La célèbre saillie attribuée au Général de Gaulle (on ne prête qu’aux riches), « des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent on en cherche… », Albin Jeanne l’a entendue jusqu’à plus soif. Il a néanmoins la courtoisie d’en sourire encore. D’autant que, pour ce qui le concerne, il fait plutôt partie de la seconde catégorie - sans chercher plus loin. En effet, Apmonia Therapeutics, la start-up biotech qu’il a co-fondée avec Abderrahim Lachgar et Stéphane Dedieu, et qu’il préside, prépare la phase d’essais cliniques sur l’Homme, d’un « candidat médicament » en immunothérapie anticancéreuse. Une très prometteuse avancée dans la prise en charge de certains cancers.
Une démarche originale
Dans ce domaine - l’immunothérapie - en pleine évolution, pour ne pas dire révolution, depuis les années 2010, Albin Jeanne et ses associés suivent une démarche originale qui vise à activer le système immunitaire des malades pour qu’il s’attaque lui-même aux cellules cancéreuses (à la différence de la chimiothérapie qui consiste à administrer un ou plusieurs agents chimiothérapeutiques pour combattre les cellules tumorales présentes au sein de l’organisme).
Dans une approche très ciblée - on est ici dans une médecine de précision - les équipes d’Apmonia Therapeutics développent une molécule destinée à inactiver une protéine baptisée TSP-1, dont la facétieuse (sic !) propriété est de rendre les cellules cancéreuses indétectables par le système immunitaire. Si la technologie « inventée » (et dûment brevetée) par Albin Jeanne et Stéphane Dedieu a déjà donné les preuves de son efficacité in vitro et in vivo à l’échelle expérimentale, il reste cependant à vérifier ses effets sur l’Homme avant de la produire et de l’utiliser dans la pratique médicale. C’est la classique phase clinique, étape réglementairement imposée à tous les traitements ou médicaments issus de la recherche.
Science et management
Le plus cocasse, c’est qu’Albin Jeanne ne s’imaginait pas - de son propre aveu - une culture scientifique. Ce qui ne laisse pas d’étonner quand il énonce que son père était professeur de physique-chimie, sa mère docteure en chimie organique, et sa soeur docteure en pharmacie. On verra tout de même là quelques prédispositions, eussent-elles été ignorées du principal intéressé… Enfin, bref, le simple enseignement de la biologie l’eût comblé. Mais au fil de ses années d’études, il se prend de passion pour la recherche et ses applications biomédicales. Nul n’est parfait, heureusement en l’occurrence. Bref encore, Albin Jeanne trouve sa voie.
« Notre cheminement thérapeutique est un travail de longue haleine qui incite à la modestie, surtout quand on sait que, dans ce domaine, il y a beaucoup de candidats au départ et peu d’élus à l’arrivée… »
« Durant mon doctorat, j’ai obtenu des résultats encourageants sur les peptides et les protéines, qui ont été remarqués par la SATT-Nord, laquelle m’a soutenu et aidé à formaliser mes recherches ». C’est à cette époque qu’il fait la connaissance du professeur Stéphane Dedieu (URCA/CNRS), spécialiste de biochimie et de biologie moléculaire, et d’Abderrahim Lachgar (25 ans d’expérience dans l’industrie biophamaceutique) avec lesquels il va fonder Apmonia Therapeutics. Mais, entre la science à l’état pur et la gestion d’une entreprise il y a des notions que ne maîtrise pas Albin Jeanne. Il se forme donc en conséquence en suivant des programmes de management et d’entrepreneuriat ad hoc auprès de l’Institut de formation des industries de santé, Innovact, HEC Paris.
Levées de fonds
Reste que, comme toute start-up, Apmonia Therapeutics a besoin de capitaux pour mener à bien ses travaux. En 2020, une première levée de fonds réalisée auprès de Business Angels Marne Ardennes (BAMA) et complétée de subventions régionales, d’aides d’Etat et de prêts de Bpifrance permet de rassembler 1 M€. Fin 2021, une deuxième opération auprès de financeurs institutionnels spécialisés dans le domaine de la santé mobilise 4 M€. De quoi finaliser les travaux précliniques permettant l’initiation des premiers essais cliniques chez l’Homme.
« Tout cela relève d’un long processus, engagé dès 2011 par ma recherche doctorale - qui s’appuyait déjà sur des travaux antérieurs. Notre approche capitalise sur une quinzaine d’années de recherches. Nous espérons démarrer les essais cliniques en 2023 et, si les choses se déroulent avec succès, cela pourrait aboutir à la mise sur le marché d’un médicament pour la prise en charge des “tumeurs solides” (cancer colorectal, des ovaires, du pancréas, par exemple) à l’horizon 2030. C’est un travail de longue haleine qui incite à la modestie, surtout quand on sait que, dans ce domaine, il y a beaucoup de candidats au départ et peu d’élus à l’arrivée… »
Ce qui n’empêche pas Apmonia Therapeutics de développer également d’autres produits thérapeutiques ciblant le microenvironnement tumoral et offrant de nouvelles perspectives de soins en oncologie. « Nous travaillons sur un “portefeuille” de peptides thérapeutiques autour de ce type de technologie sélective (celle relative à la protéine TSP-1 étant la plus avancée) avec des partenaires tels que le CNRS et l’Institut Gustave Roussy. » Cette stratégie lui a valu d’être lauréat du Concours i-Lab 2020 dont la vocation est de détecter et de faire émerger des projets de création d’entreprises s’appuyant sur des technologies innovantes.
Compétence et énergie
Si les essais cliniques prévus l’an prochain donnent satisfaction, la technologie d’Apmonia Therapeutics intéressera les majors de l’industrie pharmaceutique, et il sera temps d’envisager, sous licence, la production industrielle et la commercialisation du médicament. Mais Albin Jeanne aimerait bien structurer Apmonia Therapeutics en conséquence pour que l’entreprise maîtrise et conduise elle-même ces opérations… et les suivantes attendues !
On comprendra qu’Albin Jeanne mette toutes ses compétences et son énergie au service de cet ambitieux projet. Une implication totale qui lui laisse assez peu le loisir de lire ou de jouer de la guitare - il s’adonne néanmoins à quelque activité cycliste, réputée pour ses vertus hygiéniques et analeptiques. Il cherche toutefois à consacrer un peu de temps à sa compagne et à son fils. Et, là encore, il trouve.