
Entretien avec Franck Leroy - « Nous n’avons pas à rougir de notre agriculture ! »
Région. Entretien de rentrée avec le Président de la Région Grand Est, Franck Leroy. Le Sparnacien aborde notamment les sujets chauds de la rentrée politique, les enjeux de l’agriculture et les dossiers de la collectivité régionale.

Franck Leroy, un mot sur la décision du premier ministre François Bayrou de mettre en jeu la confiance du gouvernement le 8 septembre prochain ?
Franck Leroy : Je pense que c’est courageux et que dans le contexte actuel nous avons aesoin d’une clarification. La situation économique est complexe, mais elle n’est pas si mauvaise que ça quand on voit les chiffres de croissance du deuxième trimestre 2025. Dans une situation internationale extrêmement complexe nous avons chez nous des partis politiques ou des leaders politiques qui considèrent qu’il faut bloquer le pays. Je pense que François Bayrou anticipe les difficultés à constituer un budget et cela va pousser les partis à clarifier leur position, et notamment les partis dits de gouvernement. On n’attend rien de LFI qui ne souhaite pas contribuer au redressement du pays et ne souhaite que le chaos. Idem pour le Rassemblement National qui n’a aucune proposition à faire. La vraie question, c’est : est-ce que le PS va jouer la politique du pire avec toutes les conséquences qu’aurait la chute du gouvernement (hausse des taux d’intérêts, défiance des marchés financiers internationaux…). Ce parti va-t-il prendre ses responsabilités en tant que parti de gouvernement parce que des économies s’imposent au niveau du budget de l’Etat et qu’il faut arrêter de tourner autour du pot ? Plutôt que de traîner cette situation pendant trois mois, il y aura une clarification dès le 8 septembre. Je considère que la démarche ne manque pas de panache, je la trouve courageuse.
N’est-ce pas un pari très risqué pour le pays ?
Franck Leroy : Oui c’est un pari risqué mais de toute façon le budget lui-même était risqué derrière. Donc si la confiance passe, le Premier ministre dispose d’un accord de principe sur des économies de 43 milliards, moyennant une discussion avec les groupes politiques qui auront refusé la défiance.
Un mot sur cette date du 10 septembre avec les craintes d’un pays à l’arrêt voire d’un chaos généralisé.
Franck Leroy : On fait beaucoup de bruit sur cette journée du 10 septembre. On nous parle chaque année d’une rentrée bouillante et chaque année, on a une rentrée qui se passe à peu près normalement. On constate la volonté de certains - et notamment de Jean-Luc Mélenchon - qui tentent de mettre la main sur le 10 septembre ou de faire un événement politique dans la rue pour essayer d’arriver à ce qu’ils ne parviennent pas à faire par les urnes et ça ne trompe personne. Les Français qui rentrent de vacances et qui reprennent leur activité n’ont pas envie d’un chaos à la rentrée. Les Français connaissent la situation économique, ils savent que bon nombre d’entreprises sont en difficulté aujourd’hui et que si on cherche à faire perdre des emplois, si on cherche à faire tomber des entreprises, il faut bloquer le pays le 10 septembre.
En parlant de situation économique, cet été a été marqué par les taxes Trump qui touchent particulièrement la région avec +15% sur les vins et les champagnes…
Franck Leroy : Les 15% de taxes d’aujourd’hui s’additionnent aux 15% de chute du dollar par rapport à l’euro, donc aujourd’hui, c’est difficile à entendre et à admettre pour les Champenois et les producteurs de vin d’une manière générale qui exportent vers les États-Unis. Je regrette que l’Union européenne ait cédé trop rapidement.
Aujourd’hui, le monde du vin est à un tournant parce que la consommation mondiale diminue, mais aussi parce qu’on doit passer d’une période où le libre-échangisme était la règle, permettant le développement et l’export, à une situation où les États-Unis se ferment aux importations. Cela va obliger la Champagne, et le monde du vin d’une manière générale, à essayer d’aller à la conquête de nouveaux marchés. Même s’il ne faut pas renoncer au marché américain qui est trop important, il y a très certainement aussi de nouveaux marchés à conquérir, cela va être un des enjeux importants pour nos filières viticoles. Mais ça, c’est l’esprit des Champenois que d’être d’éternels conquérants.
Vous avez réagi aux annonces du Président américain en appelant l’Europe à mettre en place un plan pour les filières agricoles du continent. L’enjeu agricole est-il trop sous-estimé ?
Franck Leroy : Je pense qu’il y a autour du paquet Vins encore un travail à faire dans le cadre de la révision de la PAC. Il y a très certainement des mesures à prendre à la fois pour accompagner les vignobles qui sont en grande difficulté - il en existe en France - et en même temps pour accompagner celles et ceux qui vont être frappés par des taxes que tout le monde considère comme totalement injustes et arbitraires, mais qui aujourd’hui affectent l’économie du vin. Il s’agit d’une économie importante à l’échelle de l’Europe puisque nous avons 41 régions productrices de vin en Europe, ce n’est pas rien.
Avez-vous eu une réponse de l’Europe sur ce sujet, notamment en tant que président de l’AREV (Assemblée des Régions Européennes Viticoles) ?
Franck Leroy : Des démarches sont prévues au cours de l’automne, on a pris des contacts, des rendez-vous vont avoir lieu à Bruxelles. Le rôle de l’AREV est de faire un travail de lobbying aux côtés des filières pour faire entendre la voix de cette économie du vin qui est importante et qui correspond à notre culture européenne. Il y a une sensibilité au vin en Europe qui est tout à fait particulière.
Il s’agit d’apporter un point de vue politique aux côtés des professionnels pour que les dirigeants européens prennent conscience que l’économie du vin pèse énormément en Europe. L’addition des forces professionnelles et des forces politiques ne peut qu’être à l’avantage de toutes celles et ceux qui pensent que le vin est un pilier de notre économie.
La Région Grand Est est l’une des trois régions françaises qui enregistrent un excédent commercial. Elle le doit beaucoup au vin et à l’agriculture. Si, par exemple, la Marne n’était pas présente dans le Grand Est, le solde commercial de la région serait négatif. C’est donc bien la Marne qui fait basculer le solde commercial en positif. Et dans le département, l’activité viticole et agricole compte pour beaucoup dans les exportations.
Vous avez aussi récemment regretté que la commission européenne ait annoncé vouloir réduire les financements agricoles…
Franck Leroy : La première copie présentée par la Commission européenne n’est pas satisfaisante pour le monde agricole. Tous les responsables agricoles, tous les responsables politiques ont d’ailleurs exprimé leur déception.
On sait très bien qu’une réforme comme celle de la PAC va prendre des mois voire des années et qu’il faut que les parlementaires européens, que le monde politique, les gouvernements fassent comprendre aux dirigeants européens que face aux défis qui se présentent à l’agriculture européenne, celle-ci a besoin d’être accompagnée.
Le choc que représente le dérèglement climatique avec toutes ses conséquences justifie en soi un effort particulier en matière d’agriculture.
Cet été, le Conseil constitutionnel a censuré une partie de la loi Duplomb. Quelle est la nature du message qui est envoyé aux agriculteurs français par cette décision ?

Franck Leroy : La loi Duplomb a apporté du point de vue réglementaire des éléments d’amélioration. S’agissant des pesticides, qui font l’objet de polémiques, le tort du projet de loi est d’avoir été trop général et pas assez conditionné. On aurait pu imaginer que le pesticide concerné soit réintroduit pour une durée limitée et réservé à certaines filières très sensibles aux attaques d’insectes ou de parasites. Ça n’a pas été le cas et c’est ce qu’a sanctionné le Conseil constitutionnel. Je pense qu’il y aura une adaptation au cours de l’automne et que cette partie de la loi peut être réécrite et peut très vraisemblablement, repasser sans effrayer toutes celles et ceux qui sont sensibles à la question environnementale. Parce qu’une utilisation modérée - qui d’ailleurs est la règle partout en Europe, et on n’est pas en plus mauvaise santé dans les autres pays européens qu’en France - serait sans doute la porte de sortie.
Il faut rappeler également que l’agriculture française est sans doute la plus vertueuse de toute l’Europe quand on parle d’empreinte carbone ou de préservation de la biodiversité. Arrêtons de faire de l’agri bashing. Je considère que l’agriculture est une chance et qu’elle est une part des solutions que nous devons adopter en matière de transition écologique. Nous n’avons pas à rougir de notre agriculture, bien au contraire !
En juin 2025, vous avez fait réaliser un sondage Opinionway auprès de 2000 personnes sur la perception de la Région Grand Est et de son action. Qu’en est-il ressorti ?
Ce sondage montre qu’il y a un très fort attachement à la région Grand Est et notamment en Champagne-Ardenne. Cette région qui craignait peut-être plus que les autres l’entrée dans le Grand Est - parce que c’était la plus petite des trois en population et parce qu’elle était la plus éloignée de Strasbourg - plébiscite aujourd’hui la Région et son rôle : 92% des habitants se déclarent satisfaits de vivre dans la région et 83% sont satisfaits de l’action de la Région Grand Est.
Il s’agit d’une région qui n’avait rien d’évidente au départ, mais l’osmose s’est faite et aujourd’hui sont mis en évidence des atouts qui fédèrent l’Alsace, Lorraine et la Champagne-Ardenne, avec une vision positive de l’avenir.
La Champagne-Ardenne était une petite région, avec peu de population et elle avait donc du mal à se situer entre l’Île-de-France, le Nord-Pas-de-Calais et la Lorraine qui étaient beaucoup plus importantes que nous en termes de population. Aujourd’hui, le fait de se retrouver dans la quatrième plus grande région française, la sixième par la population, la première région agricole française et la troisième région industrielle, ça donne de l’ambition !
À quoi peut-on attribuer cette satisfaction et cette confiance dans l’action régionale ?
Un exemple est particulièrement parlant, celui de la fibre optique. Il y a 10 ans, lors de la création du Grand Est (la Région fêtera les 10 ans de son installation le 4 janvier 2026, NDLR), nous étions la dernière région française en matière de numérique. On est aujourd’hui la première française et il n’y a pas une région qui a une couverture numérique meilleure que la nôtre. De toutes les régions françaises, on est aujourd’hui celle qui investit le plus par habitant. Je pense que ça se ressent sur le territoire. Les habitants se rendent compte qu’ils ont à la fois une région puissante, grande et aussi très proche, parce qu’on a 12 maisons de la région à proximité. Rien qu’en Champagne-Ardenne on trouve une maison de la région de Charleville-Mézières, une à Châlons, une à Troyes, une à Saint-Dizier et une à Chaumont… Aujourd’hui, il n’y a pas une commune qui est à plus de 80 kilomètres d’un Centre de la Région. Ça a beaucoup amélioré la proximité, la connexion avec les territoires.
La Région a investi 800 millions dans son pacte ruralité. Quel est son objectif ?
Quand on regarde les caractéristiques de la région, on est la première région agricole de France et celle qui compte le plus de communes, avec 5 115 communes. Il n’y a pas une région qui a autant de communes. Autant dire que 90% de ces communes sont rurales et nous avons des ruralités très différentes : des ruralités très prospères et puis d’autres plus enclavées. Nous considérons que la ruralité est une véritable chance. Pourquoi ? Parce qu’elle a un rôle économique majeur. Elle fait de nous la première agriculture de France. Elle produit de l’énergie plus qu’ailleurs : plus de 50% de l’électricité produite en Grand Est est d’origine renouvelable, 51% très exactement, alors que nous avons trois centrales nucléaires qui sont parmi les plus grandes de France.
Nous avons une puissance énergétique qu’on doit à la ruralité, une alimentation de qualité, des espaces naturels, des forêts, etc. qui font qu’elle apporte des ressources naturelles, du bois, de l’énergie, de l’alimentation, autant de choses qui doivent nous permettre d’affronter des défis de l’avenir.
La Région a récupéré la gestion de deux routes nationales au 1er janvier 2025. Pourquoi avoir accepté de mener cette démarche expérimentale ?
L’originalité de la région, c’est qu’on avait deux axes de routes nationales qui souffraient d’un manque de travaux depuis des années : la première est la RN 31 qui va de Luxembourg à Nancy et qui est sous capacitaire compte tenu d’un volume de trafic absolument phénoménal. La seconde, c’est la RN 4, qui va de Courgivaux à l’ouest de la Marne, aux portes de la Seine-et-Marne, jusqu’à Phalsbourg en Moselle, qui souffre d’avoir un niveau d’infrastructure insuffisant par rapport au trafic poids lourd.
On a décidé de prendre la responsabilité de ces routes en accord avec l’État car nous considérons que c’est assez logique de gérer à la fois les trains et le trafic routier. Cette année, nous avons déjà triplé le montant des investissements réalisés sur ces routes nationales, pour passer d’une trentaine de millions d’euros à plus de 90 millions d’euros d’investissement. Notre objectif c’est d’investir 1 milliard d’euros sur ces routes parce que 85% des déplacements se font encore par ce mode de déplacement aujourd’hui et aussi parce qu’on a des routes qui sont encore trop accidentogènes. Et la route reste un pilier du développement économique : sans route, il n’y a pas de développement économique ; sans désenclavement, il n’y a pas de développement économique ; et on doit donc assurer un niveau de l’infrastructure à la hauteur des ambitions de notre Région.
Qui porte ces financements ?
L’Etat nous confie ses équipes du service de la Direction interdépartementale des routes (DIR Est) et met à notre disposition les crédits qu’il mettait en temps ordinaire, auxquels nous ajoutons les crédits régionaux. Ce qui fait que jamais les équipes de la DIR Est n’ont eu autant de chantiers à mener et des chantiers aussi ambitieux que depuis le 1er janvier. L’objectif derrière, c’est de mettre en place, sur ces deux axes (RN4 et RN31) une éco-redevance poids lourds, compte tenu de l’importance du trafic routier (et qui est dans une très large mesure à plus de 50 % un trafic de transit international) pour collecter des recettes supplémentaires qui vont aller à 100% sur l’amélioration de ces routes d’ici 2027.
Sachant aussi que sur certaines portions, on a près de 80% de trafic étranger. Un trafic étranger qui paye l’éco-taxe partout ailleurs : en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Suisse.
Tous les pays qui nous entourent, ont une recette. Nous l’aurons aussi et nous allons la dédier intégralement à l’amélioration des routes nationales, ce qui va bénéficier à tous, y compris à la maman qui prend une portion de la Route Nationale 4 pour aller conduire ses enfants au lycée. Tout le monde bénéficiera de meilleures conditions de circulation et de meilleures conditions de sécurité.
À l’occasion du sommet international Choose France, qui s’est tenu en mai à Versailles, 7 projets, ont été annoncés dans le Grand Est, pour un montant global de 840 millions d’euros. Ces projets sont plutôt à l’Est. L’Ouest de la région peine-t-il à attirer les très gros projets ?
On peut en effet avoir l’impression qu’on a du mal à attirer de gros projets de ce côté de la région mais on a aussi des projets importants, comme celui de McCain que le président de la République est venu visiter l’année dernière à Matougues (Marne). C’est vrai qu’à l’Ouest, on a plutôt des projets français, exception faite de Mc Cain, car en Champagne-Ardenne, on est moins concerné par le phénomène frontalier qu’en Lorraine et en Alsace.
Cela explique sans doute le fait que notre développement industriel se fait plutôt par une déconcentration de la région parisienne. Je prends l’exemple de Clarins, dans l’Aube, de l’activité de Garnica (déroulage de peuplier, dans l’Aube) ou du développement d’Hermès dans les Ardennes.
Les investissements en Lorraine et en Alsace sont plutôt liés à la proximité des frontières. Et c’est vrai que pour un investisseur industriel, être à deux pas de l’Allemagne, du Luxembourg ou de la Suisse, c’est extrêmement important.
Une réforme du statut des élus est en cours d’élaboration. C’est un sujet qui vous tient à coeur, que pensez-vous de ce projet qui a été adopté par le Sénat et qui doit désormais être validé par les Députés ?
C’est une réforme qui est indispensable. On attend depuis tellement longtemps une évolution du statut des élus qui sont confrontés à de plus en plus de difficultés. La population n’est pas facile à gérer, elle a de moins en moins de respect pour ses élus, y compris pour les maires, qui sont des élus de proximité par définition. On a eu des situations de violence morale ou physique qui ne sont pas admissibles. Il faut plus de protection pour les élus et en même temps accroître leurs capacités de formation et régler le problème de leurs indemnités. La démocratie a un coût et quand on voit des maires qui sont tous les jours, week-ends compris, sur le terrain, ça mérite des indemnités à un juste niveau.
Le texte paraît équilibré, il a fait l’objet d’un consensus assez large. Le Sénat a fait un remarquable travail sur le sujet et l’Assemblée nationale a adopté des dispositions donc c’est de nature à rassurer un certain nombre d’élus, voire à rassurer des gens qui ne voulaient pas venir ou s’engager au service de la commune de peur d’être mis en cause par le cumul de leur activité privée, personnelle et l’activité publique.
Les élections municipales auront lieu en mars 2026, dans un peu plus de six mois. Vous êtes le président d’Epernay Agglo, vous avez déjà pris une décision quant à une éventuelle prochaine candidature à votre succession ?
On travaille déjà à l’achèvement de ce mandat parce qu’il reste encore beaucoup de projets, notamment dans le domaine des déchets, de l’amélioration du cadre de vie et de modernisation de notre système de distribution d’eau.
Ce sont les principaux investissements que porte l’agglomération en ce qui me concerne. Ce n’est pas notre préoccupation du moment. On en parlera plus ouvertement en fin d’année, mais pour l’instant, il y a encore tellement de choses à terminer, de projections d’en cours qu’on ne se plonge pas véritablement dans la campagne.
Propos recueillis par Benjamin Busson