Dominique Giraudeau
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Dominique Giraudeau

La longévité exceptionnelle d’un étoilé du Guide Michelin

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Photo de Dominique Giraudeau et Pascal Champion
La cuisine intemporelle de Dominique Giraudeau (veste noire) et de son second, Pascal Champion

« Dans la famille, on mangeait beaucoup. On invitait beaucoup. À Avallon, la ville de mon adolescence, nos amis étaient les fermiers voisins avec leurs bons produits, viandes et légumes sur la table ». Ne cherchez pas les gènes trop proches, la réponse serait plutôt du côté des facteurs environnementaux. Ou alors admettez que le père, travaillant à l’époque pour SKF, leader mondial des roulements à billes, savait cuisiner le homard thermidor. Mieux encore, sautez une génération : « Je me rappelle ma grand-mère assise devant son four, arrosant ses viandes de jus ». En évoquant, peut-être, cette réflexion de Victor Hugo, devant un spectacle comparable : « Cette cuisine est un monde dont la cheminée est le soleil ». La cuisine deviendra le monde de Dominique Giraudeau.

Paroles paternelles : « La métallurgie dispose de moins d’avenir que la cuisine ». Et donc, sous la recommandation du père, Dominique Giraudeau, sans idée préconçue quant à son avenir, croise Marc Meneau, Chef 3 étoiles Michelin, « L’Espérance » à Saint-Père. Il aurait pu y faire son apprentissage mais il choisit l’Ecole Hôtelière Jean Drouant de Paris, référence nationale de l’époque.

Il y obtient ses diplômes, BEP cuisine et Bac des Techniques Hôtelières. À la salle, il préfère l’ambiance de la cuisine, donne ainsi raison à son père, entre en stage puis se fait embaucher à L’Hôtel de la Poste à Avallon, alors 2 étoiles Michelin. Sa tournée de la galaxie Michelin passe ensuite par l’Oasis à La Napoule (3 étoiles), au Chiberta (2 étoiles) et au Café de La Paix (1 étoile, tous deux à Paris. À 23 ans, Dominique Giraudeau arrive à La Chaumière à Reims. Le restaurant vient d’obtenir sa 3e étoile. « J’ai beaucoup échangé avec Gaston Boyer et encore plus avec Gérard Boyer. On apprend aussi en écoutant les chefs ». En 1983, Gérard Boyer s’installe aux Crayères et propose à Dominique Giraudeau la direction de La Chaumière devenue Le Chardonnay. En 1984, Le Chardonnay obtient 1 étoile Michelin. Le jeune chef de 28 ans remarque : « Quand on est cuisinier, on pense d’abord être chef dans un restaurant, pas patron ».

C’est en 1991 que Pascal Champion, son actuel second, le rejoint au Chardonnay. Un an plus tard, le chef cuisinier devient patron avec l’acquisition du restaurant Le Grand Cerf, à Montchenot, dans la Montagne de Reims. Il a 36 ans et conserve l’étoile Michelin décrochée par Alain Guichaoua en 1984. Patron, cela change tout ? « Non, nous étions quelque peu inconscients, nous ne pensions pas aux problèmes ».

Être étoilé Michelin, quelle sensation ? « Pour moi, c’est une question d’éducation. Mon père m’a toujours demandé de bien faire mon travail et tous les jours ». La recette pour avoir une étoile au Michelin ? « Faire bien son travail et faire du mieux. Être attentif à la satisfaction des clients, parce que les clients peuvent vous quitter aussi vite qu’ils sont venus. L’étoile Michelin ne doit pas être une obsession. Y penser n’empêche pas d’arriver tôt le matin au boulot, de faire de son mieux avec les meilleurs produits possibles. Beaucoup de chefs y pensent, souvent à partir de janvier, un mois avant la sortie du Guide ».
Et que dit le Guide Michelin aux restaurateurs ? « Vous vous occupez de vos clients et nous nous occupons de vous ».

« Au Grand Cerf, nous sommes des intemporels, un peu à côté de la mode, innovants autant que nous le pouvons et surtout attentifs aux saisons. »

Comment faut-il évoquer la cuisine du Grand Cerf ? « Au Grand Cerf, nous sommes des intemporels, un peu à côté de la mode, innovants autant que nous le pouvons et surtout attentifs aux saisons. » Une cuisine Intemporelle, c’est-à-dire une cuisine qui sait s’enrichir avec son temps, sans renier ses racines. Une cuisine que l’on reconnaît. À partir des bases éprouvées et des recettes phares, une carte obligatoirement renouvelée et le plus fréquemment possible. « Au rythme des saisons et des produits, nous changeons la carte en permanence parce que les goûts de la clientèle sont eux aussi changeants. »

Attention, le trop de techniques masque les produits et peut tuer un plat. Comment alors éviter cette réflexion de Paul Gauguin : « Cuisiner, c’est quand les choses ont le goût de ce qu’elles sont ». Pour Dominique Giraudeau : « La fierté du Grand Cerf c’est aussi de permettre un certain choix aux clients au lieu de lui imposer un maximum de deux ou trois plats ».

La discrète vitalité d’une étoile

Portée par le bouche à oreille, la renommée du Grand Cerf se veut paradoxalement discrète. Le cadre, l’accueil et le service sont l’écrin d’une efficacité à l’opposé de toute ostentation. Dans un contexte parfois peu porteur, de la Guerre du Golfe, de la crise financière de 2008, de la période Covid et récemment celle des travaux sur la D951 devant le restaurant. Au terme de ce parcours, 41 ans d’étoile Michelin, sans interruption. Une étoile qui attire et fidélise la clientèle, qui se gagne comme elle peut se perdre. « 8 restaurants étoilés dans la Marne, je ne dis pas que c’est bien ou pas assez. Mais, ajoute le Chef du Grand Cerf, la concurrence est une chose saine. Je n’oublie pas non plus la place du Champagne, dans la fréquentation de nos établissements et sa contribution à notre notoriété ». Une harmonie qu’atteste le travail au quotidien des deux familles, animatrices de la cuisine au service en passant par l’accueil : Brigitte, Dominique et leur fille Lucie, Pascal et Zahia.