Sélectionné avec trente autres candidats aux Trophées de l’innovation rurale européenne, le Pôle européen du chanvre a fait parler de lui à Barcelone début mai. Estelle Delangle, sa directrice, a assuré les deux journées de salon et de conférences. Pas de prix cette fois, mais l’occasion de présenter l’innovation organisationnelle du Pôle à 300 participants venus du monde entier. Aujourd’hui, elle prend le pari de « faire de Troyes la capitale mondiale du chanvre. Un challenge qui porte sur un ancrage territorial et répond à des enjeux mondiaux ». Le Pôle européen du chanvre vise à structurer tout un écosystème autour de la plante et de ses valorisations, de l’amont à l’aval en incluant tous les métiers qui peuvent être impactés d’une manière ou d’une autre.
Arrivée dans l’Aube en 2020, Estelle Delangle, 43 ans, gère depuis le projet mené par le Collectif construction chanvre financé par le Feader dans le cadre d’un GO.PEI (groupe opérationnel du partenariat européen pour l’innovation). Trois ans après un démarrage en même temps que la crise Covid, le projet a aujourd’hui pris la forme d’une société d’intérêt coopératif (SIC). « L’objectif, au-delà du développement du chanvre, consiste à faire de cette plante un outil de transition territoriale. Avec des enjeux de réindustrialisation, de santé publique, de transition énergétique ou écologique ».
La SIC, compte trois salariés et se compose de 35 sociétaires avec pour ambition d’en atteindre une centaine. La structure s’appuie sur un mode organisationnel qui laisse la possibilité à chaque acteur de s’exprimer. Elle met en mouvement des associés, à la fois sachants et apprenants, répartis en six collèges. Elle rassemble particuliers, agriculteurs, acteurs économiques, réseaux d’experts, chambres consulaires, syndicats professionnels de l’Aube et du Grand Est et un quart des acteurs viennent du reste de la France et de l’étranger.
De l’administratif au champ
Originaire de Vaulx-en-Velin, Estelle Delangle intègre l’Institut d’études politiques de Lyon puis s’oriente en cycle international. « Je voulais voir ce qui se passait dans le monde. Mon centre d’intérêt portait sur les questions régionales nationalistes dans les pays européens, Pays Basque, Irlande du Nord... J’ai suivi ma quatrième année d’études à Belfast. Mon mémoire avait pour thème « Comment la politique régionale a pu aider à la résolution du conflit d’Irlande du Nord ». Je me suis de plus en plus intéressée aux arcanes de l’Union européenne. Comment ça marche, à quoi sert tout cet argent de l’Union européenne ? Comment il est redistribué et est-ce que cela fait une différence sur le terrain ? »
Après un master en relations européennes, Estelle Delangle entre en stage à l’Assemblée des Régions d’Europe à Strasbourg et y reste douze ans. « C’était très macro, nous ne voyions pas les projets se dérouler sur le terrain. Le monde politique reste un monde très particulier et différent d’un pays à l’autre. J’avais envie de me rapprocher du terrain ».
« La plante n’est pas connue et les associations et partis qui parlent de transition énergétique ne s’en emparent pas parce que justement, ils ne la connaissent pas. »
Touchée par la crise, en 2015, l’association disparaît. Estelle Delangle décide alors de traverser la France pour s’installer avec son mari et ses trois enfants en Charente-Maritime où elle rejoint l’Ifremer (institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). Elle y travaille sur une partie du Projet Horizon Européen. Elle s’occupe de l’administratif, du lien entre les partenaires, de la gestion des données et de la communication. « Ça a été une parenthèse heureuse ».
Casser les silos pour avancer
Au Pôle européen du chanvre, Estelle Delangle s’attache à développer les trois piliers fondamentaux. « Nous devons continuer de faire vivre l’écosystème et de le faire grandir. Nous apportons aussi des prestations d’accompagnement pour le développement de filières en France et à l’étranger et nous travaillons sur le montage de projets structurants. » Un projet fédérateur qui réunit les sociétaires tous les mois et demi pour faire le point en comité opérationnel. « Nous avons une trentaine de participants à chaque fois sur les 35 » se félicite la directrice qui souligne l’implication de chacun.
Pour Estelle Delangle, le chanvre n’est pas encore considéré comme un enjeu européen. Une mobilisation s’impose à tous les niveaux pour fédérer les associations écologistes, les partis politiques, les relais d’opinion. « La plante n’est pas connue et les associations et partis qui parlent de transition énergétique ne s’en emparent pas parce que justement, ils ne la connaissent pas. Finalement, ce qui se passe à Bruxelles reste très loin de nous et pourtant cela nous impacte tous les jours. Aujourd’hui, je suis sur le terrain. Je rencontre tous les jours des agriculteurs, je visite des usines et vois aussi des entreprises qui ferment. J’y vois la déconnection et la perception de l’Europe comme une instance lointaine. Il faut que l’Europe soit forte. On vit dans des nuages de contradiction. Nous, au Pôle, nous essayons de travailler en cohérence. Nous ne ferons pas de la réindustrialisation comme on en faisait il y a 50 ans. Nous sommes obligés de prendre en compte le changement climatique et ses impacts. Et nous n’attirerons pas les talents de demain avec les filatures d’il y a 50 ans. »
Forum mondial du chanvre
Les 19 et 20 novembre 2024
Centre de congrès de l’Aube à Troyes.
Conférences, tables rondes, visites de sites agricoles et industriels.
Renseignements au Pôle européen du chanvre : www.pole-europeen-chanvre.