Invités / Entretiens

Bernard Lonclas

Une affaire de famille

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Photo de Bernard Lonclas
A 68 ans, la transition avec ses deux filles se fait naturellement, tout en conservant la présidence de la Maison. (Crédits : ND)

C’est un enfant des coteaux du Vitryat, dont il a les caractéristiques, pourrait-on même dire le caractère ? Tout en nuance, révélant expressivité et vivacité avec néanmoins une certaine douceur. De ses origines agricoles et paysannes, Bernard Lonclas a la mesure du travail de la terre, du temps long et il ne se disperse pas en discours. Homme d’action, il regarde toujours devant et a sans cesse mille projets en tête. Une saine ambition qui a mené le domaine viticole auquel il a donné son nom à être une des références du Vitryat, dont les coteaux représentent 1,5% de l’appellation Champagne. Né à Bassuet, il entretient un lien viscéral avec cette région, au point d’y avoir bâti sa maison familiale il y a près de quarante ans, dominant les vignes, si jolies en cette saison automnale. « Je suis un enfant du village. Très jeune, j’ai vu arriver le vignoble. Les coteaux vitryats n’ont véritablement démarré qu’à la fin des années 1960. J’étais encore petit à l’époque, je les regardais se transformer… »

Ayant déjà une forte propension à l’autonomie, en 1974, à l’âge de 17 ans, Bernard Lonclas décide de planter ses premières vignes, sur une parcelle familiale. 55 petits ares pour commencer… « Dès 1976, je m’en suis occupé, avec la toute première récolte. J’ai élaboré 3 300 bouteilles lors de ma première vendange », se remémore celui qui a déjà quelques notions puisqu’il a étudié au lycée viticole d’Avize. « J’avais autant l’envie de m’exprimer que d’indépendance. » Une volonté rendue possible par l’extension du vignoble planté à 98% en chardonnay, « un terroir d’excellence, sur sol crayeux, vieux de 80 à 90 millions d’années ».

Développement

Au fil des années, Bernard Lonclas rachète un peu de foncier. « En 1977, j’avais déjà une parcelle de plus, environ un hectare. C’est ce qui m’a permis de démarrer une micro-exploitation. C’était très juste financièrement, mais on faisait avec les moyens du bord. Très vite, j’ai utilisé mes droits de plantation et j’ai planté tout mon vignoble », livre-t-il. Malgré plusieurs crises (maladies, économie, énergie), l’exploitation croît à un rythme régulier, sans brûler les étapes. En 1982, il acquiert et plante plusieurs hectares d’un coup pour arriver, aujourd’hui, à une jolie surface de 12 hectares de vignes. « Tout est commercialisé sous notre nom. J’ai commencé comme récoltant-manipulant jusqu’en 2007. En 1985, j’étais heureux d’arriver à 10 000 bouteilles. En 2000, on en faisait 27 000. » Et en changeant de siècle, la relève arrive. À partir de 2005, son aînée, Aurélie, le rejoint au sein de l’exploitation, avec une vraie vision stratégique d’avenir. « Elle m’a dit : ‘‘Papa, si tu continues avec 2 % de croissance par an, je vais m’ennuyer.’’ Ça m’a interpellé. Deux ans plus tard, en 2008, nous sommes passés négociants. »

  • (Crédits : ND)
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De l’audace

Ce nouveau statut lui permet d’avoir accès aux raisins de ses voisins, d’autant, que depuis 1989, il a déjà une deuxième casquette, celle de pressureur de raisin. « Je suis l’un des plus importants du Vitryat en tant que prestataire de service. Grâce à cela, j’ai toujours anticipé mes approvisionnements. »

Depuis 2008, le champagne Bernard Lonclas achète ainsi des raisins et produit plus de 400 000 bouteilles par an. « Nous ne les commercialisons pas encore toutes, les caves sont bien fournies... » Concernant cette progression exponentielle, Bernard Lonclas affirme : « Certains amis m’avaient mis en garde : ‘‘Ne fais pas ça, ça va te coûter cher. Il faut des stocks, de l’argent, des bâtiments.’’ Mais il faut aussi de l’audace. Et j’en ai toujours eu. » Bâtisseur, il aime les défis et croit fermement dans le potentiel de la région. « Ici, tout était à faire. Je ne suis pas un homme du passé, mais je ne cherche pas non plus à défier l’avenir. J’avance, je prends des risques, mais toujours mesurés. En 1990, j’ai construit le premier bâtiment, puis en 1991, j’ai agrandi le centre de pressurage et créé le premier caveau de dégustation. En 1994, j’ai ajouté un deuxième pressoir. En 1999, les pressoirs traditionnels ont été remplacés par quatre pressoirs pneumatiques de 8 000 kg. Aujourd’hui, la capacité atteint 8 500 hectolitres. En 2009-2010, j’ai encore agrandi la cave. Et je continue à développer, toujours avec prudence, au fil des besoins. »

« Ici, tout était à faire. Je ne suis pas un homme du passé, mais je ne cherche pas non plus à défier l’avenir. J’avance, je prends des risques, mais toujours mesurés. »

Les gros investissements se sont donc faits tous les quatre à cinq ans. En 2015-2016, la cave a connu une importante extension. « Chez moi, c’est vraiment une politique d’investissement mesuré : je n’ai jamais construit un bâtiment pour qu’il reste vide. Ce qui m’a fait grandir, ce sont les prestations de pressurage. Je ne le cache pas. Ensuite, j’ai proposé à mes partenaires de vinifier leurs vins. J’avais déjà le matériel, les cuves… Alors je leur ai dit : “Écoutez, je peux le faire pour vous.” Certains travaillaient déjà avec les grandes Maisons, et ça m’a permis d’élargir mon activité. »

Un écrin au service du champagne

La Maison travaille avec quinze communes du Vitryat et presse environ 77 hectares, dont une soixantaine issue du Vitryat et une dizaine provenant de l’extérieur. « Nous avons d’ailleurs nous-mêmes quelques vignes à l’extérieur du Vitryat : dans le massif de Saint-Thierry, dans la vallée de la Marne, et un peu dans l’Aube. L’Aube m’intéressait notamment pour le Pinot noir, utile à l’élaboration du rosé, pour la partie vin rouge d’assemblage. » Dernier investissement en date, la réhabilitation complète de la maison de famille, pensée comme un outil de développement de la marque mais aussi de promotion oenotouristique. Ce chantier a été entièrement supervisé par Aurélie, qui a fait basculer le domaine dans une autre dimension avec l’appui de Mathilde, qui s’occupe quant à elle de l’export. Le champagne Bernard Lonclas exporte ainsi aujourd’hui dans une trentaine de pays, et réalise 50% de son chiffre d’affaires à l’international. Il participe désormais à de grands salons comme le Wine Paris ou le ProWein Düsseldorf.

Au sein de la bâtisse, tout a été repensé : une extension monumentale en verre a été érigée laissant entrer la lumière, reflétée par un immense lustre conçu par un célèbre designer finlandais. « J’ai beaucoup cherché les meubles et luminaires pour aménager ce qui a été notre maison d’enfance. Et nous avons également travaillé sur des matériaux d’exception, comme le marbre de Patagonie pour le plan central de la cuisine », livre Aurélie Lonclas. « Une nouveauté » dans la manière de faire pour son père, qui sait néanmoins, qu’aujourd’hui, pour « rivaliser » avec les plus grandes maisons, il faut aussi « un joyau » pour la représenter aux yeux des clients et importateurs étrangers. L’objectif est par exemple d’amener des chefs à cuisiner au sein de cette grande maison toute en transparence pour une clientèle privilégiée. « Nous avons toujours eu une belle activité de vente directe. Le bouche-à-oreille fonctionne bien, surtout quand l’accueil est bon. On travaille avec les hôtels, les restaurants, les prestataires touristiques. Les gens reviennent, ils en parlent autour d’eux. Pour le reste, c’est vrai : il faut séduire, tout simplement. » Au regard de tous les aménagements réalisés mais aussi de l’accueil réservé, pari réussi.

  • (Crédits : ND)
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