Bruno Giannini
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Bruno Giannini

La force de la résilience

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Photo de Bruno Giannini
Bruno Giannini est fier d’avoir bénéficié du « coup de cœur » et du Trophée d’or de l’industrie lors des Trophées de l’Entreprise organisés par Ardenne Métropole. (Crédits : PR)

Le vendredi 3 février 2023 est une journée que Bruno Giannini n’est pas prêt d’oublier. Les flammes avaient, en l’espace de trois heures, totalement détruit les 1 700 m² de bâtiments de Polymoulages, société spécialisée dans la production de pièces et moules en polyester pour le BTP et la marine nationale et leader européen de la fabrication de paniers de nacelles isolants. Moins d’un an plus tard, le 5 janvier 2024, le personnel reprenait le travail sur la zone industrielle de Bazeilles où la nouvelle usine reconstruite en six mois par des acteurs locaux a été inaugurée le 25 avril 2025 par Bruno Giannini, 57 ans, et sa famille. L’industriel raconte comment il a pu, en un temps record, repartir de zéro et rebooster ses équipes en relevant un sacré défi.

On a relevé le challenge de la relance

« On a mis 48 heures pour digérer ce sinistre avant de se fixer l’objectif de reprendre très rapidement notre activité. Il fallait éviter que la concurrence étrangère et notamment celle des Pays de l’Est profite de ce drame pour attirer une partie de notre clientèle. Nous avions cette idée en tête et grâce à la CCI Marne Ardennes et à Protéame, nous avons trouvé, en quinze jours, un bâtiment provisoire à Sedan où nous avons remis le travail en route en l’espace de cinq semaines, en réintégrant l’ensemble de nos salariés. Dans le périmètre qui nous était loué, nous avons recréé durant dix mois des zones de travail bien définies (fabrication, meulage, qualité, logistique, etc…) et proches de celles dont on disposait à Bazeilles. Et au bout de huit semaines, on a réussi à fabriquer à nouveau des paniers et satisfaire les clients les plus urgents, surpris de notre réactivité après cette situation de crise. Nous sommes même arrivés à approvisionner dans un délai express et dans un mode pourtant dégradé un gros fabricant qui avait déjà passé un contrat avec un concurrent extérieur avant de l’annuler car ce dernier n’avait pas encore attaqué cette commande au moment où nous l’avons fourni.De mars à décembre 2023, nous avons reconstitué 200 à 300 moules ».

Bruno Giannini ajoute : « Le fait d’avoir connu cette situation nous a remis en cause puisqu’on a notamment identifié un point faible – lié à la partie matrices – que nous avons par la suite transformé en point fort, en créant nos propres fabrications de modelage par le biais de l’impression 3D ».

Deux nouvelles sociétés

En juin 2023, Bruno Giannini, 57 ans, a en effet fondé la structure SBS Create 3D. « Il a fallu que l’on s’approprie et maîtrise cette technologie pour réaliser des pièces en impression 3D pour l’industrie. En partenariat avec l’entreprise carolomacérienne, Grossiste 3D, nous nous sommes équipés d’une machine qui va jusqu’à 1 m3 d’impression et travaille 24 heures sur 24. Cela nous permet de faire de la sous-traitance, de travailler pour des clients de Polymoulages et de concevoir nos propres matrices pour réaliser des produits de tous les volumes ainsi que des enseignes lumineuses ». Au bout de deux ans, SBS Create 3D produisait 500 à 600 moules tout en récupérant du travail jusqu’alors sous-traité à l’extérieur.

« Chaque entreprise m’a apporté quelque chose et fait de moi ce que je suis aujourd’hui. »

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Bruno Giannini est fier d’avoir bénéficié du « coup de cœur » et du Trophée d’or de l’industrie lors des Trophées de l’Entreprise organisés par Ardenne Métropole. (Crédits : PR)

En octobre 2024, Bruno Giannini se lance dans un autre challenge tout aussi excitant : la création de la société Polycomm. Grâce à celle-ci, la cellule familiale commercialise une gamme de produits polyester et matières associées à sa propre marque. « Plutôt que de travailler sur plan pour des clients, nous avons décidé de créer notre propre panoplie. Ce qui nous permet de nous diversifier dans de nouveaux secteurs d’activités : le mobilier urbain (bancs et tables) et les jardinières en fibre de verre et résine polyester. On a déjà créé 51 modèles de jardinières. De toutes couleurs et de toutes formes, ces produits allient qualité, durabilité et design sur mesure et sont garantis sept ans ».

Pour se développer à grande échelle et se faire connaître du grand public, des collectivités et de grands distributeurs nationaux, Servan, son fils de 25 ans, responsable développement et designer de Polycomm, entend s’appuyer sur l’e-commerce. Ces deux PME et la maison mère chargée de la production jouent donc la carte de la synergie. Avec, en fil rouge, l’idée de « vendre notre matière maîtresse : le polyester ».

Quatrième de sa promotion à l’iut de nancy

Avant cela, Bruno Giannini avait connu plusieurs riches expériences professionnelles. Fils d’un maçon-plâtrier travaillant aussi à la papeterie Sybille de Stenay (Meuse), Bruno avait obtenu un bac E mathématiques et techniques à la section technique du lycée Marguerite à Verdun. « Ce qui m’a permis par la suite de partir à Nancy, de 1989 à 1991, pour passer un DUT en génie mécanique et productique. Etant sorti quatrième de ma promotion avant de satisfaire mes obligations militaires à Mailly-le-Camp dans le génie civil, j’ai par la suite vite trouvé du boulot ».

Il décoche un travail à Bar-le-Duc pour travailler durant deux ans comme technicien au CRITT usinage et découpe par jet d’eau haute pression. « Là-bas, j’ai fait des essais de découpes d’optiques de phares pour un client normand, la verrerie Holophane aux Andelys, qui m’a embauché comme responsable de production, chargé de développer durant cinq ans des cellules robotiques pour la découpe d’optiques en série. Je me suis aussi occupé durant cinq ans d’un service de taillage de verres et de la mise en émail sur des optiques de phares ».

Ayant le mal du pays, Bruno Giannini a l’opportunité, en 1999, de revenir dans les Ardennes pour occuper un poste de directeur de production chez Fétrot à Remilly-Aillicourt. « Dans cette PME de 45 personnes spécialisée dans l’usinage et la soudure de pièces pour l’agriculture et l’industrie, je me suis contenté d’une courte expérience car je n’étais pas en phase avec la méthode management. » Néanmoins, il rebondit vite, puisqu’il intègre La Fonte Ardennaise pour assurer une place de responsable de production sur le site d’usinage de Vrigne-aux-Bois. « Treize ans après, j’ai fini directeur d’une unité de production de 120 personnes, dédiée à l’usinage en série de pièces industrielles allant du corps de vannes jusqu’à des pièces mécaniques pour l’agriculture tout en développant la robotisation de cellules de production pour améliorer les conditions de travail et la rentabilité du site ».

Avec la volonté de reprendre une entreprise, Bruno Giannini rachète Polymoulages, le 1er mai 2014. « Avec mon épouse, on a cassé la tirelire pour consacrer toutes nos économies à l’acquisition de cette usine de trois personnes fabriquant des pièces en polyester. On a commencé par remettre tous les bâtiments que nous louions aux normes pour sécuriser nos opérateurs. Après cette période de stabilisation qui a duré 18 mois, nous avons réfléchi à l’achat d’un site et, après avoir noué des contacts avec la Carsat et la Dréal pour mieux appréhender les contraintes d’une telle opération, nous avons pu disposer à Bazeilles d’un terrain nu de 4 000 m² pour y construire un bâtiment adapté de 1 700 m² et passer de la phase artisanale à la phase industrielle ».

Très vite, Polymoulages a doublé son chiffre d’affaires, passant de 700 000 à 1,4 million d’euro pour arriver à 1,6 million d’euros avant le sinistre de 2024 tout en travaillant avec 24 personnes. « Chaque entreprise m’a apporté quelque chose et fait de moi ce que je suis aujourd’hui », conclut Bruno Giannini qui oeuvre de façon collégiale avec l’ensemble du noyau familial. Son épouse, Christelle, et ses trois enfants : Sullivan, Bettina et Servan.