Entretien avec Olivier Simon
Invités / Entretiens

Entretien avec Olivier Simon

« Nous sommes dans un moment où l’Europe doit faire front commun »

Lecture 10 min
Photo de Olivier Simon
Olivier Simon. (Crédits : BB)

Olivier Simon, quelle est la situation de l’économie nationale en ce début de 2e trimestre 2025 ?

En France nous enregistrons une inflation à 0,9 %. Sur l’ensemble de la zone euro, on est à 2,2 % d’inflation donc on est proche de la cible de la BCE qui est à 2 %. En parallèle, Nous avons une baisse des taux directeurs de la BCE qui sont passés de 4% à 2,25% entre juin 2024 et avril 2025. Et aujourd’hui, il n’y a pas de raison de craindre une remontée de l’inflation. Nous avons fait face à un épisode d’inflation élevée, on ne peut pas le nier, mais on a eu une diminution qui finalement a été assez forte et assez rapide.

Surtout, nous avons eu une baisse de l’inflation qui s’est faite sans impact sur l’emploi et sur la croissance puisqu’on n’a pas eu de phénomène de récession. C’est plutôt positif parce que c’est ce qu’on peut craindre quand on augmente les taux d’intérêt, c’est un impact fort sur l’emploi et la croissance. Mais on n’a pas connu cette situation.

Pourtant de nombreuses incertitudes demeurent…

C’est vrai qu’il y a eu fin 2024 et début 2025, on a eu une forte période d’incertitudes que nous relatent les entreprises à travers les enquêtes de conjoncture qu’on peut mener auprès d’elles.

Dans un premier temps, il y a eu l’incertitude politique française qui mettait une incertitude sur la politique économique et sur la politique fiscale. Quand une entreprise veut investir, il faut qu’elle ait une lisibilité à moyen terme, même parfois à long terme de la politique économique et fiscale qui va être menée.

À cela s’est ajoutée l’incertitude liée à l’installation de la nouvelle administration américaine avec des annonces de droits de douane particulièrement forts qui remettent en cause le multilatéralisme économique qu’on a connu depuis longtemps. L’incertitude n’est jamais bonne pour la croissance. Puisqu’il faut que les acteurs économiques, que ce soit les entreprises ou les particuliers, aient une visibilité sur l’avenir pour se lancer dans des investissements notamment.

Que faire face à cette incertitude ?

Comme le dit le Gouverneur de la Banque de France dans sa lettre au Président, nous sommes face à deux choix : soit nous restons tétanisés, soit nous nous lançons dans une mobilisation générale. Et cette mobilisation générale, elle doit être faite au niveau français et au niveau européen.

Au niveau français, les points à relever, c’est qu’il faut qu’on vise un taux de croissance moyen à 1,5% à l’horizon 2030. Aujourd’hui, on en est loin puisque, la prévision est de 0,7% pour la France en 2025. Mais il y a des moyens de mobiliser cette croissance. Le premier c’est d’améliorer la productivité. En ce sens, le développement de l’intelligence artificielle est une chance qu’il faut saisir puisqu’elle peut nous permettre des gains de productivité.

L’effet de l’IA sur le potentiel de croissance sur dix ans pourrait être de 0,07 point à 1,3 point par an selon les projections, qui sont encore à affiner…

L’IA fait évoluer l’innovation en continu, elle permet de dégager de nouvelles idées. Il faut qu’on développe au niveau européen des infrastructures dédiées à cette IA et des infrastructures européennes qui ne dépendent pas de tiers. Le Gouverneur défend par exemple l’idée de développer une coopération européenne sur l’intelligence artificielle.

L’épisode que nous sommes en train de vivre avec les Etats-Unis, avec notamment les hausses de droits de douane peut-il être un accélérateur de la solidarité européenne ?

Effectivement, le deuxième moyen de mobiliser la croissance concerne la mobilisation européenne à engager. Il y a aujourd’hui des blocages au niveau européen à travers trop de bureaucratie, de procédures et de délais. Si nous arrivons à lever, on peut aussi dégager de la croissance et de la productivité.

En tout cas, je pense que c’est un moment où l’Europe doit faire front commun.

Il faut une Europe qui engage des réformes susceptibles de libérer du potentiel de croissance. Activer les atouts de l’Europe, ça passe par une plus forte intégration du marché unique. Il faut aussi investir mieux, en priorisant davantage les innovations de rupture – et pour cela, muscler les fonds propres européens en réalisant l’Union pour l’épargne et l’investissement. Il faut aussi innover plus vite en diminuant la bureaucratie, les procédures et les délais. Si l’Europe ne peut pas intervenir pour changer totalement la politique économique américaine, elle peut en revanche intervenir sur la façon dont elle muscle la sienne.

Il faut que l’Europe profite de cette occasion pour ressortir plus forte qu’elle ne l’est actuellement. L’épargne financière privée européenne représente un flux annuel glissant de 1 080 milliards d’euros au troisième trimestre 2024, l’Europe doit pouvoir s’appuyer dessus pour développer et investir mieux

Quels sont les autres leviers à mobiliser ?

Aujourd’hui, nous avons un taux d’emploi chez les jeunes et chez les seniors en France qui est faible. L’apprentissage a été un succès mais il faut encore améliorer le ciblage des aides pour améliorer le taux d’emploi chez les seniors et chez les jeunes. Chez les seniors, même si on a augmenté, on reste très en deçà de ce qu’on observe par exemple en Allemagne.

Aujourd’hui l’offensive économique américaine nous oblige à faire des choix économiques qui sont déterminants mais qui seront impactants pour le devenir Européen et Français. Il faut qu’on réagisse tous ensemble et qu’on arrive à faire de cette Europe un pôle d’équilibre et de croissance économique. Le fait qu’on ramène l’inflation à un niveau raisonnable, au niveau de la cible, fait que nous avons aujourd’hui des revenus qui augmentent plus vite que l’inflation. Cela va donner des marges de manoeuvre en termes de consommation et redonner du pouvoir d’achat aux ménages, avec un impact positif sur la croissance.

Qu’en est-il pour les entreprises ?

Nous avons interviewé 8 500 entreprises entre le 27 mars et le 3 avril au niveau national. On note que l’activité a progressé dans l’industrie et les services et a peu évolué dans le bâtiment. Sur avril, les entreprises estiment que l’activité resterait orientée à la hausse dans les services marchands ainsi que dans l’industrie, dans un rythme un peu plus ralenti qu’en mars tout de même.

Les chefs d’entreprise font état d’un manque de visibilité lié au contexte national et international et les industriels mentionnent en particulier les impacts des tarifs douaniers des États-Unis. L’évolution des matières premières est jugée très modérée dans l’industrie et il y a un retour à la normale qui est anticipé sur la fixation des prix de vente, y compris sur les services marchands. Sur la base de ces résultats nous estimons que le PIB progresserait de 0,2 % sur le premier trimestre après la baisse de 0,1 % au dernier trimestre 2024.

Et au niveau régional ?

Au niveau régional, l’ensemble des branches industrielles enregistrent une hausse des volumes en mars, avec une progression des entrées de commandes, tant nationales qu’internationales. Néanmoins, les carnets de commandes restent fortement entamés.

Les trésoreries demeurent à des niveaux jugés insatisfaisants, pénalisés par un allongement généralisé des délais de paiement des clients et une marge d’exploitation qui peine à se redresser. Il ressort de cette enquête que les liquidités demeurent fragiles dans plusieurs filières, nécessitant parfois des relances pour obtenir des règlements des clients. Dans les services, les prévisions à court terme s’orientent vers une hausse du nombre de prestations sans perspective immédiate de création d’emplois.

Pour l’emploi justement, ce que prévoit la Banque de France, c’est une légère remontée du taux de chômage sur la fin de l’année 2025 - début 2026 à 8 %, contre 7,5 % aujourd’hui. Ensuite, nous estimons que ce taux de chômage entamera une redescente au cours de l’année 2026 à la faveur d’une reprise de croissance sur l’exercice 2026-2027.