Françoise Horiot
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Françoise Horiot

50 ans d’envol

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Photo de Françoise Horiot
Françoise Horiot (Crédits : MBP)

« Toute ma vie, je me suis battue pour l’aviation ». Quand elle arrive à Troyes Aviation à l’aéroport de Barberey, Françoise Horiot serre la main de tous ses collaborateurs. La société est créée par cette passionnée d’avion en 1973 sous l’égide de la Chambre de commerce qui mise alors sur l’essor de l’aviation dans la région. L’entreprise assure la maintenance et l’entretien de l’aviation générale sur l’aéroport de Barberey-Saint-Sulpice. « En 1985, je rachète à la CCI ce que j’ai créé ! Je ne voulais pas être bridée dans mes développements, je voulais voler de mes propres ailes ! » Elle consacre alors sa vie à l’aéronautique qui le lui rend bien. Elle reçoit le titre de chevalier de la Légion d’honneur, la médaille de l’aéronautique et récemment les insignes d’officier de la Légion d’honneur par le ministère de l’Aménagement du Territoire et de la Décentralisation. L’ultime reconnaissance d’une vie passée à défendre le secteur de l’aviation générale.

Pourtant, ses études à la Sorbonne avec une licence d’anglais puis au Celsa la prédestinaient plutôt à la filière textile. Elle rédigera un mémoire de fin d’études sur la vente du textile en libre-service à une époque où cela n’existait pas encore. Mais, l’amour tracera un plan de vol différent. « J’ai eu la chance de rencontrer celui qui est devenu mon mari. Il était passionné d’aviation. Dès que j’ai eu mon bac, j’étais tout le temps avec lui sur les aérodromes ». Son conjoint voulait être pilote de l’armée de l’air, mais un léger problème de vue l’aurait cloué dans des fonctions au sol. Lui voulait voler, alors il change d’itinéraire pour suivre les traces de son père et de ses frères aînés et devient médecin. Des études qu’il commence à Paris et poursuit à Dijon. « Nous sommes mariés en 1969 et nous sommes installés à Dijon. Moi, j’ai cherché un job. C’était une époque extraordinaire où on avait le choix ! »

Elle passe alors un entretien d’embauche le mercredi chez un constructeur d’avion dijonnais, Pierre Robin, et commence à travailler le lundi suivant. « De janvier 1970 à 1973, j’y étais responsable de la promotion des ventes. Je parlais anglais et étais le bras droit du dirigeant. Je lui servais d’interprète dans toutes ses transactions avec les fournisseurs américains. J’y ai tout appris du point de vue professionnel, le côté technique et réglementaire, j’avais des relations avec le CEV, centre d’essais en vol. Quand mon mari est revenu s’installer à Troyes pour exercer, M. Robin voulait me mettre un avion à disposition pour que je continue à travailler chez lui ! » Françoise Horiot renvoie alors des CV sur Troyes et elle retient l’attention de la Chambre de commerce et d’industrie pour créer l’atelier de maintenance pour de l’aéroport de Barberey. « J’ai écrit la bible des ateliers, c’est un guide pour l’entretien des avions et en ai embauché des mécaniciens. J’étais la première femme en France et sans doute au monde à diriger un atelier de maintenance d’avions ».

Quand elle rachète la société à la CCI, Françoise Horiot récupère la distribution de pièces détachées de la SOCATA pour les avions construits à Tarbes et commence à faire de l’import-export avec un confrère américain. « On avait le même enthousiasme ! Il arrivait en France, il me disait : Françoise, je vais aller faire mon marché ! Il avait repéré des avions, on partait à 6 h du matin, on s’arrêtait dans les Vosges, on passait en Suisse, on allait en Allemagne, en Autriche ! J’ai fait beaucoup d’affaires avec lui. Pour moi, l’aviation, c’est sérieux, on ne bricole pas. Je me suis vue en bleu de travail, sous un avion, pour expliquer aux mécaniciens les réglages des avions qui venaient des États-Unis parce qu’il fallait traduire les guides ».

D’ailleurs, Françoise Horiot remercie son père qui, dès l’école primaire, l’envoyait à l’étranger pour apprendre l’anglais. « Cela m’a beaucoup servi. C’est une part de ma réussite ».

Être à la hauteur

Évoluant dans un univers masculin, Françoise Horiot s’impose. « Il a fallu que je prouve que j’étais à la hauteur et au même niveau qu’eux et qu’il ne fallait pas qu’ils me roulent. Ce n’est pas la féminité qui joue dans le milieu professionnel, ce sont les cerveaux ». Face au développement des avions importés qui restaient en France avec une immatriculation américaine pour pouvoir voler en IFR (par mauvais temps), Françoise Horiot y voit une opportunité et obtient la licence d’atelier FAA. Troyes Aviation est l’un des seuls ateliers français à être habilité à entretenir les avions américains pour l’aviation générale. Elle entretient également les avions de l’armée, les avions TBM de Daher-Socata, et travaille avec Air Entreprise pour l’entretien des avions de transport public. « J’ai toujours eu cette optique d’avoir le mieux qui se fasse au niveau entretien. C’est un peu lourd, mais c’est normal. La vie n’a pas de prix ». Aujourd’hui, les privés constituent l’essentiel de la clientèle de Troyes Aviation avec l’armée, et le travail aérien pour la surveillance de ligne pour EDF, pour la photo à haute altitude…

« J’étais la première femme en France et sans doute au monde à diriger un atelier de maintenance d’avions. »

« J’ai pris ma retraite mais je continue de travailler avec un autre contrat ! » À bientôt 78 ans, elle vient juste de passer la main à un investisseur privé belge, JGH qui détient la société JGA à Gray, une entreprise complémentaire de Troyes Aviation. « Il y a une synergie, avec ces deux sociétés, nous couvrons tout le marché des avions à turbine. J’ai vendu en 2023 et je continue de les accompagner depuis. Je suis leur CEO Advisor de JGA et de Troyes Aviation, ça me plaît, je suis la plus heureuse des femmes ».

En parallèle, depuis 1975, Françoise Horiot s’investit au Syndicat national des industriels et professionnels de l’aviation générale (SNIPAG) dont elle devient présidente de la section maintenance du SNIPAG qu’elle transformera plus tard en GIPAG. « Groupement, c’est mieux que syndicat ! » Elle restera présidente de 2007 à 2022 et passe la main en 2022 à Thomas Grandclaude, le CEO de JGA. « Je continue de l’aider et lui donne mon carnet d’adresse ».

Direction générale de l’aviation civile, fédération nationale de l’aviation et de ses métiers où elle est élue présidente de la commission aviation générale. Elle intègre ECOGAS, le groupement européen des ateliers de maintenance et y aborde les sujets concernant l’évolution de l’aviation générale en Europe. « Il faut que les neurones marchent ! La sécurité à tous les niveaux sont des sujets aujourd’hui avec la cybersécurité, les facteurs humains, la mécanique ».

Évoquant la décarbonation, Françoise Horiot décrit un secteur en avance, avec des moteurs électriques, du carburant sans plomb, des moteurs à hydrogène. « Nous sommes à la pointe du progrès. L’aviation générale est le pilier de l’aérien. C’est grâce à nous que des Airbus volent et qu’il y a des ingénieurs, nous devons défendre notre secteur. Les formations de base sont faites dans les aéroclubs ». Pourtant, il y a une tension sur les mécaniciens qui l’inquiète. « Dans les années qui viennent, nous allons perdre 25 à 30 % des mécaniciens avec la pyramide des âges ».

Après cinq ans d’étude, le mécanicien doit avoir deux ans d’expérience avant de pouvoir signer les entretiens. « Il faut attirer les vrais talents, comme pour les compagnons. Il faut vendre l’excellence à nos jeunes ». Françoise Horiot n’atterrit jamais. À bientôt 78 ans, après avoir cédé Troyes Aviation, elle met l’accent sur Horiot Aircraft Sales, sa société d’achat-vente d’avions et de conseil. « Si je vends 3 ou 4 avions par an, ce sera très bien. J’adore… »