« Chaque individu écrit sa propre histoire, la mienne est sculptée sur mon visage. » Dans un ouvrage intitulé « En chantier », Abderrahim Maziane relate son destin hors norme. Né avec une dysplasie ectodermique, maladie génétique se caractérisant par l’absence de glandes sudoripares qui détériore la structure de la peau et entraîne une malformation maxillo-faciale et une peau imberbe, le Carolomacérien a fini par transformer cette différence en atout. Même si cela n’a pas été un long fleuve tranquille.
« Mon chemin a été cabossé. Prématuré, ma vie a failli s’arrêter à six mois. »
« Il a fallu me confronter au monde, au regard d’autrui et aux jugements et évacuer ce mal-être. Bref, m’accepter comme j’étais et me construire sans jamais vouloir être considéré comme une victime. »
« Je ne voulais pas qu’on compatisse sur mon sort. En démontrant que mon physique atypique, ma voix cassée et mes traits particuliers n’étaient pas un obstacle à la réussite. »
Grâce à sa force de vivre et son envie de prouver, ce fils d’immigrés marocains, arrivés en France à la fin des années 60, a malgré des moments de galère forgé sa personnalité en déjouant les pronostics et en parvenant à concrétiser tout ce qu’il entreprenait. Sans jamais lâcher.
Le basket, sa bonne étoile
Le basket, sa première passion, constituera pour lui un exutoire. Un bouclier pour se protéger. « Pratiquer un sport est très formateur pour la confiance en soi. Je l’ai compris en jouant à l’Etoile de Charleville-Mézières où j’ai débuté en poussins en gagnant 69 matchs en autant de rencontres, en disputant ensuite un huitième de finale de championnat de France benjamin et en jouant en National 2. Ma première grande libération est donc venue du basket auquel j’ai consacré toute mon énergie, malgré mes problèmes de sudation et mon souffle au cœur. »
Grâce à un éducateur spécialisé, Mathieu Blondeau, qui a cru en lui en mettant de côté sa différence, Abderrahim Maziane a pu faire valoir ses qualités et sa force mentale. « Cette acceptation m’a responsabilisé et grâce à cette discipline, j’ai acquis une certaine notoriété. Je voyais les comportements changer à mon égard. »
L’obtention d’un bac scientifique au lycée Bazin de Charleville-Mézières boostera encore sa confiance même si une fois son diplôme en poche, les portes des écoles se fermeront devant lui. « Cela m’a confirmé que je ne pouvais pas me permettre d’attendre que l’on croit en moi. C’était à moi de chercher un métier manuel et créatif. Je voulais modeler de la matière, j’ai donc choisi ma voie dans l’artisanat et après plusieurs nouveaux échecs, j’ai fini par partir ailleurs et trouver un travail pour un entrepreneur de Marseille. »
Un univers en béton
À 22 ans, en dépit des déboires et des réticences, « Abdé » grâce au CAP en maçonnerie obtenu à l’AFPA de Reims en 2008 signe son premier contrat de travail dans le bâtiment. C’est à Avignon, en plongeant dans l’inconnu, qu’il va s’épanouir, être autonome, apprendre les bases de la maçonnerie et se familiariser avec le béton qui allait ensuite le suivre dans ses projets professionnels.
Après s’être formé aux techniques du béton ciré et des enduits décoratifs, il s’engage dans cette niche haut de gamme et se met alors à son propre compte en créant à 29 ans, son autoentreprise « Béton Tendance » à Paris. Une PME spécialisée dans la création des sols, des salles de bains, des murs et des mobiliers en béton ciré.
« J’ai vite réussi par mes réalisations, ma technique et ma minutie à me faire un nom dans cette profession. On me disait même que le béton ciré par son côté rugueux et minéral ressemblait à mon visage et ma dépigmentation. D’une certaine manière, j’étais devenu l’égérie de ma boîte. Grâce à ma fibre artistique et à celle de Sylvanie Moses, j’ai aussi réalisé des sculptures en béton que j’expose en galerie d’art. »
Mais en 2013, en devenant allergique aux résines époxy et au vernis polyuréthane, deux composants indispensables utilisés pour l’application du béton décoratif, il doit lever un peu le pied.
Mannequin, acteur et écrivain
Après avoir subi des opérations importantes et compliquées, il se lance en 2016 dans une nouvelle aventure en devenant d’abord mannequin puis acteur.
« J’ai commencé à demander à des photographes professionnels de me shooter pour sélectionner des clichés afin de les présenter à des agences de mannequinat. » L’exposition de son profil atypique a intéressé l’agence Wanted avec laquelle il a donc collaboré. Elle lui trouve des contrats. D’abord comme figurant dans les films « Valérian et la cité des mille planètes » de Luc Besson ou « Robin Hood » avec Jamie Fox. Il devient l’un des acteurs principaux de Greg Guillotin, dans ses caméras cachées. Des vidéos qui font des millions de vues et lui vaudront d’être reçu par Thierry Ardisson dans l’émission « Salut les Terriens ».
Il joue aussi dans les séries Engrenages et 66,5 sur Canal Plus et Dérapages avec Eric Cantona et Alex Lutz sur Arte et Netflix. Ou dans des films comme « Tous les dieux du ciel » (2018), « Personna Non Grata » réalisé par Roschdy Zem (2019). Et il sera bientôt à l’affiche d’Ourika aux côtés de Booba. Bref, l’autodidacte s’est fait une réelle place dans le monde du petit et du grand écran.
« Au final, j’ai avancé. On m’a mis nulle part et je suis partout. J’aurai fait ce que je devais pour m’en sortir, en transformant ma différence en énergie positive, sans tourner le dos à mes rêves. Une façon aussi de remercier ma mère et lui enlever du même coup le sentiment de culpabilité qui la tenaillait depuis ma naissance et celle de mon frère jumeau. »