Le chef aux huit étoiles. C’est ainsi qu’est surnommé le chef Moret. Plus que des étoiles, c’est une constellation qui lui appartiendra de faire briller dorénavant au restaurant Le Parc des Crayères, où il est arrivé en mars 2024, prenant la suite des presque 15 années du chef Philippe Mille. Il y est attendu, tant par les locaux que par les clients de passage, la Maison bénéficiant d’une solide réputation, notamment grâce au réseau Relais & Châteaux, bien au-delà de la Champagne.
Et cela tombe bien, car Christophe Moret s’est laissé convaincre de poser ses couteaux et ses idées après qu’on lui a donné « carte blanche » pour imposer son style, son identité, sa sensibilité aussi. Fils d’une famille de chasseurs du côté de sa mère et de maraîchers du côté de son père, il a toujours eu le goût pour la cuisine, mais surtout pour les produits provenant de la nature. Rien d’étonnant lorsque l’on apprend qu’enfant, Christophe Moret se rêvait garde-forestier. Adolescent, passionné de moto, il effectue des extras dans des restaurants, à la Chancellerie et à la Capitainerie à Orléans, pour pouvoir payer les pièces de sa Fantic Caballero. Là, il apprécie l’esprit d’équipe, l’ambiance des cuisines et la philosophie de travail. C’est décidé, à 18 ans, il entre au lycée hôtelier de Blois.
Début avec de grands chefs
Une fois son CAP-BEP cuisine en poche, il enchaine alors les expériences et fait « les saisons » dans de nombreux établissements, comme l’hôtel de la Poste, à Corps la Salette, en Isère, son premier poste en tant que commis. Suivent Le Rivage à Gien ou encore Le Grand Hôtel à Saint-Jean-de-Luz. Puis c’est la rencontre avec Jacques Maximin, étoilé Michelin pendant près de quarante ans et Meilleur Ouvrier de France, qui, après avoir obtenu deux étoiles pour le restaurant de l’hôtel Negresco à Nice, ouvre son propre établissement, toujours à Nice, dans l’ancien théâtre de Sacha Guitry. S’il n’officie qu’une année au Théâtre, il garde pour Jacques Maximin une grande admiration.
Mais celui pour lequel il rêve de travailler depuis qu’il a mis le tablier, c’est Alain Ducasse. Il le recontacte alors pour savoir si une place est disponible à ses côtés. Trois ans auparavant, la Société des bains de mer de Monaco avait lancé le défi à celui qui est aujourd’hui le chef le plus étoilé du monde (avec 21 étoiles) de créer le restaurant gastronomique Le Louis XV, à l’hôtel de Paris Monte-Carlo, palace luxueux et prestigieux de Monaco. Christophe Moret y entre en 1990, l’année des trois étoiles, comme commis et en sort trois ans plus tard, comme chef de partie. Toujours dans une volonté de multiplier les expériences, les influences et de se nourrir du savoir des grands chefs, il part à Paris, en 1994, pour être sous-chef de cuisine au Royal Monceau puis au 59, Avenue Poincaré, sous-chef de Jean-François Piège pour Alain Ducasse, toujours 3 étoiles. En 1998, le lien de confiance entre les deux hommes conduit Alain Ducasse à lui confier les rênes de son nouveau restaurant, le Spoon, Food & Wine.
Le défi des trois étoiles
« J’ai travaillé 16 ans pour Alain Ducasse. C’est quelqu’un qui a une vision du métier incroyable. C’est un vrai visionnaire. Quand il a ouvert le Louis XV à Monte-Carlo, c’est le premier à avoir réfléchit le restaurant dans sa globalité. Sa philosophie me plaisait énormément. » Au sein de cet établissement, où il reste cinq ans, Christophe Moret ouvre sa cuisine aux saveurs du monde entier. « C’était un nouveau concept, un restaurant au métissage culinaire, très novateur. Cela nécessitait beaucoup de travail de recherche, de tests, mais également de voyages… » Sept autres restaurants obéissant à ce concept seront d’ailleurs ouverts dans le monde. Malgré la diversité de la tâche, le rêve d’étoiles de Christophe Moret ne s’éteint pas. Alors quand lui est fait la proposition de prendre la tête du Restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée, il n’hésite pas une seconde. Auréolé de trois étoiles à son arrivée, il les conservera toutes, tout au long de sa carrière dans cet établissement. Une véritable prouesse, acquise non sans « une extrême rigueur et exigence ».
« Conserver trois étoiles est un défi quotidien. Une discipline. Il faut garder une curiosité, ne jamais se reposer sur ses acquis et c’est aussi une intransigeance. » Une intransigeance faite de menus détails. « On est à la quête de la perfection. La perfection n’étant pas humaine, c’est une philosophie de vie. On essaye alors d’être au meilleur niveau pour nos clients et de ne proposer que de l’extraordinaire. On se doit de garder cette quête en permanence. »
« Conserver trois étoiles est un défi quotidien. Une discipline. Il faut garder une curiosité, ne jamais se reposer sur ses acquis et ne proposer que de l’extraordinaire »
On se doute à l’écouter que conserver les deux étoiles du Parc est un minimum mais qu’en ligne d’horizon, ce sont bien les trois qu’il vise. « Entre un deux et un trois étoiles, c’est la somme de petits détails. Pour atteindre les trois, il n’y a pas de recette écrite… » Ainsi, en quelques mois au Crayères, il a déjà modifié quelques-uns de ces fameux petits détails… « On a changé le service du beurre, le pain aussi, qui provient désormais de la boulangerie Pauline à Reims. Petit à petit, on va amener plus de découpe en salle, on va aussi amener des gestes de services différents. Nous avons également changé les fromages sur le plateau… sans lait de vaches nourries à l’ensilage et uniquement des races françaises… »
Maintenir cette exigence ne peut se faire seul. « Un restaurant, c’est un projet commun. Il faut embarquer tout le monde, c’est un travail d’équipe. Le chef donne la direction, l’impulsion, le style culinaire. Mais après, il faut que tout le monde adhère à votre projet. » Au niveau culinaire justement, c’est la curiosité qu’il faut entretenir. « Il y a sans cesse de nouveaux produits à travailler, de nouvelles techniques aussi. Il ne faut jamais penser que l’on est arrivé. » Entre 2015 et 2023, c’est au Shangri-La qu’il prend la place de chef exécutif. Mais qu’on ne lui parle pas de « culture palace » ! « Il n’y a pas de restaurant de palace, il y a un restaurant dans un palace. Ce n’est pas la même chose. »
Recette d’inspiration classique remise au goût du jour
Et si l’on perçoit rapidement chez Christophe Moret cette exigence qui fait les grands chefs, lorsqu’il parle de cuisine, son regard s’illumine. « Je suis rôtisseur-saucier de formation. Pour moi, ce qui est important, ce sont les sauces, les jus, les marmites, les clarifications... tout ce qui est l’âme de la cuisine française. C’est très important. Et ensuite, c’est la quête des produits. » Garder les bons producteurs, en chercher de nouveaux, c’est aussi le défi du chef Moret en arrivant aux Crayères, lui qui travaille depuis de nombreuses années avec « des collaborateurs » provenant de tout l’Hexagone. « On a commencé le petit pois en Provence il y a trois mois, on va remonter la vallée du Rhône, puis on va aller jusqu’en Bretagne, en passant par la Loire. Il suffit d’avoir le bon producteur au bon endroit et de qualité constante. Je travaille par exemple avec Jérôme Galis, trufficulteur dans le Vaucluse, depuis 1998. »
En Champagne, il s’est ainsi attaché la production de la Maison Verdelet à Heutrégiville pour les asperges blanches. Quant aux tomates, elles proviennent du primeur MOF et maraîcher Patrick Richard qui détient l’Artichaut, à Reims. « Ce que je souhaite, c’est connaître la traçabilité du produit, comment il est fait, comment il est cultivé et avec quel amour. »
De sentiment, il en est aussi question dans ses plats. « En ce moment c’est l’araignée de mer, en deux services avec les pinces en beignet, à manger du bout des doigts et une tête d’araignée assaisonnée, condimentée avec des algues du Croizic de Jean-Marie Pedron. En plat signature, j’ai le chawan mushi, un flan japonais fait à partir de bouillon de dahi avec des langues d’oursin, des calamars et du caviar. Mais ma grande marotte, c’est la recette d’inspiration classique remise au goût du jour. En ce moment, on a le pigeon Montmorency, un grand classique de la cuisine française. Nous avons en France un ADN incroyable, qui ne doit pas devenir un handicap non plus. On a le droit de s’en inspirer, d’en respecter les grandes lignes. Le pigeon Montmorency est inspiré de la recette traditionnelle préparée à base de canard avec des cerises. Chez nous, cela va être une cerise à l’eau de vie, des cerises desséchées, de la cerise crue, une cerise marmelade. Puis, on va faire un condiment avec cerises et oignons rouges au vinaigre en pickle et à côté, on va cuisiner une royale de foie gras avec l’effiloché du pigeon, qui a été nourri de la sauce… accompagné d’une salade verte… » L’écouter parler de ses plats, c’est déjà un poème, on n’attend plus que de les goûter…