Damien Patriat
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Damien Patriat

Faire baisser la tension autrement.

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« La dernière lumière allumée le 31 décembre, sera toujours celle de l’hôpital. » (Crédit : MBP)

« Nous ne pouvons pas relancer la machine, surtout après les dégâts du Covid, sans mettre un peu de management. » Arrivé à la direction générale des Hôpitaux Champagne Sud en février 2023, Damien Patriat dévoile un parcours atypique. Sa carrière de directeur d’hôpitaux s’entrecoupe de six années à l’Agence régionale de la santé Bourgogne Franche-Comté (ARS) et surtout de trois années de disponibilité pendant lesquelles il crée son entreprise.

Alors qu’il exerce comme coach en stratégie et ressources humaines et formateur, il sillonne les établissements de santé de la France entière. Ses formations en management et leadership – HEC coaching et handicap, MBTI, Process communication management – inspirent largement le management qu’il insuffle aujourd’hui aux 4 450 professionnels médicaux ou non médicaux des établissements aubois et marnais.

« Il faut savoir respecter un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. J’y suis vigilant et je demande aux cadres et au personnel d’y être. On n’est pas des robots, nous ne laissons pas nos problèmes au vestiaire en arrivant au travail et à l’hôpital ça ne s’arrête jamais ». Alors, pour prévenir toute défaillance, les équipes restent vigilantes avec l’intervention d’alerteurs « pour venir en soutien pour passer les caps difficiles pro/perso et imposer aux gens de prendre du recul » et pour détecter un service fragilisé ou en tension par un manque de personnel.

Tous les encadrants bénéficient ainsi d’un coaching systématique et tous ceux qui le demandent même les non-managers peuvent y accéder. « La plupart des responsables veulent bien faire mais n’ont pas forcément les outils pour y parvenir. Depuis un an, nous avons aussi un programme mentors/mentorés en interne pour tout nouveau manager non médical sur une séquence de 10 mois. Les gens sont formés et supervisés, il y a un contrat. Les mentors apprennent autant que les mentorés ».

Connecté avec les acteurs de terrain

Avec ses cafés, sans filtre, le directeur passe de service en service. « J’amène les croissants, ils font le café. Ils me posent des questions sans filtre et je réponds sans filtre mais au moins, c’est clair. Je me rends compte que les demandes sont rationnelles. Les personnes sont raisonnables et très engagées. Il faut arriver à redonner de l’autonomie à chaque échelon de la hiérarchie. Je voulais revenir sur le terrain pour faire bouger le système. J’aime bien me promener dans les couloirs de l’hôpital, je rencontre toujours des patients ou des médecins pour venir dans mon bureau et rester connecté avec le terrain ».

À 46 ans, ce père de famille originaire de Côte d’Or mène plusieurs projets d’envergure qui « ressortent au niveau national parce que notre manière de faire est différente, avec nos forces vives et celles du territoire ». Un constat souligné tant par Brigitte Macron et Sarah El Haïri, ministre de la Famille lors de l’ouverture de l’UEAPED (unité d’accueil pédiatrique enfants en danger), que par Catherine Vautrin, ministre de la Santé lors de sa visite du chantier de refonte des urgences. Ces visites permettent de faire des focus sur la réalité de la vie d’un hôpital et les risques de rupture d’offre de soin.

« À l’hôpital, rien ne s’arrête jamais »

« C’est une reconnaissance du travail des équipes et de ce à quoi elles sont confrontées au quotidien. Il faut deux à trois ans pour stabiliser la situation des urgences. Nous sommes à mi-chemin. Le fonctionnement d’aujourd’hui n’est pas encore satisfaisant mais… nous n’avons pas fermé. Tout le monde a changé complètement de paradigme. Aux urgences, je veux que l’activité baisse et nous avons fait -19 % l’an dernier et -9 % cette année. Nous avons revu drastiquement nos modes de fonctionnement avec du coaching d’organisation qui interdisait la présence des responsables et cadres dans les groupes de travail pour permettre à de nouveaux leaders d’émerger, ce qui s’est passé ». Des QR codes ont également été mis en place pour que le personnel donne son avis sur ce qu’ils souhaitent sur les zones de travaux. La première unité des urgences revisitées ouvre cet été. Elle permet d’isoler les patients sur brancard pour qu’ils n’attendent plus leur prise en charge au milieu des couloirs. Damien Patriat aime le billard, activité qui demande du contrôle de soi et de la tactique pour trouver la solution, son quotidien. « La radiologie était un service déficitaire à Troyes et il y fallait mettre 10,5 millions sur la table pour renouveler le matériel. Nous devions changer de modèle économique ».

L’offre de radiothérapie amorce désormais un nouveau virage avec le partenariat d’Amethyst, prestataire privé qui gère ses moyens tant humains que matériels au sein de l’hôpital à qui il reverse des droits d’occupation du domaine public. « Ils achètent 4 ou 5 accélérateurs par an quand l’hôpital en achète deux tous les dix ans. Ils ont surtout l’expertise et les compétences ». En 4 mois d’ouverture, le service a réalisé 80 % de son activité 2023 et redonne de l’air aux Hôpitaux Champagne Sud qui gèrent un budget global de 463 millions d’euros dont 23 millions d’investissements.

Ouverture d’une unité protégée à Sézanne, d’une unité de consultation avancée à Bar-sur-Seine, Damien Patriat enchaîne les sujets. Il contribue au volet stratégique du rachat de l’hôpital privé du Pays de Seine dont le CHT est majoritaire aux côtés de la Mutualité Française Champagne-Ardenne, de l’Hôpital Privé de l’Aube (HPA), du Groupement Hospitalier Aube-Marne et du CH de Bar-sur-Aube. « Sans l’HPA, nous n’aurions pas repris les Pays de Seine. Cela a été un long travail et venons d’avoir l’immatriculation Finess et le Siret ».

Place maintenant aux étapes de consolidation, de recrutement et aux investissements pour lancer l’activité dès octobre avec un travail sur le parcours du patient pour les réorienter vers la clinique auboise. « Plutôt que de faire Melun, Meaux et APHP autant faire Romilly – CH Troyes ». Une offre de soins territoriale qui doit attirer les patients mais surtout les professionnels de santé. « Les meilleurs recruteurs sont les médecins ».

Recruter et travailler aussi avec les forces vives du territoire. « Nous faisons des réunions ensemble avec le SDIS et les transporteurs privés. Nous ne sommes pas d’accord sur tout mais trouvons des solutions communes. Nous n’avons pas le luxe d’être en conflit dans le domaine de la santé. Les enjeux de service public de l’hôpital peuvent toutefois être prééminents sur les autres. Parce que la dernière lumière allumée le 31 décembre, sera toujours celle de l’hôpital ».