Bruno Cothenet
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Bruno Cothenet

Globe-trotteur de la transmission

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Photo de Bruno Cothenet
« Avant de créer une entreprise, il faut revenir aux fondamentaux. » (Crédits : MBP)

Né à Bourges, ville où son grand-père était maire, Bruno Cothenet a très vite quitté la France avec sa famille de globe-trotteurs de l’agriculture. Aujourd’hui retraité, il transmet son expérience de vie de développeur de malteries puis de mise en place de la stratégie RSE du Groupe Soufflet aux futurs entrepreneurs. Il conseille et accompagne ceux qui veulent se lancer dans le cadre de l’association Égée où il est délégué départemental pour l’Aube. L’association rassemble des retraités qui donnent de leur temps pour partager leurs compétences et conseiller les entrepreneurs.

Bruno Cothenet a vécu son enfance au nord du Cameroun où son père était responsable de l’agronomie du pays après y avoir créé des rizières et des puits. Puis, en Algérie avant de revenir en France quand il a 12 ans. « Nous sommes passés d’Oran à Rouen, c’était un peu compliqué climatiquement parlant ! » Alors que son père est nommé directeur départemental de l’agriculture à Alençon, il poursuit ses études, fait une école de commerce et pars au Mexique pour un service militaire de 18 mois. « De retour en France, je me suis dit, je suis un fils du soleil, je ne travaillerai jamais en dessous de la Loire. … Et je suis arrivé à Dunkerque ! J’étais courtier en malt chez Intermalt pour exécuter les contrats. Il fallait programmer les usines, acheter les sacs, les remplir, commander les bateaux, s’occuper des subventions d’exportation… Mon patron de l’époque était un grand spécialiste de la Russie et démarrait également en Amérique du Sud ».

Pourtant, l’entreprise de courtage est vite court-circuitée par les clients qui passent en direct par les producteurs. « Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, j’avais beaucoup travaillé sur les animaux de basse-cour, alors, j’ai commencé avec les poussins en Afrique, la semence potagère en Arabie Saoudite et au Moyen-Orient. »

Finalement, le 19 août 1984, il rejoint Soufflet à Nogent comme responsable du secteur malt. « C’était un environnement très agricole. Mon épouse a travaillé avec Michel Baroin à la mairie de Nogent-sur-Seine. Nous cherchions à nous intégrer, mais restions des gens de l’extérieur, et c’était très compliqué de s’intégrer ». Il quitte alors Soufflet et part en Belgique pour une petite malterie, puis pour la malterie Franco-Belge… que Soufflet rachète trois mois plus tard ! Retour au point de départ. « J’étais en contact avec des agents qui travaillaient à la Russie et qui cherchaient du malt, j’ai consacré du temps pour eux et c’est bien tombé. Cette année-là, la Russie a fait une très mauvaise récolte et avait besoin de malt. Nous étions les seuls connus. La 1re année, nous avons raflé 100 % du marché ».

Modèle de réussite

À Saint-Pétersbourg, Bruno Cothenet se rapproche de la brasserie Baltika et leur vend du malt. « Je me suis dit que la Russie est un pays de céréales et que le jour où ils produiront des céréales, il n’y aura plus du tout d’importation de malt ». Il propose alors au directeur de cette brasserie de construire une malterie.

En rentrant en France, Bruno Cothenet en parle à son patron qui ne semble pas trop intéressé, puis au directeur général du groupe qui fait remonter l’information à Michel Soufflet. Une réunion est organisée avec le directeur de la brasserie russe à Nogent et en dix minutes, Michel Soufflet décide de partir pour Saint-Pétersbourg. « Quelques mois après, nous signons un protocole d’accord et on commençait à construire la malterie avec 70 % Soufflet et 30 % Baltika ». La crise russe de 1998, avec l’effondrement du rouble, menace le projet qui finalement se poursuit. À la livraison de la malterie, la crise était derrière et les marchés devant. Après la malterie, l’ensemble de la filière agriculture Soufflet qui existait en France a été dupliquée en Russie.

« Pour que la RSE passe mieux, je l’avais rebaptisée en Renforcement des systèmes d’efficacité ! »

En parallèle, une brasserie d’Afrique du Sud, qui s’implantait en Europe, se tourne alors vers Soufflet qui reprend des malteries en Europe centrale, Russie, Ukraine, Tchéquie, Kazakhstan… « Je me suis occupé de tout cela ! » Bruno Cothenet s’installe ensuite cinq ans à Prague avec sa famille pour encadrer l’Europe centrale. Il reviendra ensuite à Nogent-sur-Seine pour s’occuper de l’Europe occidentale. « Pendant très longtemps, j’étais la seule personne qui connaissait toutes les malteries du groupe pour les avoir construites et gérées. Je garde de Michel Soufflet, le souvenir de sa confiance. Il était vraiment visionnaire, il a vu le truc et a dit oui tout de suite. J’avais carte blanche ».

Ces cinq dernières années, avant de faire valoir ses droits à la retraite, Bruno Cothenet les passe à Nogent pour mettre en place la politique RSE accompagné d’un spécialiste. « Comme Michel Soufflet avait un peu de mal avec tout ce qui n’était pas commercial, j’ai changé le nom en le baptisant Renforcement des Systèmes d’Efficacité, tout de suite cela passait mieux ! » Aujourd’hui, Bruno Cothenet porte un regard aiguisé sur la Russie qu’il a pratiquée de nombreuses années. « À l’époque, nous étions des pionniers, aujourd’hui ce serait différent. En Russie, si vous êtes fort, ils vous respectent, si vous êtes faible, ils vous écrasent ». Aujourd’hui, son fils aîné marche sur ses pas. Il travaille chez InVivo où il a été directeur international de l’agriculture Soufflet et est chef de projet Bioline qui vise à réduire l’impact de l’agriculture sur l’environnement et à produire des offres responsables.

Retraité et intéressé par la RSE, « j’ai créé une société pour accompagner les agriculteurs composteurs. En retraite, je suis maintenant dans la période de transmission », un projet stoppé par la covid.

De retour à Troyes, il devient conseiller du commerce extérieur de la France puis président de l’association Égée qui fonctionne avec Initiative Aube en conseillant les créateurs d’entreprise. « Nous participons à des formations. Les gens que nous rencontrons n’imaginent pas les contraintes d’un chef d’entreprise, tout est compliqué en France. Il faut vraiment revenir aux fondamentaux, quels sont les coûts que je vais avoir avant de gagner de l’argent. Tout le monde n’est pas capable de créer son emploi. » Bruno Cothenet accompagne donc les porteurs de projets avec l’ensemble des bénévoles de l’association qui constate un taux de réussite à trois ans de 40 % meilleur que lorsque les créateurs ne sont pas suivis. Il donne aussi des cours d’introduction à la RSE aux étudiants de l’EPF, l’école d’ingénieurs. « Être avec des jeunes, c’est rafraîchissant ». Lassé des voyages, il consacre son temps à sa famille et à la généalogie, au-delà des dates de naissance et de décès, « je fais un petit résumé de leurs vies ». Il y a aussi les lettres de ses parents qu’il compile. « Mes parents s’écrivaient quand mon père était au Cameroun et que maman rentrait pour accoucher en France. Nous sommes cinq enfants. Avec ces lettres, nous avons la trace de toute leur vie. Je rassemble tout cela dans un livre de famille ». Avec toujours l’objectif de transmettre.