, Gonzague Peugnet – qui tient à remercier vivement Matthieu Saint-Guilhem sans lequel ce restaurant inclusif n’aurait pas vu le jour – avoue y trouver une synthèse des diverses étapes de sa vie professionnelle. « Je m’épanouis ! J’y vois surtout un accomplissement collectif dans lequel nous entraînons beaucoup de monde. C’est une magnifique aventure. »