

À Epernay, Chantelle est une institution. Une usine textile au pays du Champagne ? Un exploit qui perdure depuis 1962, date de la création de l’usine de fabrication des premiers soutiens-gorges de la marque. Plus de six décennies au cours desquelles se sont succédées des générations de couturières au savoir-faire unique, aujourd’hui dirigées par Delphine Chapelot. Des corsetières qui se sont faites particulièrement remarquer il y a cinq ans, en pleine pandémie du Covid.
« L’usine a été mise à l’arrêt le 17 mars. Les usines Chantelle basées à l’étranger ont rapidement commencé à fabriquer des masques et j’avais proposé de pouvoir fournir nous aussi des masques. La sous-préfète d’Epernay m’avait alors suggéré de réaliser des surblouses pour les soignants qui manquaient de matériel et devaient s’équiper à l’aide de sacs poubelles à défaut de surblouses », se souvient Delphine Chapelot.
Cette dernière, qui n’était alors pas encore directrice du site, prend toutefois les choses en main et créé, avec l’accord de sa direction - qui accepte aussi de mettre l’usine à sa disposition -, une association : « Les Blues du coeur ». « Le premier jour, on a fait plusieurs essais avec différentes matières et le soir-même nous avons sorti notre première surblouse à partir de voile d’hivernage », souligne la cheffe d’orchestre du projet qui avait proposé aux employées de l’usine de participer au projet. Elles seront 35 à répondre positivement à son SMS et à se relayer bénévolement en deux équipes par jour, pendant plusieurs semaines, pour réaliser pas moins de 25 000 blouses et kits de surblouses grâce au voile d’hivernage fourni par les Lions Club locaux.
Un dévouement qui vaudra à Delphine Chapelot, une nomination dans la promotion du 1er janvier 2021 de la Légion d’Honneur. Une surprise que celle qui était alors responsable du bureau d’études, a souhaité partager avec ses 35 collègues lors de la remise de ses insignes par le Préfet de la Marne, dans les locaux de l’usine Chantelle. Une distinction qui est venue aussi récompenser le début d’un parcours professionnel qui a toujours été tourné vers le textile.
« J’ai toujours voulu travailler dans le domaine de l’habillement », livre d’ailleurs la Sarthoise d’origine qui, après avoir obtenu son BTS, s’est tournée vers une Licence en productique de l’habillement, axée sur les techniques industrielles et l’organisation du travail. En 2001, elle répond à une première offre d’emploi et se retrouve embauchée par l’usine d’Epernay en tant qu’agent du bureau d’études de la marque Darjeeling.
« C’est un travail qui consiste à intervenir juste après la partie création, pour calculer le prix de revient des produits ainsi que les étapes de mise au point de ces produits de manière industrielle », explique-t-elle.
40 opérations nécessaires
Chez Chantelle, de la création au lancement de la production en phase industrielle, les équipes disposent en effet d’un délai de 9 mois pour assurer toutes les étapes de la conception d’un soutien-gorge, sachant que la confection de chacun d’entre eux nécessite une quarantaine d’opérations sur 25 pièces différentes. « Nous effectuons de nombreux aller-retours de prototypes, entre le bureau d’études, les couturières et les modélistes qui exécutent les patronages. On est bien loin de la fast fashion qui sort un modèle tous les 15 jours ».
Un travail qui s’appuie sur un savoir-faire, partagé par l’ensemble des femmes du site d’Epernay qui sont d’ailleurs toutes mises à contribution pour essayer et tester les nouveaux modèles avant leur commercialisation.
« On est bien loin de la fast fashion qui sort un modèle tous les 15 jours ! »
Pendant une dizaine d’années, Delphine Chapelot va donc oeuvrer au sein du bureau d’études tout en effectuant des missions de formation et d’accompagnement pour la marque auprès de ses collègues présents dans les quatre autres usines de la marque Chantelle en Asie (Vietnam et Thaïlande) et au Maghreb (Tunisie et Maroc).
« Nous avons la particularité de disposer de nos propres usines et de ne pas sous-traiter la fabrication de nos produits. C’est pourquoi il est important de mettre en place et de faire respecter des process et des méthodes propres à notre groupe afin que tout le monde se comprenne et travaille de façon homogène sur nos collections ».
Ouverte en 1962, l’usine d’Epernay a accueilli jusqu’à 250 couturières dans les grandes heures de l’industrie textile hexagonale. Confection, entrepôt logistique, siège social, elle est un site stratégique de la marque dont 60% des produits sont exportés, avec les Etats-Unis pour premier marché. Au fil du temps, les activités du site se sont de plus en plus dirigées vers les métiers du développement et de la R&D.
« Pendant une bonne quinzaine d’années, nous avons surtout fabriqué des modèles à petite échelle, des prototypes et des échantillons commerciaux », explique Delphine Chapelot qui devient successivement responsable du bureau d’études puis responsable du service support.
85 personnes sur site
Après le Covid, avec l’arrivée du nouveau Directeur général, Guillaume Kretz, représentant de la sixième génération de la famille des fondateurs du groupe (fondé en 1876 à Romilly-sur-Seine), la stratégie évolue, et le site sparnacien est désormais considéré comme la pépite du groupe. Au-delà des prototypes et des échantillons commerciaux de la marque (une dizaine de nouveaux modèles Chantelle sont créés chaque année à Epernay), les 85 personnes qui travaillent ici mettent aussi leur savoir-faire au service d’autres acteurs du textile : « Certaines marques sont à la recherche d’un atelier de lingerie ou de corsetterie made in France et se tournent vers nous pour leurs travaux », souligne Delphine Chapelot.
De la grande distribution au luxe en passant par la slow fashion ou des marques en phase de création, l’usine Chantelle d’Epernay est capable de répondre aux demandes les plus pointues.
« Nous les accompagnons à tous les niveaux grâce à notre expertise qui nous permet d’intervenir pour des croquis, du développement de produits et de la production ».
Une stratégie que Delphine Chapelot pilote à sa main depuis le 1er janvier 2023, date à laquelle elle est nommée directrice du site, après en avoir assuré l’intérim pendant près d’un an. Cette promotion, elle la doit sans aucun doute à ses qualités de leader mises en avant lors de l’épisode Covid et au quotidien dans l’entreprise. « C’est une période qui était complexe mais au cours de laquelle nous avons créé un lien supplémentaire entre les équipes mais aussi entre le site et les acteurs locaux ».
De quoi donner des idées à la nouvelle directrice qui a lancé un nouveau projet au sein de l’usine, celui des visites en direction du grand public. Celles-ci se déroulent pendant une heure par groupes d’une vingtaine de personnes qui, après avoir découvert les ateliers, peuvent passer un moment privilégié à la boutique avec une personne du service qualité pour se faire mesurer et conseiller sur les modèles à choisir.
Les premières visites qui ont débuté au printemps 2025 ont affiché complet et les futures dates prévues les 4, 18 et 25 juillet prochains se remplissent à grande vitesse, incitant Dephine Chapelot à ouvrir de nouveaux créneaux pour sa plus grande satisfaction. « Ces visites nous permettent de faire connaître notre savoir-faire au plus grand nombre et elles attirent de nombreux habitants de la région », apprécie la directrice qui espère que les touristes seront eux aussi séduits par le Made in France de Chantelle.