Alain Boulard
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Alain Boulard

Le territoire dans les veines

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Alain Boulard se positionne sur tous les fronts pour défendre le monde agricole et imaginer son avenir. (Crédits : MBP)

Alain Boulard préside la Chambre d’agriculture de l’Aube depuis 2019. Alors sollicité par Didier Marteau en fin de mandature, « je n’étais absolument pas prêt ni n’avais cette ambition. L’élection s’est faite dans l’adversité. Il fallait se battre, ça m’a plu et motivé encore davantage ». Sept ans plus tard, sa passion pour la cause agricole est encore exacerbée et il récolte le fruit de son engagement. Sa liste FDSEA-JA-SGV arrive en tête dans l’Aube avec 66,12 % des suffrages des chefs d’exploitation et assimilés. Le verdict du renouvellement de la présidence sera officiel le 20 février. « L’aventure Chambre d’agriculture de l’Aube est quelque chose de génial, qui fait grandir. Le binôme avec Bertrand Chevalier, le directeur de la Chambre, fonctionne très bien. Je veux continuer pour les personnes qui m’ont apporté et pour les salariés », annonce Alain Boulard.

Président du groupement de défense sanitaire en 2024 puis président d’ALYSÉ, une coopérative interdépartementale de services aux éleveurs en 2013, il est élu à la Chambre d’agriculture en 2007. Il se charge du dossier de l’élevage dans l’Aube. En 2019, il prend la présidence de la chambre consulaire et se porte aujourd’hui candidat à sa réélection. Avec son regard d’agriculteur et d’éleveur, il défend la profession, les pieds ancrés dans une terre et une réalité qu’il ne délaisse pas. « Je vais tous les jours sur mon exploitation. Je suis aubois, né à Bar-sur-Seine, ce doit être cela qui m’a donné la notion du territoire dans les veines ».

Une Agriculture De Projets, Pas D’assistanat

La récente campagne pour le renouvellement de la gouvernance des Chambres d’agriculture est l’occasion de dresser un bilan de mandature. Avec notamment le déménagement de la Chambre aux côtés de la Chambre de commerce et d’industrie, le travail collaboratif réussi avec ses homologues de Haute-Marne ou encore l’accent mis sur la proximité. « J’ai été déçu par le manque de mobilisation lors des réunions de terrain pendant cette campagne. En revanche, la participation, 42 %, est bonne et en augmentation. Le monde rural vote. Pourtant, entre 2019 et 2025, nous avons 500 inscrits en moins sur les listes en préfecture dans l’Aube », remarque-t-il.

Satisfait des résultats aubois, Alain Boulard tire toutefois les leçons « d’un score national qui nous oblige. C’est un cri des régions où la partie économique liée à l’élevage où à la viticulture hors champagne est compliquée. Les résultats bousculent le monde agricole avec des ténors de la Chambre d’agriculture de France qui ne sont pas réélus. Ces temps d’élections permettent de faire une introspection et de définir nos projections. Nous devons proposer un service au plus près des agriculteurs, rester à leur écoute pour répondre à leurs attentes. L’agriculture doit être une agriculture de projets, avec des gens bien dans leur tête. L’agriculture, ça n’est pas l’assistanat. Il faut donner la possibilité aux agriculteurs de gagner leur vie dans ces schémas et aujourd’hui certains modèles économiques ne sont pas raisonnables ».

Il souhaite également intégrer davantage de jeunes, qui seront les représentants de demain. Un relais qui passe en amont par les écoles locales de Sainte-Maure et Saint-Pouange « qui font le plein. Un peu moins sur la production, un peu plus sur le service. Aujourd’hui, les diversifications sont aussi des pistes pour les jeunes qui s’installent ».

« L’agriculture est de loin le plus beau métier du monde »

Alain Boulard aime à préciser que l’agriculture réalise 50 % de la valeur ajoutée de l’Aube sur 8 000 hectares alors que le département en compte 300 000. « Je ne dis pas que tout le monde doit aller dans le Champagne. Nous avons aussi des activités plus difficiles, comme l’élevage et le maraîchage, et des zones argilocalcaires qui posent souci. Mais si nous ne remettons pas de l’attrait dans des productions vertueuses, nous n’y arriverons pas. Comme pour le bio, nous ne pouvons pas imposer aux consommateurs d’acheter des produits 30 à 40 % plus chers. Les agriculteurs se désengagent aujourd’hui parce que c’est quand même l’économie qui domine ». Alors, Alain Boulard se positionne sur tous les fronts pour défendre le monde agricole et imaginer son avenir. Climat, décarbonation, agriculture inclusive et même intelligence artificielle s’inscrivent dans les projets. Une formation de l’IA est d’ores et déjà prévue pour les élus. « Nous ne changerons jamais les problèmes de dérèglement climatique, mais je pense que l’IA peut nous aider à mieux les aborder ».

De La Génétique Au Fromage

Fils d’agriculteurs et d’éleveurs de vaches laitières, Alain Boulard a grandi dans l’exploitation de ses parents à Marolles-lès-Bailly et à Géraudot, avant que le lac y prenne place. Il est naturellement allé à l’école d’agriculture de Sainte-Maure qu’il a complété avec une option élevage à Chaumont. « L’ancien JA » a 20 ans quand il s’installe à Marolles. « Après l’armée, une opportunité s’est présentée avec une exploitation à reprendre. Nous étions dans la période des quotas laitiers. J’ai repris cette exploitation pour conforter l’exploitation familiale et aboutir à une exploitation de 150 ha avec presque 50 ha de prairies pour l’élevage ». Désormais, le GAEC des Tilleuls compte trois associés. Un travail en famille avec Alain, Marion son épouse et Fanny sa fille qui a quitté son métier d’infirmière pour travailler dans l’exploitation, ses deux autres fils ayant choisi d’autres voies. « Juste avant la covid, Marion et Fanny ont eu le projet d’une fromagerie ».

Malice & Fromage blanc est créée en 2020 avec des produits distribués dans les restaurants, les casiers, sur les marchés et prochainement via la plateforme Manger local du Conseil départemental de l’Aube pour fournir les cantines des collèges aubois. Aujourd’hui, l’exploitation familiale compte 100 vaches laitières et cultive des céréales. « Nous avons été les premiers à investir et à croire en l’élevage laitier avec le premier robot pour la traite automatique en 2006. Les vaches se présentent, le robot les identifie et procède à la traite. Nous en avons un deuxième depuis ». L’élevage de prim’Holstein produit 900 000 litres de lait par an dont 150 000 litres sont destinés à la fromagerie qui fabrique notamment de la mozzarella, un nouveau produit dans l’offre du département. « Nous avons voulu intégrer le maximum de compétences sur l’exploitation. Nous inséminons nous-mêmes. Nous gérons la reproduction et élevons les génisses, avec une trentaine de naissances par an ». Un travail sur la génétique qui lui vaut un premier prix au Salon international de l’agriculture avec sa vache Florine il y a quelques années.

Pour la deuxième année consécutive, Alain Boulard foulera le Salon International de l’Agriculture au titre de la Chambre d’agriculture de l’Aube pour y promouvoir les produits aubois. « Le SIA permet de redire les choses telles qu’on les voit. Les visiteurs ignorent ce qu’est vraiment l’agriculture. Nous voulons aussi que les visiteurs aient une autre vision du département de l’Aube, pas juste celle qu’ils ont lorsqu’ils traversent le département sur l’autoroute ». Il va donc défendre l’agriculture et l’élevage sur le stand du Conseil départemental de l’Aube tant auprès des politiques pour repasser le message d’une nécessaire simplification administrative, « le poil à gratter des agriculteurs ! ». L’homme du terroir au sourire authentique dira aussi aux visiteurs et aux jeunes que « l’agriculture reste de loin le plus beau métier du monde avec ce lien avec la terre et les animaux. Il nous faut des jeunes, l’agriculture ne vivra qu’avec des jeunes qui s’engagent. Nous avons notre part de responsabilité, nous, les aînés. Nous devons leur donner envie. Certes, il faut se battre, certes, ce n’est pas rose tous les jours, mais cela fait vraiment grandir ! »