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Les pertes d’exploitation suite au covid ne sont pas indemnisées par les assureurs : les restaurateurs boivent le bouillon

Economie. La pandémie COVID-19 a eu des effets désastreux notamment sur les activités de restauration et débits de boisson, ces commerces ayant subi pendant de nombreux mois à compter de mars 2020 une obligation de fermeture administrative.

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Palais de Justice
Palais de Justice (Crédit : DR)

Certains professionnels avaient pris le soin de souscrire auprès de leur assureur une garantie spécifique visant les pertes d’exploitation : cette garantie vise à assurer l’indemnisation de la baisse d’activité découlant d’une interruption non voulue. En l’espèce, cette garantie avait vocation à s’appliquer en cas de fermeture administrative provoquée par une épidémie.

Les restaurateurs concernés par ces contrats de garantie perte d’exploitation ont donc tout naturellement sollicité à l’encontre de leur assureur l’indemnisation de leur préjudice découlant de la fermeture administrative suite à l’épidémie, en alléguant la clause de garantie rédigée comme suit : « La garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même ; 2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication. »

Cette clause a donc vocation à s’appliquer à priori à une épidémie qui a justifié l’interdiction pour les restaurants d’accueillir du public pour une durée fixée par arrêté du 15 mars 2020, prorogé par décret du 14 avril 2020.

Cependant, cette lecture rapide ne doit pas écarter l’analyse de la clause d’exclusion contenue dans tous les contrats d’assurance (les garanties étant toujours assorties de cas d’exclusion à lire attentivement) et tout le débat était bien là : En l’espèce les contrats d’assurance litigieux stipulaient que la garantie de perte d’exploitation était exclue « lorsqu’à la date de décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique. ».

Ainsi, d’après les assureurs, l’exclusion empêchait toute entreprise de bénéficier de la garantie perte d’exploitation, la mesure de fermeture administrative touchant tous les commerces de restauration et de débits de boisson sur l’ensemble du territoire national…Les restaurateurs pour leur part soutenaient que cette clause n’était pas valable.

C’est ainsi que la Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE notamment avait condamné les assureurs en jugeant que la clause d’exclusion de garantie devait être réputée non écrite. Les assureurs ont donc formé un pourvoi en cassation. L’enjeu de ces débats était donc de savoir si cette clause d’exclusion était valable et pouvait être opposée aux restaurateurs concernés. L’appréciation de la validité des clauses contractuelles relève en principe des dispositions du Code Civil, et notamment l’article 1170 qui dispose : « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. ».

Cette disposition est issue de la jurisprudence dite Chronopost qui a jugé qu’une clause insérée dans un contrat qui contredit l’engagement pris doit être considérée comme nulle. (dans les arrêts Chronopost, il s’agissait d’une clause d’exonération de responsabilité visant à écarter toute indemnisation en cas de retard dans l’acheminement du pli postal, alors que l’engagement Chronopost porte sur un acheminement rapide garanti…)

Le contrat d’assurance est en parallèle régi par les dispositions de l’article L112-1 du Code des Assurances et doit, comme tout contrat contenir des clauses claires et précises. En particulier, s’agissant des clauses d’exclusion de garantie, l’article L113-1 du Code des Assurances dispose que : « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. » La juridiction saisie devait donc apprécier si la clause d’exclusion litigieuse présentait les caractères requis, à savoir si elle était formelle et limitée (géographiquement par exemple). Une clause est dite formelle lorsqu’elle contient des caractères précis et n’est pas sujet à interprétation.

Les restaurateurs ont soutenu que l’absence de définition de l’épidémie contenue dans le contrat rendait la clause informelle, et ne pouvait recevoir application. Ils justifiaient d’autant plus leur position que l’assureur avait par la suite proposé un avenant au contrat d’assurance contenant une définition de l’épidémie.

Cet argument a été balayé par la Cour de Cassation, celle-ci jugeant que l’exclusion ne portait pas sur l’épidémie mais sur la fermeture d’un autre établissement pour la même cause, de telle sorte que la compréhension de la clause était sans ambiguïté sur les cas d’exclusion visés peu importe la définition de la notion d’épidémie. En parallèle, les restaurateurs ont soutenu que la clause n’était pas limitée en ce qu’elle excluait la garantie lorsqu’un autre établissement quelle que soit sa nature et son activité était visé par la même mesure administrative.

La Cour de Cassation déboute les restaurateurs en retenant que l’absence de limitation sur la nature ou l’activité de l’autre établissement concerné ne rendait pas la clause illimitée en ce qu’elle ne visait qu’une zone géographique départementale, soit une étendue suffisamment limitée. A bout d’argument, les restaurateurs ont soutenu que la clause d’exclusion vidait la garantie souscrite de sa substance : toute épidémie empêchant la mise en œuvre de la garantie, elle n’avait donc jamais vocation à s’appliquer L’article 1170 du Code Civil dispose qu’une clause est réputée non écrite, et doit donc être écartée des relations contractuelles si elle a pour effet de vider de toute sa substance l’obligation essentielle du débiteur. Ainsi, les restaurateurs ont soutenu qu’à chaque épidémie, aucun assuré ne pouvait voir sa garantie actionnée dans la mesure où un « cluster » de COVID 19 limité à un seul établissement était purement fictif.

Là encore, la Cour de Cassation rejette l’argument en relevant que l’exclusion ne porte que sur la fermeture d’un seul établissement sur le territoire et non l’épidémie visant un seul établissement. Ainsi, les assureurs ont pu établir que cette garantie a eu vocation à s’appliquer lorsque la fermeture touchait une école ou un abattoir, cas rencontrés par les assureurs qui ont alors garanti les pertes liées à ces fermetures isolées. On comprend donc que seul un arrêté de fermeture administrative pris isolément pouvait permettre d’actionner la garantie.En conséquence, la juridiction suprême a jugé que la clause d’exclusion était parfaitement valable et opposable aux restaurateurs et renvoyé les affaires devant les juges du fond.

D’un point de vue économique, la décision de la Cour de Cassation peut s’expliquer : les assureurs ne pouvant indemniser les pertes d’exploitation de tous leurs assurés restaurateurs, et autres commerces touchés par cette pandémie, dans le Monde. Depuis les arrêts rendus par la Cour de Cassation en décembre 2022, plusieurs Cours d’Appel ont eu à se prononcer sur ladite clause d’exclusion : celles-ci ont sans surprise repris les arguments soulevés par les assureurs et jugés que la clause d’exclusion était valable et opposable à leurs assurés.

A bout d’argument, un restaurateur a tenté de soulever le manquement de l’assureur à son devoir d’information… La Cour d’Appel de POITIERS a eu à statuer sur cette question et a rejeté le moyen soulevé par le restaurateur en relevant que les échanges entre les deux parties ont permis d’affirmer que l’assuré a exposé sa situation personnelle et reçu une proposition d’assurance en cohérence avec ses besoins et exigences, étant noté que le contrat souscrit couvre bien l’assuré contre une perte d’exploitation (certes limitée mais réelle).

La Cour précise qu’il ne saurait être reproché un manquement contractuel à une compagnie d’assurance « qui n’aurait pas proposé une garantie spécifique à une épidémie de coronavirus qui, faute de précédent depuis quasiment un siècle en Europe, constituait un risque trop hypothétique pour qu’il ait été fautif de ne pas l’avoir envisagé » ; et elle relève que l’assuré ne rapporte pas la preuve qu’il aurait été intéressé et qu’il aurait ainsi perdu la chance de la souscrire si elle lui avait été proposée. D’un point de vue juridique, la position de la Cour de Cassation et des Cours d’Appel ayant statué en 2023 sont donc favorables à l’assureur et permettent de juger valable la clause d’exclusion de garantie en matière de perte d’exploitation.

Il est toutefois critiquable de considérer valable une clause d’exclusion qui pose comme condition une fermeture isolée dans un département : en effet, si l’on prend le cas du meurtre (motif de fermeture administrative visé par la garanti), il suffirait que deux meurtres se soient déroulés dans deux établissements du même département pour que la garantie de perte d’exploitation du deuxième commerce soit exclue…

Ce qui n’est pas si rare de nos jours étant de surcroît rappelé que la superficie des départements varie entre 105 (Paris) et 10.000 km2 (Gironde), ce qui rend la clause d’exclusion quasi-systématiquement applicable….

Il convient en outre de poursuivre l’analyse des contrats, les clauses d’exclusion n’étant pas toutes rédigées de manière identique.

A ce titre, les assureurs n’ont pas manqué de transiger les dossiers pour lesquels les clauses d’exclusion étaient fortement critiquables (et éviter ainsi un raz de marée judiciaire et des condamnations en chaîne). Ainsi, malgré une jurisprudence défavorable aux assurés, il convient de procéder à une analyse concrète et précise de vos contrats. Je me tiens à votre disposition pour vous apporter toute l’aide nécessaire et l’analyse juridique de vos contrats.